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28 août 2019 3 28 /08 /août /2019 18:46

Notre président, qui a peu de principes, si ce n’est son attachement dogmatique à l’Union européenne et au capitalisme mondialisé, confond politique et vente de mauvais produits de consommation avec cette conviction, méprisante pour les gens, qu’on peut leur « vendre » n’importe quoi par la pub outrancière et par les grands « coups » médiatiques. Alors, pour briller au G7, où telle la grenouille de la fable, il veut paraitre un bœuf et essaie de se hisser à la hauteur de Trump (lui, est à la tête du plus puissant empire mondial, pas Macron !), il fait venir pour trois heures à Biarritz le ministre des affaires étrangères d’Iran (ce qui ne change rien à la politique américaine ni à celle des ayatollahs) et il se permet de montrer du doigt le président du Brésil qui laisserait bruler l’Amazonie, « notre poumon vert », en jouant au protecteur de la planète dans l’espoir puéril de se rendre populaire auprès des paranoïaques qui sont convaincus que la fin du monde est pour la fin de la semaine. Bolsonaro, que je n’aime pas beaucoup (mais là n’est pas la question), lui a retourné le compliment en le priant de s’occuper de ses affaires et en rappelant sèchement que le président français n’a pas été capable d’épargner l’incendie de Notre-Dame de Paris, autre joyau du patrimoine commun de l’humanité. Quand on lance en l’air des rafales de kalachnikov, il ne faut pas s’étonner de se prendre une balle perdue ! Les arroseurs sont souvent arrosés.

Macron ne connait pas la psychologie des peuples, ou alors, il s’en fout. Il ne comprend pas les Français (d’où le mouvement des « gilets jaunes », contestation la plus large du « système » depuis 1968). Pas davantage les Américains (il parle très bien anglais et sait probablement bien apprécier la psychologie des banquiers, mais pas du peuple ; pas non plus celle de Trump, plus représentative des Américains de base : ils n’aiment pas la flagornerie et ne raisonnent qu’en termes de rapport de forces, en l’occurrence pas à l’avantage de Macron). Encore moins celle des Latins, notamment les Brésiliens, qui n’acceptent pas d’être humiliés, surtout par des seconds couteaux.

Le Brésil est un pays-continent de 220 millions d’habitants, grand comme 17 fois la France avec un PIB qui n’est pas loin du nôtre (même si le Brésil est plongé dans une grave crise économique, sociale et sécuritaire depuis des années : beaucoup de choses vont mal dans ce pays, mais les Brésiliens n’aiment pas qu’on le leur dise, et ils ont raison, surtout quand le jugement vient d’un pays en déclin comme la France et d’un jeune président aussi contesté que l’est Macron).

Il y a cette année en Amazonie encore plus de feux de forêts que ces dernières années (mais pas plus qu’en 2005 : manquant sans doute d’images, nos médias ont repris celles de 2005, spectaculaires ; ce n’est pas la déontologie et l’honnêteté qui les étouffent !). Elles sont hélas dues non seulement au « changement climatique » (que beaucoup de scientifiques contestent) mais surtout aux pratiques locales (sur les parcelles agricoles, on brule les broussailles et les bois morts pour nettoyer ; pratique qui était courante en Europe il n’y a pas si longtemps et qui se fait encore ça et là, par exemple en Corse ; allumés sans précaution, ces feux peuvent se transformer en incendies incontrôlables). Malheureusement, Bolsonaro en allant toujours dans le sens des intérêts de l’agro-business, a lancé des signaux de laxisme qui expliquent les incendies involontaires incontrôlés mais aussi les volontaires destinés à augmenter les surfaces dédiées à l’agriculture et à l’élevage au détriment de la forêt.

Ces pratiques et cette tendance au recul de la forêt doivent être déplorées. Mais elles ne sont pas le fait du seul Bolsonaro (il y avait autant d’incendies sous Lula) et ne sont pas un monopole du Brésil : la situation est aussi grave, et même souvent pire, en Indonésie et en Afrique.

Après tout, l’Europe a défriché ses forêts pendant des siècles. Peut-on reprocher aux autres de faire pareil ?

La vérité est que les forêts tropicales disparaissent pour deux raisons principales. D’abord parce qu’il y a une explosion démographique, parfois exponentielle, dans beaucoup de pays du tiers-monde : plus nombreux, il est logique qu’ils cherchent à gagner sur la forêt.  La seconde raison est liée à la mondialisation : on détruit les forêts en Indonésie pour y planter des palmiers qui fournissent l’huile de palme et d’autres productions tropicales exportées. Au Brésil, la forêt recule pour laisser la place à la production de soja que nous importons notamment en France.

Si on veut sauver les forêts tropicales, les solutions existent : préconiser dans le tiers-monde la politique de l’enfant unique qui a permis à la Chine de stopper sa croissance démographique et lui a permis de se développer ; en finir avec cette mondialisation stupide qui consiste à produire là où c’est le moins cher (parce que les salaires y sont plus faibles et les normes environnementales et sociales non respectées), transporter ces produits en polluant nos mers et nos autoroutes (par les bateaux qui fonctionnent au fuel lourd et les camions au gazole) et les vendre chez nous en y détruisant les emplois locaux.

Mais cela est évidemment contraire aux intérêts de ce capitalisme mondialisé dont Macron est le zélé serviteur. Il vient de ratifier un mauvais accord de libre-échange avec le Canada et s’apprêtait à faire de même avec le Mercosur (ratification qu’il « suspend » sans vraiment y renoncer). Alors, Monsieur Macron, si vous voulez « sauver » l’Amazonie, interdisez en France l’importation de soja (il est vrai que « votre » Union européenne vous interdirait une telle décision : alors, mettez fin à cette « Union » si néfaste pour tout le monde, ou taisez-vous ! Si la France n’est plus un pays indépendant par sa soumission à Bruxelles, respectez au moins l’indépendance du Brésil !).

Une dernière observation pour les traumatisés du « climat ». On leur a répété depuis des années que, s’il fait plus chaud, c’est notre faute à nous Européens parce que nous consommons « trop », parce que nous roulons en voiture et parce que nous jetons les bouteilles en plastique : la Chine, l’Inde, le Brésil, les Etats-Unis polluent et on nous met des taxes pour nous punir (alors que l’Europe rejette moins de 10% du CO2 dans l’atmosphère). Tiens, pour une fois qu’on accuse les autres, le Brésil en l’occurrence, ça soulage quand même un peu !

