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10 novembre 2019 7 10 /11 /novembre /2019 23:42

Pedro  Sanchez, premier ministre sortant, en dissolvant le parlement, a perdu son absurde pari de renforcer sa faible majorité obtenue en avril dernier. En refusant les concessions qui auraient permis un gouvernement de coalition avec Podemos et en se privant de toute initiative pour tenter de débloquer la situation en Catalogne, il a lassé les électeurs, insensibles à son chantage « moi ou le chaos ». La participation au scrutin de ce jour 10 novembre a été en baisse de près de 5 points, le PSOE, Podemos et Ciudadanos perdent des voix et des sièges (le scrutin est à la proportionnelle). La droite du Parti Populaire progresse légèrement et l’extrême droite de Vox (parti qui a moins d’un an d’existence) fortement tandis que les partis indépendantistes confirment leur hégémonie en Catalogne où ils obtiennent, comme d’habitude, la majorité absolue. De leur côté, les partis autonomistes restent très majoritaires au Pays Basque (peu peuplé, ce qui a donc une incidence à la marge sur le parlement espagnol, alors que les Catalans vont pouvoir peser). Les socialistes resteront les plus nombreux au parlement mais, sans majorité, de loin, à eux seuls, ils seront contraints de composer avec Podemos et avec les Catalans, bien plus sans doute qu’ils auraient pu le faire si Sanchez n’avait pas fait ce présomptueux pari de dissoudre le parlement après d’interminables et stériles discussions avec Podemos auxquelles les Espagnols n’ont rien compris (et pendant qu’on discutait à Madrid, la protestation quasi insurrectionnelle s’amplifiait en Catalogne : si l’Espagne ne veut pas sombrer, c’est pourtant le problème catalan qui devrait être la priorité du pouvoir madrilène, totalement autiste jusqu’à présent). L’Espagne n’a plus de gouvernement responsable depuis quatre ans. Tout est en panne. Il serait temps que ce pays redevienne souverain (sa politique économique est décidée à Bruxelles et Francfort tandis que les affaires du quotidien sont gérées, au jour le jour et plutôt mal que bien, par les « communautés autonomes » - régions -). Vu les résultats du scrutin, la tâche du nouveau gouvernement (sans doute encore de Sanchez) s’apparente à une mission impossible : sans les Catalans et les Basques, pas de majorité, en leur lâchant du lest (et il faudra qu’il soit conséquent), des réactions négatives ailleurs. Pourtant, tout espoir n’est pas vain : il existe des solutions.  

1/ La participation est en baisse. Elle devrait être un peu inférieure à 70% (à l’heure où j’écris, on n’a pas le chiffre définitif).

Il n’est pas sans intérêt de constater que cette participation  a été inférieure à la moyenne dans toutes les régions de l’ouest et du sud du pays : loin de Madrid et de ses magouilles politiciennes que même les spécialistes n’arrivent pas à suivre, loin de la Catalogne et de ses aspirations indépendantistes, les Espagnols décrochent par rapport à une classe politique largement déconsidérée.

2/ Le PSOE (socialiste) est sanctionné. Nombre de ses sympathisants ne se sont pas dérangés, une manière de condamner le comportement de Pedro Sanchez sans toutefois passer à droite (on se souvient que le gouvernement de Rajoy avait été renversé à la suite de graves affaires de corruption). Il conserve (selon les sondages sorties des urnes qui donnent des projections a priori fiables car le mode de scrutin – proportionnelle – rend prévisible la composition du parlement) de 114 à 119 sièges au Congrès des députés (contre 123 en avril). Son allié potentiel, Podemos, perd encore des plumes avec 30/35 députés (contre 42). Il paye son flou sur la question catalane : favorable à l’autodétermination à Barcelone, plus ambigu à Madrid.