Mais, surtout, revenons aux réalités : il y a beaucoup de kilomètres carrés d’Amazonie qui partent en ce moment en fumée. On parle de l’équivalent de la surface de la Belgique. Mais la Belgique, c’est petit et l’Amazonie, c’est grand. Rassurez-vous : il restera encore beaucoup de forêts.

Et puis, seuls les imbéciles ne savent pas qu’une forêt, ça se régénère rapidement. Dans ma Provence natale, j’ai vu bruler beaucoup de pinèdes autour de nos villages. C’est un spectacle de désolation mais quand aucune habitation n’est touchée et qu’il n’y a pas de victime, cela n’est pas irrémédiable. Dix à vingt ans après, on n’en voit plus la trace et une nouvelle forêt, plus verte, plus puissante prend la place de l’ancienne. Aux Etats-Unis, dans les parcs nationaux (il n’y pas d’habitations), ils ont pour politique de laisser bruler jusqu’à ce que l’incendie s’arrête tout seul (par manque de bois à bruler ou par la pluie) : il y a quelques années, une bonne partie du parc national de Yellowstone a brulé (j’en ai vu les dégâts sur place) ; quelques années plus tard, tout est comme avant. En Amazonie, la puissance de la nature est telle que, moins de cinq après un incendie, la forêt est reconstituée : la preuve, il suffit d’abandonner une parcelle agricole sans la cultiver ou de laisser une route sans entretien : la forêt reprend sa place en quelques années.

Tout cela ne signifie pas que je préconise de ne rien faire. Mais gardons le sens de la mesure et des réalités, s’il vous plait !

Et quand à l’ « aide internationale » de 20 millions de dollars proposée par le G7, quelle honte, quel mépris, quelle humiliation pour le Brésil ! Une telle somme est une aumône dérisoire, c’est une goutte d’eau, c’est le cas de la dire s’agissant de la lutte contre le feu. 20 millions, c’est moins de 10% du prix d’un Canadair, avion que le Brésil a largement les moyens de se payer s’il le veut (d’ailleurs, il en produit, des Embrayer!).     

Si Monsieur Macron a voulu involontairement renforcer la popularité de Bolsonaro, c’est réussi. Les Brésiliens, y compris ceux qui le combattent, font tous bloc derrière lui.

Quant au prestige à Rio de notre « petit » (comparé au Brésil) pays, il n’en sort pas grandi et je ne voudrai pas être ambassadeur de France à Brasilia en ce moment : la pente sera dure à remonter. Notre pays avait autrefois un grand prestige au Brésil. Ses élites parlaient souvent parfaitement français, le droit civil brésilien est encore totalement fondé sur le code Napoléon et quand on parlait culture, on pensait immédiatement à Paris : c’est là par exemple que le grand architecte Oscar Niemeyer trouva refuge lorsqu’il quitta le Brésil sous la dictature militaire ; c’est au bord de la Seine que s’établit aussi Chico Buarte, le grand maître de la samba. Et on pourrait citer bien d’autres noms, autant de ponts entre nos deux nations.

Les Brésiliens sans culture et sans imagination vont faire corps avec Bolsonaro, un jeune blanc-bec sans principes, sans culture mais pas sans ambitions et finalement assez comparable à Macron. Pour eux, tous les coups, toutes les outrances, tous les mensonges sont permis. Aussi nuls moralement l’un comme l’autre.

Les Brésiliens intelligents feront la part des choses. Ils savent que la France ne se résume pas à Macron pas plus que le Brésil à Bolsonaro.

Cette affaire, si dérisoire et si subalterne, ne mérite qu’une chose, qu’on l’oublie vite et qu’on revienne à nos fondamentaux : le Brésil et la France sont deux nations latines sœurs. Le reste n’est que mauvaise politique de caniveau!

Yves Barelli, 28 août 2019                                

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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 23:33

En élisant Jail Bolsonaro (46% au premier tour et  55,7% au deuxième contre le candidat de gauche Fernando Haddad), le Brésil est retourné trente ans en arrière : un pouvoir fort, réactionnaire au sens premier du terme. La fin d’un rêve, le résultat d’erreurs, plus que des erreurs, en fait des fautes, accumulées dont la première a été de croire qu’on pouvait faire une politique de redistribution sans rien changer aux structures de la société, de l’économie et des institutions qui font que dans ce pays, le plus inégalitaire du monde, l’oligarchie est maitresse de tout, du capital, des entreprises, mais aussi des médias, de la justice et d’à peu près tous les leviers du pouvoir.

Le président Lula croupit aujourd’hui en prison, condamné sous le prétexte fallacieux de corruption, par des juges issus de l’oligarchie et à son service, son successeur, Dilma Roussef,  a été destituée par un coup d’état parlementaire par des députés notoirement corrompus  deux ans après avoir été réélue, condamnation et coup d’état perpétrés dans le silence de nos médias et de nos politiques, eux aussi au service du capitalisme mondialisé.

Crise économique, crise politique, crise morale, l’oligarchie, ses relais évangélistes, sa presse et sa télévision aux ordres des forces d’argent qui les possèdent ont eu la peau de ceux qui les avaient menacés dans leurs privilèges. Ils ont été aidés en cela par les erreurs et les fautes d’un parti des Travailleurs qui avait oublié ce que sont les travailleurs, et par le ras-le-bol d’une classe moyenne exaspérée de bosser en pure perte, tant son travail est anéanti par l’inflation, la gabegie et la corruption, exaspérée aussi par ce climat de violence et d’insécurité (65 000 homicides l’an dernier, dont 7% attribués à la police ou l’armée) et par des services publics en faillite parce que l’argent se perd en route avant de financer la réalisation d’équipements élémentaires qui manquent tant.

Je connais des gens honnêtes et non violents qui ont voté pour celui qu’on présente comme le champion de l’extrême-droite et le nostalgique de la dictature militaire. Ils ne sont pas fascistes, beaucoup en leur temps, pour les plus âgés, avaient combattu le régime militaire assassin. Mais ils sont désespérés. Le Brésil est à terre. Faillite économique, politique et morale.