Le bloc des droites gagne une dizaine de sièges mais avec une recomposition qui lui interdit en pratique de pouvoir former une majorité : le Parti Populaire (droite traditionnelle) reprend des couleurs (il en avait perdu beaucoup en avril) : 85/90 (contre 66) ; Ciudadanos, parti contestataire un peu équivalent à Podemos mais à droite, s’effondre à 14/15 (contre 57). Il s’était mis en avant dans l’anti-indépendantisme catalan. Il a trouvé plus extrémiste avec VOX, parti créé il y a peu sur des bases à la fois anti-Catalans, anti-immigrés (l’immigration musulmane devient un problème, pas encore à la hauteur de la France, mais en hausse) et sur la défense de l’Espagne chrétienne traditionnelle : VOX fait plus que doubler : 54/59 (contre 24).

Ni la droite ni la gauche nationale ne peuvent former une majorité. Le soutien indépendantiste catalan à la droite étant évidemment exclu, la gauche aura besoin du soutien des Catalans et des Basques, ou au moins de leur abstention dans les votes cruciaux, pour avoir une majorité.

3/ Pour gouverner, le parti de Pedro Sanchez devra choisir ses alliés. La majorité absolue est de 176 sièges. La gauche PSOE-Podemos en aura de l’ordre de 150. La Parti Socialiste Catalan, qui n’est pas une filiale du PSOE, mais un allié, lui apportera une douzaine de députés, soit en tout de l’ordre de 160. Les nationalistes catalans et basques représentent une trentaine de députés (dont 6 à 7 pour les Basques). Leur soutien ou, au moins, leur non opposition, est donc indispensable à la gauche au pouvoir.

Une autre possibilité serait une « grande coalition » des partis traditionnels du « système » : PSOE et PP dépassent ensemble sensiblement 200 sièges, permettant une majorité confortable. Ils sont certes d’accord sur l’essentiel : préservation de l’unité de l’Espagne, conservation de son système monarchique (peu populaire) imposé par Franco, refus de l’autodétermination en Catalogne (mais, en restant sur cette position anti-démocratique dure sans rien proposer comme alternative, on se condamne à la perpétuation du pourrissement de la situation en Catalogne, « région » la plus industrialisée et la plus développée du pays, pourrissement qui ne peut qu’avoir des conséquences de plus en plus négatives pour toute l’Espagne) et soumission sans nuance à l’Union européenne et à l’OTAN.

Mais une telle alliance serait jugée de contre-nature par les militants et une bonne partie de l’opinion espagnole : au-delà des accords, il y a les questions de principe qui perpétuent le clivage entre une droite de tradition franquiste (même si le PP s’est converti à la démocratie) et cléricale, et une gauche de tradition républicaine (même si elle accepte la monarchie) et laïque : il y a encore des sujets clivant tels le catéchisme à l’école ou l’avortement.

Cette grande alliance est possible sur le papier mais, au risque de me tromper, je n’y crois pas beaucoup (à moins que la situation ne dégénère en Catalogne, ce qui pourrait inciter les partis à l’union sacrée pour défendre la « patrie »).

Le PSOE peut donc paraitre maître du jeu, sauf que, en fait, il ne contrôle pas vraiment ce jeu.

Il peut pourtant trouver une solution en misant sur les divisions entre indépendantistes catalans.

4/ Les résultats du scrutin en Catalogne sont en effet intéressants.

L’ERC (« Esquera Republicana Catalana », autrement dit la « gauche républicaine catalane ») est désormais le premier parti en Catalogne. Il confirme ainsi sa percée déjà constatée aux dernières « européennes ». Avec 13/14 députés au parlement de Madrid, il dépasse désormais largement « Junts per Catalunya » (ensemble pour la Catalogne), le parti de Puigdemont, exilé à Bruxelles, et de Torra, actuel président du gouvernement catalan, qui n’a que 6/7 députés. Par ailleurs, la CUP (extrême gauche catalane, la plus active dans la jeunesse qui, lasse de marcher vainement dans des manifs pacifiques dont Madrid se « fout » éperdument, passe à des manifs plus violentes avec un succès : cela inquiète Madrid et cela donne des images reprises par toutes les télés du monde) entre au parlement de Madrid avec 3 ou 4 députés.

L’ERC et Junts ont désormais des stratégies différentes (et même opposées).

Junts reste intransigeante et le président Torra a annoncé qu’il comptait organiser un nouveau référendum d’auto-détermination. Fuite en avant qui montre la contradiction de la direction catalane (contradiction sanctionnée désormais par les électeurs) : on déclare l’indépendance mais on ne se donne aucun moyen pour l’assumer.

L’ERC, dont le président, Junquera, fait partie du groupe des 9 lourdement condamnés dans le procès inique qui a été mis en scène à Madrid (une mauvaise « farce », pour reprendre les mots de Torra), a choisi de s’orienter vers la stratégie qui a parfaitement réussi au Pays Basque : conserver l’aspiration à l’indépendance mais accepter, en attendant que le dossier murisse, d’entrer dans le jeu espagnol.

L’ERC pourrait s’allier localement en Catalogne à Podem (version locale de Podemos), qui aura 5 à 7 députés, et au Parti Socialiste Catalan (PSC) qui en aura 12/13. Podem n’a pas de position officielle sur l’indépendance (elle laisse ses militants et sympathisants libres) mais est favorable à l’autodétermination. Le PSC est plus flou sur l’autodétermination mais il est profondément catalaniste et se prononce pour un Etat fédéral (si possible républicain, mais, en tout cas, fédéral).

La droite anti-indépendantiste a fait, comme d’habitude, un résultat ridicule en Catalogne, montrant qu’elle exprime en fait une position colonialiste (ses représentants sont les seuls à s’exprimer en castillan (espagnol) au parlement catalan et dans les médias locaux alors que tous les autres, y compris Podem et le PSC, s’expriment en catalan. Cette droite obtient à peine en Catalogne 6 députés (2 pour chacun des partis : PP, Ciudadanos et Vox). A titre anecdotique, rappelons aux médias français, qui en parlent encore trop, que Manuel Valls, s’il ne représente plus rien en France, représente encore moins en Catalogne : epsilon, en fait un traitre à ce qu’il croit être encore sa soit disant « double patrie » (de fait, il est désormais apatride).     

5/ Il est clair que si Pedro Sanchez veut sortir de l’impasse, il faut qu’il entame des discussions sérieuses avec Podemos et l’ERC, le PSC mais aussi le PNB basque pouvant jouer le rôle d’intermédiaire.

L’acceptation du droit à l’autodétermination est certainement prématurée. Aucun gouvernement espagnol ne pourrait, pour le moment, s’y résoudre sans être lâché par la majorité de l’opinion publique ailleurs qu’en Catalogne et au Pays Basque : pour l’Espagnol de la rue, parler d’indépendance de la Catalogne, même comme possibilité théorique, fait le même effet qu’une cape rouge devant un taureau.

En revanche, s’acheminer vers une forme de fédéralisme (le système actuel, qui confère une grande autonomie aux « communautés autonomes », en particulier la basque et la catalane, est bâtard, ce qui entraine des conflits incessants de compétences - le système est « à la carte », certaines entités ayant plus d’autonomie que d’autres) parait une bonne piste. Instaurer le catalan et le basque comme co-langues officielles de l’Espagne ne changerait pas grand-chose (ces langues sont déjà, sur place, langues officielles, d’enseignement obligatoire et de la plupart des médias) mais ménagerait les susceptibilités, Catalans et Basque ayant aujourd’hui l’impression d’être des citoyens de seconde classe.

Mais il y aura en tout cas un préalable à toute discussion sérieuse : la libération des prisonniers politiques emprisonnés par un déni de démocratie sans équivalent ailleurs en Europe. Le gouvernement de Pedro Sanchez sera sans doute trop faible pour présenter un projet de loi d’amnistie au parlement (on peut compter sur la droite pour s’y opposer en faisant le « buzz » dans une opinion majoritairement hostile aux Catalans). Un « indulto » (« pardon ») serait moins apprécié par les Catalans et susciterait autant de réactions hostiles que l’amnistie. Mais décidé rapidement en début de mandat, la « pilule » passerait mieux, surtout si elle est présentée comme indispensable à la formation d’un gouvernement enfin stable et durable. Il y a tant de problèmes à régler en Espagne que, enfin passer à autre chose qu’au dossier catalan actuellement bloqué pourrait être populaire. Y compris chez les Catalans, majoritairement indépendantistes de cœur mais qui voient leur pays se déliter sous leurs yeux : mieux vaut encore une Catalogne autonome qui fonctionne dans le cadre espagnol qu’une Catalogne à feu et à sang sans même l’espoir d’atteindre tout ce suite l’objectif de la souveraineté.                                                                              

Si les espagnols et la Catalans deviennent enfin sages, c’est dans cette direction qu’ils s’orienteront. Le passé de ce pays montre qu’ils ne l’ont pas toujours été : le penchant suicidaire a souvent été une constante de l’histoire espagnole. Espérons que cette fois un nouveau chapitre, plus intelligent, va s’ouvrir./.