Je ne sais ce que va devenir le Brésil. En étant optimiste, on peut espérer que ce ne sera pas pire que maintenant, peut-être un peu mieux si le nouveau pouvoir met son programme de lutte contre la criminalité et la corruption en pratique. Mais si on est pessimiste, on peut craindre le pire, tout simplement un retour aux années noires de la dictature militaire au service de l’oligarchie.

Il y a moins d’une génération, un immense espoir s’était levé en Amérique latine. Pour une fois, parce que les Etats-Unis, occupés en Irak et en Afghanistan, s’étaient désintéressés du sous-continent, on avait laissé les peuples voter pour des pouvoirs de gauche. Les oligarchies s’en étaient accommodées pour quelque temps : l’argent distribués aux pauvres s’était traduit par une envolée de la consommation (30 millions d’anciens pauvres entrés dans la classe moyenne au Brésil) qui avait gonflé les profits des possédants, du moins tant que la conjoncture internationale ne s’était pas retournée. Cette oligarchie avait bénéficié aussi de la timidité, si ce n’est la couardise et la complaisance de pouvoirs de gauche naïfs ou complices : on n’a pas touché aux structures, les privilèges n’ont pas été remis en cause et aucune nationalisation n’est intervenue au Brésil (les régimes « bolivariens » ont été plus entreprenants mais ont fait des erreurs économiques impardonnables en pensant qu’il suffisait de laisser couler le pétrole sans rien produire d’autre).     

A partir de 2010, conséquence de la crise bancaire et économique de 2008, la conjoncture s’est retournée, les revenus tirés des matières premières ont chuté, le capital étranger est alors reparti aussi vite qu’il était venu et la crise s’est installée, rendant alors insupportables les maux traditionnels du Brésil et de l’Amérique latine : violence, délinquance, insécurité, crime organisé ou des petites frappes des banlieues, les pires parce que quotidiennes et frappant les gens ordinaires (j’en connais des exemples concrets et je sais la hantise des gens de base lorsqu’on sort dans la rue à la nuit tombée), services publics déficients qu’il faut palier en payant cher (écoles et cliniques privées), et corruption à tous les niveaux. Tant que la croissance était là, on faisait avec. Dans un pays à l’arrêt, c’est autre chose et cela explique en grande partie ce vote massif pour le changement.

Mais quel changement ? En mieux ou en pire ? A voir.

La tache ne sera pas facile pour le nouveau président qui arrive à la tête d’un pays démoralisé, en colère, mais fracturé : fracture sociale (les ouvriers, nostalgiques de Lula, ont massivement voté pour Haddad, le candidat de Lula, emprisonné et empêché de se présenter : s’il l’avait pu, il aurait fait bien plus de voix, peut-être aurait-t-il gagné ; en l’écartant, l’oligarchie n’a pas voulu prendre de risque, ce qui montre les limites de la soit disant démocratie brésilienne où tout a été mis en œuvre pour s’opposer à Lula : argent, médias, justice), fracture régionale aussi (les résultats du vote présidentiels sont très contrastés : Borsonaro l’a emporté, souvent largement, là où les classes moyennes sont nombreuses, São Paulo, Etat le plus peuplé et le plus riche, ou Rio ; son adversaire de gauche est majoritaire dans le Nordeste et les Etats ruraux. S’y ajoutent les contradictions apparentes entre le vote local – on votait aussi pour les gouverneurs et parlements locaux – et le vote national, le clientélisme faisant son effet).

Il convient de rappeler que le Brésil est un Etat fédéral à système présidentiel, en fait largement calqué sur celui des Etats-Unis. Le président y dispose de pouvoirs constitutionnels étendus, mais le Congrès aussi. C’est ce dernier qui doit voter les lois et, s’il veut s’opposer au président, il a les moyens de le paralyser. C’est pourquoi le président doit toujours composer avec lui. Lula y était parvenu, au prix de contorsions politiciennes. Dilma Roussef en a été incapable, pour la raison aussi que la conjoncture économique avait changé. Le Congrès devrait soutenir le programme économique de Bolsonaro (qui, au départ, plutôt interventionniste, a évolué vers le « libéralisme » pour obtenir le soutien de l’oligarchie, encore qu’il a tempéré ce « libéralisme » entre le deux tours ; en fait, on ne sait ce que sera sa politique économique, sans doute sinueuse pour ménager tous les intérêts et « lobbies »).

Et puis, il y a les Etats fédérés. C’est à ce niveau que se passe l’essentiel de la vie des Brésiliens. La santé, l’école, les services publics, la télévision et quantité de décisions sont du ressort des présidents et parlements locaux, pas de Brasilia, dont le pouvoir lointain est finalement peu connu des Brésiliens. Les élus locaux sont encore plus dépendants des pouvoirs de l’argent que les nationaux. La corruption y est encore plus facile. Et c’est au niveau local que les Brésiliens subissent la violence quotidienne, mal ou pas combattue par une police et une justice facilement achetables.   

Si le nouveau président veut vraiment lutter contre la corruption (il le doit, s’il ne veut pas perdre rapidement son crédit dans l’opinion), il risque de se heurter à un mur. Le système brésilien est totalement « pourri » : la plupart des parlementaires sont, comme aux Etats-Unis, prisonniers des « lobbies » qui les ont fait élire (pour faire de la politique, dans ce pays où il n’y a pas de financement public des partis et où, à la différence des pays plus démocratiques, les campagnes à la télé ne se font qu’en achetant des « spots » publicitaires ; idem dans les journaux où des pages entières doivent être achetées par les candidats, sinon ils restent dans l’anonymat) ; il y a une multitude de partis (30 sont représentés au Congrès, le plus puisant n’a que 10% des sièges), souvent à base régionale, en fait des paravents aux lobbies. Pour gouverner, il faut toujours composer avec eux. Pour le dire en un mot, la corruption est le corollaire du système brésilien. Ce système est si ancré qu’on ne voit pas très bien comment le nouveau président, à supposé qu’il ait la volonté de s’y attaquer, pourra faire pour l’éradiquer.

Je crois plus vraisemblable quelques effets de « com » avec des actions encore plus violentes (elles le sont déjà) des forces de l’ordre contre les « narcos » (mais sans doute pas contre les « milices », ces formations paramilitaires clandestines formées en général de policiers, les anciens « escadrons de la mort » de sinistre mémoire qui, au départ, ont lutté, et cela partait sans doute d’un bon sentiment, contre les délinquants et qui sont souvent devenues des mafias rançonnant des quartiers entiers : en quelque sorte le crime organisé luttant contre un autre crime organisé) et des actions anti-corruption spectaculaires probablement très ciblées sur les membres du Parti des Travailleurs.