Yves Barelli, 19 novembre 2019                   

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19 octobre 2019 6 19 /10 /octobre /2019 18:23

Ce qui se passe actuellement en Espagne est hallucinant et affligeant. On se demande si les Espagnols (mais aussi leurs voisins français) ont appris quelque chose de l’histoire tragique de l’Espagne : pas seulement celle du 17ème siècle où, déjà, un roi Bourbon, que la France alors au faîte de sa puissance, avait réussi à mettre sur le trône espagnol (ancêtre de l’actuel roi et de son père, imposé par Franco), avait supprimé les libertés catalanes et procédé à une répression bestiale jamais oubliée sur les terres de l’antique « couronne d’Aragon », mais aussi, celle, plus récente, qui devrait nous interpeller, quand le visage le plus abject du fascisme assassina la République espagnole dans la passivité des démocraties, française en premier lieu, qui n’avaient pas compris que Franco annonçait Hitler. On pensait qu’avec le rétablissement de la démocratie en 1975 et le compromis (bancal, on le voit aujourd’hui) entre ennemis d’hier, l’Espagne avait enfin chassé ses sinistres démons, ceux de l’intolérance, de la répression et, pour tout dire, de la bêtise, car on ne construit rien de durable lorsque la contrainte ne s’accompagne pas de solutions justes. Hélas, il n’en est rien : en condamnant à de lourdes peines de prison des dirigeants catalans démocratiquement élus dont le seul tort a été d’organiser un référendum d’autodétermination, attendu depuis des années mais toujours refusé par Madrid, la justice espagnole a, avec la complicité d’un gouvernement sans courage et sans vision, provoqué l’explosion populaire qui secoue la Catalogne depuis une semaine et à laquelle le gouvernement espagnol, qui devait pourtant s’y attendre, réagit mal.

1/ Des peines de 9 à 13 ans de prison ferme ont été prononcées pour les neuf dirigeants catalans arbitrairement emprisonnés depuis deux ans (le président Carles Puigdemont avait réussi à se réfugier en Belgique) sous l’inculpation de sédition (la charge de rébellion n’ayant pas été finalement retenue). Cette parodie de procès et ce verdict extrêmement lourd n’ont aucun équivalent dans l’histoire moderne des démocraties.

2/ Depuis lundi 14, date du verdict, des manifestations spontanées se déroulent tous les jours en Catalogne. Hier 18 octobre, une grève générale a paralysé le pays (c’est ainsi qu’on parle de la Catalogne en Catalogne : parler de « région », comme continue à le faire les médias français, serait réducteur pour cette terre qui est une nation depuis le 10ème siècle et qui fut, pendant plusieurs siècles, un Etat souverain) et une manifestation a rassemblé (selon la police) plus d’un demi-million de personnes à Barcelone ; dans la journée, des cortèges venus de toute la Catalogne avaient convergé sur la capitale.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle manifestation se produit dans la capitale catalane. Elles sont en fait récurrentes depuis 2010, quand le « tribunal constitutionnel » (équivalent du conseil constitutionnel) censura un nouveau projet de « statut catalan », sous prétexte que son préambule contenait une référence à la « nation catalane qui existe depuis dix siècles ». Ce déni d’identité a été reçu comme un affront par les Catalans alors que ceux-ci avaient accepté, dans le cadre du compromis postfranquiste, de mettre de côté leur histoire et leur spécificité pour participer à l’édification d’une nouvelle Espagne démocratique. Dans ce contexte, les Catalans avaient certes obtenu beaucoup : une large autonomie avec leurs propres institutions, parlement et gouvernement. Mais Madrid s’est comporté un peu comme un adulte qui donne quelques libertés à ses enfants mais les considère toujours comme inférieurs. L’Espagne devrait être une union de peuples (les Basques en constituent un autre) ; elle n’est en fait qu’une construction dominée par la Castille qui « tolère » quelques particularismes locaux mais s’accroche à son hégémonie.