Ces actions, bien relayées par les médias de l’oligarchie, seront sans doute populaires.

Suffiront-t-elles à rétablit la sécurité (ou plutôt à l’établir car elle n’a jamais existé : ce pays est réellement dangereux et si vous y allez, ne vous aventurez en dehors des lieux très touristiques, où existe une « police touristique » qui protège des petits larcins, qu’en compagnie de Brésiliens de la localité et en prenant les précautions minimales – par exemple ne jamais avoir les vitres baissées en voiture et en évitant les zones les plus dangereuses – les bonne cartes routières indiquent les routes à éviter -) ? Et à diminuer drastiquement la corruption ? En un mot à rétablir la confiance ?

Je suis malheureusement sceptique en espérant me tromper (on ne peut exclure un « effet Bolsonaro » qui permettrait à la société brésilienne de se ressaisir et de chasser ses vieux démons ; ne serait-ce que pour cela, avant de traiter le nouveau président de « facho », laissons-lui une chance)./.

Yves Barelli, 28 octobre 2018                                              

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8 avril 2018 7 08 /04 /avril /2018 16:02

Dans mon précédent article sur le Brésil (mis en ligne le 6 avril), j’ai dénoncé les manœuvres de l’oligarchie brésilienne qui ont abouti au coup d’état parlementaire, avec la destitution d’une présidente démocratiquement élue, et à la parodie de justice envers l’ex président Lula, condamné à douze ans de prison pour « corruption » (il aurait bénéficié d’un appartement mis à sa disposition dans des conditions peu claires), condamnation cocasse lorsque l’on sait le degré de corruption de la classe politique mais aussi de la justice brésiliennes, corruption pour des montants sans commune mesure avec l’appartement de Lula. Il y a en fait une dictature au Brésil au service de l’oligarchie (quelques grandes familles au pouvoir non seulement économique mais aussi politique, médiatique et judiciaire), la même qui autrefois prit la forme de la dictature militaire et qui, cette fois, s’habille d’une apparence de démocratie et d’état de droit, en fait son droit, en l’occurrence le contraire du droit. Cynisme et hypocrisie. J’ai également dénoncé la complicité des Etats-Unis et des autres « démocraties » au service du capitalisme mondialisé.

Je ne retire absolument rien à ce que j’ai écrit, à la différence près que je parlais des chances infimes de Lula de rester en liberté d’ici à l’élection présidentielle d’octobre prochain pour laquelle les sondages prédisent sa victoire, peut-être dès le premier tour. Le pouvoir n’a pas perdu de temps : Lula a été incarcéré dès hier.

Mais à la relecture de mon article, je m’aperçois qu’il y a un aspect de la situation brésilienne sur laquelle je n’ai pas assez insisté, celui de l’état d’esprit de la classe moyenne du pays. J’y reviens donc par souci d’objectivité, non pour atténuer ce que j’ai écrit (le scandale du déni de justice et la réalité d’une dictature cynique et hypocrite) mais pour l’expliquer en partie.

Qu’entend-on par « classe moyenne » (on devrait en fait parler plutôt de couches moyennes tant cette « classe » est une addition de situations diverses) ?

Ce sont des gens qui n’ont aucune fortune personnelle ni relations (ou très peu) dans les sphères du pouvoir, ce qui les différencie de l’oligarchie héréditaire (pour l’essentiel ; on peut faire fortune en partant de rien, mais, en dehors des romans à l’eau de rose construits pour donner l’illusion que chacun a sa chance, c’est rare). Ils se sont souvent sacrifiés pour envoyer leurs enfants dans de bonnes écoles (privées et payantes, seule solution pour échapper à la misère de l’enseignement public) et pour habiter des quartiers et lotissements plus sûrs que le commun (au Brésil, la délinquance est telle qu’il faut, si on veut vivre en sécurité minimale, habiter dans des lotissements sécurisés par de hautes clôtures et des gardiens 24h sur 24). Ayant fait des études, ils ont un travail aux salaires corrects (tout en restant modestes au regard des standards internationaux) comparés à ceux du bas de l’échelle, ce qui leur assure un certain confort (il est facile là-bas d’employer à bon compte une femme de ménage, voire un chauffeur privé et toutes sortes de services infiniment moins coûteux que dans les pays les plus développés), comme cadres moyens dans l’industrie ou le commerce ou comme fonctionnaires.

Je connais bien cette « classe » moyenne brésilienne car je suis souvent allé au Brésil ces dernières années et c’est parmi ses membres que, pour l’essentiel, j’ai vécu (plus qu’avec des familles plus hautes dans l’échelle sociale, familles que je connais aussi, notamment les diplomates de haut niveau). Je connais donc leur mode de vie, leurs problèmes et leurs aspirations.

S’agissant des facilités mentionnées plus haut dues à la main d’œuvre bon marché et aux « services » qui vont avec (ceux qui ont connu l’Espagne d’il y a trente ans ont expérimenté la même chose), cela rend la vie objectivement facile (je parle matériellement), d’autant qu’il y a un bon réseau commercial au Brésil et qu’on peut y acheter tout ce que l’on veut, avec néanmoins un bémol : la politique protectionniste (que je trouve bonne car elle assure des emplois sur place) entraine des prix relativement élevés pour les produits étrangers, importés, bien sûr, mais même ceux produits sur place : exprimé en pouvoir d’achat d’un cadre moyen du privé ou du public, une voiture, par exemple est beaucoup plus chère qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Idem pour un ordinateur ou un I-phone.

Pourtant, au-delà du prix des voitures, les classes moyennes ont de sérieuses raisons de se plaindre et, ces derniers temps, leur situation s’est considérablement dégradée.

Il y a d’abord l’insécurité. Elle est une psychose au Brésil. La délinquance est considérable. Se faire voler n’est pas le pire : on risque souvent sa vie et j’ai personnellement entendu des tas de témoignages qui font froid dans le dos. A titre d’exemple, quelqu’un que je connais s’est fait agresser un soir alors qu’il circulait en voiture à la périphérie d’une grande ville du Nord-Est, pas spécialement dans un quartier « difficile » : il a été arraisonné par des individus qui l’ont forcé à descendre et ils sont partis avec sa voiture. Cette victime considère avoir eu beaucoup de chance car, souvent, on tue et on prend la voiture ensuite.

Le résultat est que beaucoup sortent la peur au ventre. On doit en permanence s’informer sur les endroits dangereux et ceux réputés à peu près sûrs. Les cartes routières indiquent par exemple les tronçons de route déconseillés, même de jour (la nuit, toutes les routes le sont). A Recife, le métro arrive à proximité de l’aéroport, mais personne ne le prend car le demi-kilomètre à faire à pied pour arriver à la station est trop dangereux. A Rio, le soir, on peut se promener le long de la plage de Copacabana. C’est très vivant, convivial et il y a beaucoup de restaurants. Mais il faut rester sur le trottoir, bien sécurisé par une police omniprésente. En revanche, il serait risqué de s’aventurer sur la plage elle-même (100 mètres de large) car il y a toujours des loubards qui rodent. D’une façon générale, au Brésil, il vaut mieux circuler en voiture qu’à pied et il faut toujours garder les vitres fermées, avec la clim, et les portières condamnées.

Il n’y a pas que l’insécurité, ce qui est pourtant déjà beaucoup. Depuis cinq ans, l’inflation a fortement augmenté. Elle « mange » une bonne partie de salaires, et plus encore des retraites, insuffisamment réajustés. De sorte que le niveau de vie de la classe moyenne a assez fortement baissé.

En outre, la fiscalité sur les revenus du travail est forte au Brésil alors que les revenus du capital y échappent presque complètement. Corruption + impôts injustes + inflation qui frappe essentiellement les salaires, on comprend que nombre de « classes moyennes » se sentent grugés. Tout ça pour ça ? Des sacrifices pour avoir une qualification ou pour la donner aux enfants et des rémunérations médiocres et en baisse réelle.

Venons-en aux conséquences politiques de cette situation. Les Brésiliens n’ont aucune confiance ni aucune considération pour leur classe politique. On pourrait penser que cela devrait se traduire par un rejet du système, en tout cas par une acrimonie envers l’oligarchie. C’est en partie vrai mais pas seulement. La lutte des classes existe. Mais c’est plutôt celle de la classe moyenne contre les classes populaires.

Lula est très populaire chez ceux du bas de l’échelle et dans une partie, une partie seulement, de la classe moyenne. Une autre partie, ou ne l’a jamais aimé, ou s’en est écartée depuis le début de la crise économique (2010). Quant à la présidente qui lui a succédé, c’est un rejet massif. On l’accuse en fait de tous les maux : inflation, insécurité, crise, corruption. Sa destitution n’a pas vraiment fait pleurer dans les chaumières des quartiers résidentiels même si, aujourd’hui, les récriminations envers son successeur (Temer l’usurpateur, jamais élu par personne) sont au moins aussi fortes.

Le sentiment courant dans cette « classe » moyenne est qu’elle travaille et elle paye à la fois pour l’oligarchie et pour des assistés qui ne le méritent pas.

Ce dernier sentiment est très fort. On assimile (ce qui n’est pas entièrement faux) délinquance et classe populaire, qu’on considère souvent comme facilement portée à la délinquance, l’oisiveté, la paresse et les combines de toutes sortes (y compris le trafic de drogue). Tant que la croissance était là, on n’a pas trop trouvé à redire aux largesses de Lula envers les pauvres. Maintenant qu’on a la crise, la classe moyenne, au pouvoir d’achat déjà très entamé, ne veut plus payer pour les « fainéants », les « délinquants » et ceux qui ne pensent qu’à « faire des gosses » au lieu de travailler.

Et puis il y a le non-dit. Les pauvres sont presque tous noirs et les classes moyennes surtout blanches (l’oligarchie aussi : au Brésil, environ 60% de Blancs, 20 à 30% de Noirs, le reste métis). Regardez à la télévision les quelques images de manifestations et contre-manifestations qui nous viennent du Brésil : les pro-Lula sont majoritairement foncés et les antis surtout clairs. On n’en parle pourtant jamais, mais tout le monde le sait et le voit.

La montée de cette réaction qu’on peut qualifier d’anti-pauvres est attisée par le jeu même pas subtil tant il est grossier, mais qui a une influence sur des gens pas nécessairement politisés, des médias. Il faut savoir que ces médias sont la propriété de capitalistes qui sont les porte-voix de l’oligarchie. Le groupe « Globo » a une position dominante à la télévision : 60% de part d’audience et 70% des recettes publicitaires (la pub est permanente et, pour moi, insupportable). Dans certains Etats, il est en quasi-monopole. Ne parlons même pas de ses programmes de divertissement, insipides pour un esprit normal, avec des « telenovelas » (séries) pas du tout neutres idéologiquement (le culte de l’argent, de la réussite, marquée par les grosses berlines et les maisons de « rêve », et de la beauté artificielle car trop fardée pour les femmes). Les informations, sous couvert, évidemment, d’objectivité (la dictature de l’oligarchie au pouvoir n’annonce jamais la couleur) ont « matraqué » le public depuis des mois sur les détournements dans l’entourage de Lula, sur le train de vie des députés du Parti des Travailleurs, sur l’ « incompétence » de Dilma Roussef (accusée, de plus, d’être favorable à l’avortement, toujours interdit au Brésil : l’ordre moral et une partie de la hiérarchie ecclésiastique sont appelés à la rescousse pour combattre la gauche).

Pour la presse écrite, c’est encore pire que la télévision. J’ai ainsi été abonné pendant deux ans à « Veja », hebdo qui s’adresse surtout aux cadres (le prix de la revue est relativement élevé, surtout si on considère que la pub occupe plus de place que les articles). Le contenu de l’hebdo est le prototype de ce qu’est une propagande de droite : au moins un article par semaine sur des « révélations » sur des affaires de corruption, toutes dans le camp Lula, mais aussi des articles faisant l’apologie du libre-échange économique (je me souviens d’un gros titre : « pourquoi vous payer votre I-phone deux fois plus cher qu’à New-York »), expliquant que le protectionnisme et l’étatisme sont responsables de la crise, démontant tous les exemples étrangers allant dans le même sens (Venezuela, Argentine, Equateur, etc).

Une mise en condition bien emballée. On a ainsi préparé le terrain pour le « ménage » : Dilma dans le cadre, évidemment, de la Constitution et de l’état de droit, et Lula, « justement » condamné par une justice « indépendante » (évidement !).