Ce dialogue de sourds entre Madrid et Barcelone a fait resurgir les rancœurs du passé et alimenté un nationalisme catalan qui avait été mis sous le boisseau. Les sondages d’opinion ont alors évolué très vite : moins de 10% de Catalans souhaitaient l’indépendance (on n’en parlait même pas) en 2010 ; la proportion est montée rapidement jusqu’à atteindre et dépasser 50% (chiffre à prendre avec précaution : beaucoup se reconnaissent une double identité, catalane et espagnole, et se sont décidés à franchir le pas de l’indépendantisme en quelque sorte poussés par l’intransigeance et l’arrogance de Madrid ; beaucoup étaient prêts à rester dans le cadre espagnol, à condition que ce soit sur une base d’égalité).

3/ Devant l’impasse générée par le statut quo imposé par Madrid, le gouvernement catalan (issu des élections démocratiques en Catalogne) s’est peu à peu orienté vers des positions plus maximalistes, préconisant l’indépendance. Cela dans un contexte de crise économique et morale en Espagne (marquée notamment par l’abdication in fine du roi Juan Carlos poussé vers la sortie par des scandales : une majorité d’Espagnols souhaite le retour à la république mais, pas plus que l’option de l’indépendance n’est offerte aux Catalans, celle de la république ne l’est aux Espagnols : on est face à un système figé et la faiblesse des partis politiques, de droite comme de gauche, qui se traduit par l’instabilité des gouvernements successifs, n’est pas propice aux changements constitutionnels. De fait, les Espagnols sont gouvernés, pour leurs affaires courantes, par les « communautés autonomes » (régions), et pour l’économie, la monnaie et les relations extérieures, par Bruxelles.

4/ Dans ce contexte de déliquescence de l’Espagne, le nationalisme primaire de nombre d’Espagnols (une majorité sans doute) ne se manifeste plus qu’à l’encontre des Catalans et des Basques : on a tout abdiqué face à Bruxelles, mais toute revendication de plus d’autonomie à Barcelone ou à Bilbao a le même effet qu’un chiffon rouge agité devant un taureau.

La surenchère est au rendez-vous à Madrid : le Parti Populaire, largement issu des anciens franquistes, est maintenant concurrencé sur sa droite par des nouveaux partis tel « Ciudadanos », né en Catalogne parmi certains immigrés castillans ou andalous nostalgiques du temps où il était interdit de parler catalan, aujourd’hui langue officielle et d’enseignement en Catalogne, puis qui s’est implanté dans toute l’Espagne. Le Parti Socialiste (PSOE), lui, a préféré renier son passé en se ralliant au système monarchique et en se montrant aussi intransigeant que le PP face aux Catalans ; il est désormais concurrencé sur sa gauche par Podemos, parti lui-même au programme flou (notamment s’agissant de la Catalogne). Face à la crise économique et sociale (20% de chômeurs) et à la situation en Catalogne, aucun parti n’est en mesure d’avoir une politique claire et novatrice. Les gouvernements qui ont été au pouvoir au cours des dernières années ont été minés par leurs faiblesses, indécisions et, parfois, scandales de corruption : ces derniers ont fait chuté il y a deux ans la droite de Rajoy mais trois élections générales n’ont pu voir émerger des majorités cohérentes. Le gouvernement socialiste est tombé au début de 2019 parce que les partis indépendantistes et autonomistes catalans et basques l’ont lâché devant le refus du PSOE d’évoluer sur les questions régionales ; le PSOE est revenu au pouvoir après les élections d’avril mais ses discussions sans fin (auxquels on ne comprend rien) avec Podemos pour former un gouvernement n’ayant pas abouti, on revotera en novembre et on prévoit une forte abstention, tant les Espagnols sont lassés de ce jeu pseudo-démocratique stérile.