Si j’ai développé tout cela aujourd’hui, ce n’est ni pour condamner l’ « égoïsme » et l’aveuglement des classes moyennes, ni, encore moins, pour les justifier et même les excuser. Je veux seulement témoigner que la vie de ces classes moyennes n’est pas facile tous les jours. Ce ne sont pas des monstres « fascistes » mais ils ont leurs raisons que je n’approuve pas mais que je peux comprendre. Et quand on leur explique que leur ennemi, ce devrait être le système de l’oligarchie qui les utilise à leur insu, ils ont des difficultés à l’admettre. Il est si facile de condamner Dilma l’ « incompétente » et l’ « avorteuse », et Lula, « l’ami des délinquants et des fainéants », Lula le « corrompu ».

Heureusement qu’ils ne pensent pas tous comme cela. La preuve, ce sont les bons sondages pour Lula (qui ne sont pas dus au fait que les classes populaire seraient les plus nombreuses : le pays est devenu massivement un pays de classes moyennes). Mais beaucoup, trop, ont une vision assez primitive des choses.

Ma conclusion est une réflexion plus générale. Le sous-développement, ce n’est pas seulement un PIB par habitant relativement faible (le Brésil, pays « émergent », est dans une position moyenne mais il suffit de voir les ornières dans les trottoirs des rues et la défaillance des services publics pour constater qu’on est encore loin du développement), c’’est un ensemble de comportements. Le sous-développement, il est en fait dans les têtes. De ce point de vue, le Brésil est un pays sous-développé, même si la croissance économique de la précédente décennie a pu faire illusion.

Pays sous-développé, assurément. Pays antidémocratique aussi. Là aussi, les quelques années de ce qui avait l’apparence d’un « état de droit » ont pu faire illusion.

Un commentateur inspiré a pu dire il y a quelques années que la Brésil, c’est le pays du futur. Un futur radieux, peut-être. Mais, en attendant, un présent lamentable (au sens premier du terme : il y a de quoi se lamenter). Et ce futur, hélas, il est comme l’horizon : on croit s’en approcher, mais il s’éloigne toujours. Aujourd’hui, avec le retour d’une dictature cynique et hypocrite, plus que jamais./.

Yves Barelli, 8 avril 2018                                                                          

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6 avril 2018 5 06 /04 /avril /2018 00:43

Lorsqu’une dictature méprise le peuple et l’empêche de s’exprimer, c’est du cynisme. Lorsqu’une dictature se pare des habits de la démocratie mais continue à se comporter en dictature, elle ajoute l’hypocrisie au cynisme. C’est le cas du Brésil où, après avoir destitué par un coup de force parlementaire une présidente démocratiquement élue, l’oligarchie au pouvoir empêche l’ancien président Lula de se représenter en le faisant condamner à douze ans de prison sous une fallacieuse accusation de corruption qui prêterait à sourire, si ce n’était tragique, tant les accusateurs nagent dans la corruption. Après des décennies de dictature militaire sanguinaire, on pouvait espérer (en tout cas on en avait l’illusion) que le Brésil serait définitivement devenu un pays « normal ». Ce n’est pas le cas : le régime ancien est de retour, mêlant cynisme et hypocrisie. Ce n’est hélas pas un cas unique. Plus près de chez nous, d’autres exemples existent, en particulier l’Espagne, qui foule aux pieds les droits de l’homme les plus élémentaires (notamment le droit de choisir son destin et de l’exprimer, fut-ce en contradiction avec des lois et des constitutions liberticides) en Catalogne avec la complicité active de l’Union européenne, mais aussi la Corse (moins dramatique, pour le moment). Face à ces dénis de démocratie, où sont nos donneurs de leçons si prompts à dénoncer les « dérives » dès qu’il s’agit de la Russie, de la Pologne ou de la Hongrie (pour s’en tenir à l’Europe), nos défenseurs à géométrie variable des droits de l’homme ? Aux abonnés absents. Silence radio. Oui, vraiment, à tout prendre, je préfère encore une bonne vraie dictature à ces parodies de démocratie qui salissent les notions même de droits de l’homme et de démocratie. Je vis dans un pays qui se dit démocratique. Aujourd’hui, je n’en suis pas fier.

1/ La Cour Suprême du Brésil vient de confirmer la condamnation à douze ans de prison de l’ancien président Lula pour « corruption ». Ses recours étant quasiment épuisés, il est probable qu’il soit rapidement incarcéré. En tout cas à temps pour l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle d’octobre prochain pour laquelle les sondages le donnent gagnant peut-être dès le premier tour.

Le président Lula a exercé deux mandats entre 2003 et 2011. Ne pouvant briguer un troisième mandat consécutif, le Parti des Travailleurs de Lula a investi Dilma Rouseff, qui avait été ministre et chef de cabinet de Lula. Elue en 2010, elle a exercé un premier mandat de 2011 à 2014, et, réélue (de justesse), elle a entamé un second mandat avant d’être destituée par le parlement en 2016 pour « maquillage de comptes publics ». Après ce qui n’est qu’un coup d’état à apparence légale, elle a été remplacée par son vice-président, Michel Temer, qui appartient à un petit parti qui était allié au Parti des Travailleurs.

2/ Pour comprendre ce qui se passe au Brésil, il faut en rappeler le contexte. Ce géant austral (220 millions d’habitants, seize fois plus vaste que la France, huitième économie mondiale) est le pays le plus inégalitaire au monde avec des différences abyssales de revenus et surtout de patrimoines entre son oligarchie et son prolétariat (avec entre les deux une classe moyenne nombreuse). C’est aussi l’un des pays les plus violents de la planète (30 000 morts par homicide par an). La corruption de ses dirigeants est endémique et à un niveau qu’on a peine à imaginer en Europe. Celle des députés, des ministres, des juges et des plus hauts fonctionnaires est de notoriété publique. Elle explique par exemple les dérives et les malfaçons qui ont entouré les JO de Rio et le mondial de foot de 2014 (j’ai beaucoup écrit sur le Brésil dans ce blog ; je vous y renvoie). Il est évidemment cocasse de constater que la majorité absolue des députés qui ont voté la destitution de Rousseff sont fortement soupçonnés d’être corrompus et que plus que des soupçons de corruption pèsent sur celui qui a pris sa place. On peut sans doute en dire autant des juges qui ont condamné Lula.