5/ Face à une Espagne en panne, les Basques et les Catalans ont choisi. Les premiers, et cela est dans leur tradition historique, ont renoncé à un Etat souverain mais élargissent tellement en  pratique leur autonomie qu’ils font ce qu’ils veulent chez eux (un peu comme la Flandre fonctionne de façon en fait indépendante dans une Belgique qui a perdu sa substance).

Les Catalans, et cela est sans doute leur erreur, ont choisi une voie plus maximaliste. Las d’attendre un feu vert de Madrid qui ne vient pas, ils ont eux-mêmes organisé le 1er octobre 2017 le référendum d’autodétermination, non reconnu par Madrid et boycotté par les anti-indépendantistes, et, s’appuyant sur le résultat, le parlement catalan a proclamé l’indépendance trois semaines après.

Madrid a répondu en envoyant la garde civile (gendarmerie) essayer d’empêcher la tenue du référendum (elle n’y est pas parvenue), en suspendant l’autonomie de la Catalogne et en arrêtant les principaux membres du gouvernement catalan ainsi que les présidents du parlement et de la principale association culturelle (Puigdemont, lui, est en Belgique, d’où il anime la résistance).  

6/ La réaction du gouvernement catalan a été absurde : il a proclamé l’indépendance sans s’en donner les moyens. Il n’en était pourtant pas totalement démuni : une police catalane assez nombreuse et bien équipée, une administration en place et, surtout, la mobilisation de la population. Face à la détermination de Madrid, décidé à employer la force, s’il y avait eu une détermination aussi forte de résister, les choses auraient sans doute été différentes : même moins fort qu’un adversaire, si on le convainc qu’on résistera, il peut réfléchir. C’est ce qu’on appelle la dissuasion. Les exemples ailleurs de telles dissuasions réussies abondent.

Mais les dirigeants catalans et toute la société ont choisi la non-violence, renforçant la certitude ailleurs en Espagne qu’il était possible d’obliger les Catalans à plier car incapables de se battre (je me souviens de la réflexion, il y a longtemps, sous Franco, d’un ami républicain de Castille qui, en dépit de son anti-franquisme, n’avait pas une haute opinion des Catalans : « ils parlent beaucoup, mais sur le terrain, des poules mouillées »).

Effectivement la réaction n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. De grandes manifestations ont eu lieu (et continuent) mais on a laissé la garde civile venir « cueillir » les ministres catalans sans l’ombre d’un début de résistance. J’ai vu à Barcelone des véhicules de la garde civile, symbole de l’occupation « étrangère », passer dans les rues sans réaction de la population, pourtant acquise à l’indépendance ; même pas sifflés !

Après avoir déclaré l’indépendance, les dirigeants catalans y ont renoncé de facto en acceptant de participer aux nouvelles élections au parlement catalan décidées par le gouvernement de Madrid après rétablissement de l’autonomie (sans doute anticipait-il une victoire des « espagnolistes ») : les indépendantistes les ont gagnées et la nouvelle majorité se prononce à nouveau pour l’indépendance. Le président Quim Torra, qui a remplacé Puigdemont, « empêché », a repris exactement le même langage que son prédécesseur. Dans une séance solennelle un peu surréaliste du parlement catalan (que j’ai suivie en direct sur internet sur la télévision catalane), avant-hier, il a parlé du verdict contre les dirigeants catalans comme d’une « farce » (ce qu’il est) et a annoncé la convocation prochaine d’un nouveau référendum d’autodétermination.  Décidément, à Madrid comme à Barcelone, on manque d’imagination et la rhétorique remplace l’action.

7/ La situation depuis le verdict inique marque une évolution, peut-être une rupture. Pour la première fois, la violence est apparue. Dès le lundi soir, des groupes de jeunes ont mis le feu à divers matériels urbains et n’ont pas hésité à affronter la police. Cela s’est répété tous les soirs jusqu’à hier, jour de la grande manifestation de Barcelone. Dans la soirée, il y a eu escalade dans le comportement de « certains groupes violents », comme le gouvernement catalan les appelle pudiquement. Des barricades ont été édifiées, les affrontements ont été plus violents avec la police (plusieurs dizaines de blessés, dont deux graves). La police a réprimé plus violemment aussi. Les rues de Barcelone ce matin sont celles d’un pays en guerre.   

On ne peut certes pas parler à ce stade de situation insurrectionnelle. Mais on est monté d’un cran. Les participants aux grandes manifestations pacifiques continuent à se différencier des casseurs. Mais, pour beaucoup, la condamnation de la violence est pour la forme. Nombre d’entre eux parlent de désespoir et laissent entendre à demi-mots que, lorsqu’on a tout essayé en vain, que certains choisissent la violence, même si on continue à la réprouver, cela peut se comprendre. Objectivement, les faits donnent une certaine raison aux casseurs : les violences de Barcelone sont relayées par les télés du monde entier alors que toutes les autres manifestations non-violentes étaient passées sous silence.

8/ La situation est désormais curieuse et il faut savoir la déchiffrer pour la comprendre.

Côté indépendantiste, on est divisé entre « Junts per Catalunya », dirigé par Quim Torra, et l’ERC (Esquera Republicana Catalana, son leader, Oriol Junqueras, qui était vice-président du gouvernement, est la principale personnalité condamnée) ; les deux partis sont alliés jusqu’à présent au parlement et dans le gouvernement mais ils divergent de plus en plus. Le premier est l’ossature de la droite au pouvoir depuis 1978, la seconde est de gauche et les deux sont rivaux dans les élections, l’ERC tendant de plus en plus à dépasser Junts dans les urnes (ce qui a été le cas dans les élections nationales espagnoles et au parlement européen). L’ERC a adopté une posture plus modérée que Junts : elle serait prête a discuter avec Madrid et, sans le dire, à renvoyer à plus tard l’indépendance. A cet égard, elle est réservée vis-à-vis du nouveau projet de référendum de Torra (qui ne l’a pas consultée avant de le présenter au parlement, sans, d’ailleurs, donner aucune précision). Et puis il y a les indépendantistes hors partis : ceux d’extrême gauche ou ceux des multiples associations culturelles ou locales de plus en plus enclines à choisir la violence devant l’impasse de la non-violence.

Le président Torra doit jouer les équilibristes. Il est dur vis-à-vis du verdict du procès (tout le monde l’est) et parait choisir l’épreuve de force (le nouveau référendum) mais, dans le même temps, ne veut donner aucune prise à Madrid pour, à nouveau, suspendre l’autonomie. Il a ainsi pris la parole à la télévision en pleine nuit dès le premier soir de violences pour les condamner (tout en faisant, évidemment, porter la responsabilité sur Madrid). Il assume surtout la répression des manifestations violentes : c’est la police catalane qui fait face aux émeutiers, avec cette situation curieuse que le gouvernement indépendantiste envoie sa police contre les indépendantistes avec l’appui de la police nationale (elle reste en deuxième ligne) qui obéit au pouvoir madrilène anti-indépendantiste. Les plus jusqu’au-boutistes parlent évidemment de trahison. L’ERC compte les points et attend sans doute son heure.

Côté espagnol, on est aussi « coincé ». Le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, qui expédie les affaires courantes, ne peut que répéter en boucle qu’il ne laissera pas piétiner la constitution et que les émeutiers indépendantistes seront châtiés. Le ministre de l’intérieur est intervenu hier soir à la télévision espagnole : sans imagination, il a dit que la réponse était dans le code pénal et que les émeutiers risquaient des années de prison. Son collègue de Barcelone a parlé à la télévision catalane sur un ton plus subtil : il n’a pas cité le code pénal espagnol (qu’il récuse) mais a condamné les violences et a redit sa confiance dans la police catalane.