Que l’entourage de Lula, peut-être lui-même, et de Roussef aient « touché », cela est probable. S’agissant de Lula, il a été au moins éclaboussé par le scandale de Petrobras, la grande compagnie brésilienne publique de pétrole au sein de laquelle il est avéré que des détournements massifs de fonds publics ont eu lieu. On n’a, semble-t-il, rien trouvé de plus à reprocher à Lula que d’avoir reçu un appartement de luxe à Rio : broutilles au regard d’autres détournements d’une tout autre ampleur.

Dans un pays lorsque la corruption atteint le niveau du Brésil, les corrompus et les corrupteurs sont évidemment coupables à titre personnel. Mais le plus coupable est certainement le système. Au Brésil, pour faire de la politique il faut beaucoup d’argent (il n’y a pas de financement public des partis et, comme aux Etats-Unis, les campagnes électorales se font à coup de publicités payantes sur les chaines de télévision). Rester « propre », c’est n’avoir aucune chance de faire de la politique dans ce pays. Tout le monde est donc, plus ou moins, « sale ». Lula comme les autres.

Il faut savoir aussi que le système politique brésilien, en grande partie calqué sur celui des Etats-Unis, mêle un président élu au suffrage universel qui dispose de pouvoirs importants mais qui doit en permanence composer avec un parlement formé de députés largement liés aux intérêts privés qui financent leurs campagnes électorales, équilibre des pouvoirs auquel s’ajoutent les pouvoirs des Etats fédérés (le Brésil est un Etat fédéral et la plus grande partie de la vie politique et de la vie tout court se passe au niveau de chaque Etat fédéré). Les députés (tant au niveau fédéral que dans les Etats) appartiennent souvent à des petits partis qui, de fait, se « vendent » au plus offrant. C’est notamment le cas du parti du président actuel qui, après avoir servi de force d’appoint à la présidente, a retourné sa veste et s’est allié avec la droite en réussissant un « beau coup » puisque Temer, quasiment inconnu auparavant, a réussi à vendre sa trahison contre le poste de président de la république, poste d’ailleurs sans pouvoir tant il est prisonnier de ceux qui l’ont fait roi.

3/ Comment et pourquoi le « coup d’état légal » et la condamnation de Lula ont-ils pu se faire?

Il faut remonter relativement loin dans l’histoire du Brésil pour le comprendre.

Depuis son indépendance (19ème siècle), le Brésil, comme le reste de l’Amérique latine, avait été gouverné par des représentants de l’oligarchie (l’oligarchie, c’est un ensemble de grandes familles qui possèdent l’essentiel de la richesse nationale et qui, au pouvoir économique, ajoutent celui de l’Etat (fédéral et fédérés), des médias mais aussi de la justice, de la police et de l’armée, ce qui lui assure impunité et, de fait, absence d’impôt, celui-ci frappant surtout les classes moyennes).

Dans les années 1960, le président João Goulart fit passer quelques timides lois sociales. On était aussi dans le contexte de la guerre froide et de la contagion dans le sous-continent des idées issues de la Révolution cubaine. C’est fut trop tant pour l’oligarchie que pour ses protecteurs américains. Comme en Argentine, au Chili ou en Uruguay (et quelques autre pays), l’armée, encouragée par les Etats-Unis, renversa le pouvoir civil par un coup d’état en 1964. Une dictature marquée par la violation massive des droits de l’homme et l’émigration de nombreux démocrates (au moins ceux qui n’avaient été assassinés), gouverna la Brésil de 1964 à 1985. Lula, syndicaliste, fut, entre autres, incarcéré et Dilma Rousseff en outre torturée.

Dans les années 1980, les temps avaient quelque peu changé. Le capitalisme international souhaitait offrir désormais un visage plus présentable. Ce fut le retour à la démocratie en Espagne, au Portugal, en Grèce et, un à un, dans les pays d’Amérique latine. Les militaires passèrent donc la main aux civils au Brésil. Des élections à peu près libres (sans être toutefois vraiment honnêtes tant l’argent et les médias restaient aux mains de l’oligarchie) purent à nouveau se dérouler. En 1989, première élection présidentielle au suffrage universel, Fernando Collor de Mello  fut élu, battant un jeune syndicaliste encore peu connu, un certain Luis Inacio Lula da Silva (qu’on appellera désormais simplement « Lula »). Collor fit ce qu’il put pour faire face à une situation économique catastrophique. Sans doute dérangea-t-il certains intérêts : il fut destitué en 1992 pour « corruption » (déjà!). Fernando Enrique Cardoso, qui avait été ministre des finances sous le pâle successeur de Collor, se fit élire en 1994 et réélire en 1998, les deux fois contre Lula. Son plan de lutte contre l’inflation avait eu un certain succès mais sous son deuxième mandat, la pauvreté des classes populaires empira encore et même les classes moyennes furent touchées.

Lula l’emporta finalement en 2002 à sa quatrième tentative. Ce n’est sans doute pas un hasard si la gauche réussit à gagner non seulement au Brésil mais dans la plupart des autres pays d’Amérique du Sud (notamment Chili, Uruguay, Bolivie, Venezuela). Après les attentats contre les tours jumelles de New-York, les Etats-Unis avaient désormais les yeux tournés ailleurs, en l’occurrence le Moyen-Orient et, le « danger » communiste ayant désormais disparu en Europe de l’Est, et Cuba étant très affaiblie, on se désintéressa à Washington de l’Amérique latine. Dès lors, la CIA ne recevait plus l’ordre de favoriser les dictatures et d’empêcher la gauche d’accéder au pouvoir.

4/ Le bilan de Lula et de Dilma est contrasté. A l’actif, à la fois de grandes avancées sociales et (sauf vers la fin) une vigoureuse croissance économique. Par ses lois sociales généreuses, Lula fit passer 30 millions de personnes de la pauvreté à la classe moyenne. Ces anciens pauvres (qui continuent à être des supporteurs inconditionnels de Lula) furent de nouveaux consommateurs et un cercle vertueux s’enclencha, favorisé de surcroit par la forte hausse des prix du pétrole et des denrées agricoles (la grande spécialité du Brésil) : plus de consommation, marché en expansion, afflux d’investissements étrangers (que le protectionnisme obligeait à produire sur place) et donc forte croissance : le Brésil devint le nouvel eldorado et, les profits y étant garantis et peu taxés, on peut comprendre que même l’oligarchie soutint Lula.

A son passif, pourtant : on n’a pas touché à la propriété et l’oligarchie resta maitresse de l’essentiel de la richesse et de l’économie. En outre, le début des années 2010 fut marqué par un retournement de la conjoncture internationale : les prix du baril de pétrole et de la plupart des produits agricoles exportés par le Brésil s’effondrèrent, l’inflation commença à miner les salaires (des plus pauvres, mais aussi des classes moyennes), de sorte que la consommation s’effondra. Conséquence : les capitaux étrangers sont repartis aussi vite qu’ils étaient venus, en route vers de nouveaux « eldorados ».

Dans n’importe quel pays, on peut supporter les maux endémiques lorsque la croissance est là. Dès qu’elle part, soudain, les maux sont insupportables. Au Brésil, ces maux s’appellent inégalités sociales, violence, corruption, magouilles permanentes d’une classe politique complètement coupée du peuple (d’autant plus que Brasilia est une capitale relativement petite et fermée, loin de la vie réelle), mais aussi infrastructures déficientes (peu de transports publics, routes dans un état lamentable, aéroports saturés, entre autres). Grèves, manifestations, mécontentement généralisé ont accompagné la récession et l’inflation, dans un contexte de violence des gangs de la drogue.

Je me suis trouvé au Brésil en 2014 un peu avant le « mondial » de foot. Le pays était en effervescence. Même la police fit grève pendant plusieurs jours (ce qui se traduisit par encore plus de crimes que d’habitude – dans une ville de « province » comme Recife, où je me trouvais, c’est en moyenne 50 morts violentes par week-end – et des commerces pillés). La construction des stades avait pris du retard et le coût des équipements s’était envolé du fait de la corruption. Pas étonnant que, bien que dans ce pays le foot soit roi, les gens aient eu d’autres préoccupations et que le mécontentement soit monté en flèche : j’ai ainsi constaté que les boutiques vendant des tenues sportives étaient délaissées par les supporters. Pas étonnant aussi que l’équipe du Brésil ait été « sortie » d’une façon humiliante sur son propre terrain dès les premiers tours de la compétition. Elle non plus n’était pas entrée dans le jeu.

Si on ajoute le fait que Dilma n’a jamais eu le charisme de Lula, on comprend qu’elle ait fait l’objet d’un rejet massif. En 2014, elle ne fut réélue de justesse que parce que littéralement portée à bout de bras par Lula.

A nouveau, le balancier avait tourné en Amérique latine. Le pouvoir chaviste était mal en point au Venezuela, miné par un prix du baril au plus bas. En Argentine, la gauche, elle aussi embourbée dans des affaires de corruption et de népotisme, fut elle aussi malmenée.

Pour l’oligarchie brésilienne (et ses sœurs latino), le « lulisme » avait fait son temps. On s’en était accommodé tant que la croissance garantissait les profits (même s’il fallait payer un peu plus les ouvriers ; mais, au moins, consommaient-ils). Sans croissance, Dilma était un poids mort. On a donc inventé cette histoire de « comptes publics trafiqués » (même s’il y avait une part de vrai) pour la virer.

Quant à Lula, il restait dangereux. Alors, on a employé les grands moyens : 9 ans de prison, augmentés à 12 ans et 1 mois en appel et confirmation par la Cour Suprême. Et, bien entendu, on ressort la fable de la justice « indépendante ». Indépendante du pouvoir politique sans doute. Mais pas de l’oligarchie (dont dépend aussi le pouvoir politique, Lula n’ayant été qu’une parenthèse).

L’affaire n’est pas tout à fait terminée. Mais les chances que Lula soit remis en liberté et puisse se présenter à l’élection d’octobre prochain sont infimes (pas nulles : il y a parfois de bonnes surprises dues au hasard, à des fautes d’inattention ou, plus vraisemblablement, à des dissensions au sein même de l’oligarchie ; mais, en l’occurrence, c’est peu probable car Lula, pauvre au départ et président des pauvres, a accumulé un maximum de haine chez les possédants).

Ma conclusion est double.

D’abord la tristesse. Il y a des pays et des peuples qui semblent condamnés à un certain déterminisme. Le Brésil sera-t-il (et je pense la même chose pour un autre pays plus proche, l’Espagne) un jour une véritable démocratie, pas seulement dans ses institutions mais aussi et surtout dans la tête des gens, et en particulier chez les plus riches qui s’arc-boutent sur leur richesse par un égoïsme d’autant plus navrant qu’en partageant un peu ils seraient à peine moins riches, et qui sont prêts à tout dès qu’ils sentent leurs privilèges menacés ?

Je n’ai pas la réponse. Je me contente de déplorer ce qui s’y passe.

Mon second sentiment est d’être scandalisé par l’hypocrisie de nos dirigeants et de nos médias. A titre d’illustration, je viens de voir un sujet au JT de France 2 ce soir sur la Hongrie, qui s’apprête à voter dimanche en reconduisant probablement la majorité « populiste » de  Victor Orban, évidemment accusés de tous les maux habituels du « populisme » : information dirigée, opposition muselée, chasse aux migrants, etc. On a eu droit à peu près aux mêmes commentaires sur Poutine. Et je ne parle même pas de la Syrie (dont l’armée et celle de Poutine « massacrent » des civils, alors que, c’est bien connu, nos avions et ceux des Américains devaient probablement lancer des roses sur Mossoul et sur Raqqa).

En revanche, sur le scandale de la dictature qui revient au grand galop au Brésil, rien. Pas un commentaire négatif, ni des médias, ni des gouvernements occidentaux. Et sur le président démocratiquement élu en Catalogne, Carles Puigdemont, obligé de fuir son propre pays et arrêté comme un voleur en Allemagne et menacé d’être livré aux néo-fascistes de Madrid ? Rien non plus.

Et on pourrait citer d’autres exemples.

Oui, une dictature qui s’assume, c’est cynique. Une dictature qui se déguise en démocratie, c’est non seulement cynique mais hypocrite.

Et un pays comme le nôtre (je parle de la France, mais je pourrais dire la même chose pour l’Allemagne et quelques autres pays) qui en est le complice, c’est plus que cynique et hypocrite, c’est abject.

Yves Barelli, 5 avril 2018                                                   

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