L’opposition espagnole de droite jette de l’huile sur le feu en accusant le gouvernement de faiblesse et en demandant (surtout pour la forme) la suspension de l’autonomie. Ses « challengers » de droite, « Ciudadanos », en rajoutent et leur relai à Barcelone, « ciutadans », encore davantage. Le discours de ces derniers rappelle les pires heures du fascisme ; ce sont les seuls à s’exprimer en castillan (espagnol) dans l’hémicycle du parlement et dans les médias au lieu du catalan, comme tout le monde, ce qui montre, au passage, qu’ils ne sont que des étrangers narguant les Catalans de souche (il y a près de la moitié de la population catalane issue de l’immigration espagnole : parmi eux, beaucoup sont assimilés, notamment les plus jeunes, formés par l’école catalane, mais d’autres le refusent, se comportent en colons et partagent une opinion largement répandue dans la péninsule selon laquelle la Catalogne n’appartient pas aux Catalans mais à l’Espagne « éternelle et indivisible » : quand bien mêmes seraient-ils majoritairement pour l’indépendance, cela, aux yeux des nationalistes espagnols, n’a aucune valeur).

9/ On en est là aujourd’hui. Le jusqu’auboutisme gagne du terrain à Madrid comme à Barcelone (le dialogue n’est toutefois pas totalement rompu). Il est clair que la seule solution intelligente et viable serait évidemment d’abord la libération des prisonniers politiques (que même la télévision catalane ne peut désigner ainsi sans tomber sous le coup de la loi – elle contourne l’obstacle en montrant abondamment les pancartes des manifestant portant l’inscription « llibertat pels presos politics »). Tant qu’un seul d’entre eux restera incarcéré, les émeutes se poursuivront.

Mais pour rechercher une solution, il faudrait un gouvernement à Madrid (les élections ont lieu le 10 novembre et la formation du nouveau gouvernement risque d’être longue) et que ce gouvernement soit suffisamment fort et courageux pour faire voter une amnistie ou, au moins, décider une mesure de grâce (« indulto »). On est encore loin du compte. Madrid s’est enfermé dans une impasse dont il ne peut sortir : les socialistes, depuis deux ans, n’ont rigoureusement pris aucune initiative sur la Catalogne ; leurs prédécesseurs étaient pires : ils avaient supprimé l’autonomie, avant de la rétablir. Les deux répètent en boucle que la justice est indépendante et que rien ne peut être fait contre la constitution (qui interdit le séparatisme). Il faudrait aussi un peu plus de réalisme à Barcelone. Du côté du  gouvernement catalan de Torra, c’est la fuite en avant qui ne peut aller que droit dans le mur.

10/ Les Catalans sont des victimes. Je ne vais donc pas commencer à les critiquer. Mais il faut avouer qu’ils ont fait preuve d’une naïveté confondante.

Sûrs de leur bon droit et de leur choix de non-violence, ils ont cru que jamais les Espagnols n’oseraient employer la violence contre eux. Ils se sont trompés : neuf dirigeants catalans, aussi pacifiques que leurs compatriotes, sont en prison pour avoir organisé un référendum. Lorsque je donnais un cours à l’université de Barcelone (j’ai arrêté l’an passé), j’avais dit à mes étudiants (avant le référendum de 2017) : « un jour les tanks espagnols seront sur les Rambles de Barcelone ». Ils n’y croyaient pas. Je leur avais alors cité l’expérience malheureuse de la Yougoslavie (pays que je connais bien aussi pour y avoir été en poste diplomatique), un pays européen, aussi développé que l’Espagne, un pays qui était, lui aussi, pacifique, ce qui n’a pas empêché la guerre. Aujourd’hui, l’armée n’est pas à Barcelone, mais la garde civile oui. Tout peut hélas arriver et je n’exclue pas le pire. Lorsque j’entends les Espagnols « de la rue » ailleurs en Espagne, y compris à Valence, où pourtant on parle aussi catalan, cela fait froid dans le dos. J’ai des amis d’ordinaire raisonnables qui deviennent presque hystériques dès qu’on leur parle des « droits » catalans ou basques.

Les Catalans croyaient aussi que l’Union européenne, à laquelle la plupart d’entre eux sont profondément attachés (un peu moins maintenant, avec les évènements), allait intervenir en leur faveur. Le verdict a été rendu. Il n’y a eu de protestation, ou même de réserve, dans aucun pays de l’Union. L’année dernière, j’ai été invité, avec cinq autres personnalités étrangères, à m’exprimer à Barcelone sur la situation en Catalogne. C’était devant un public acquis à l’indépendance. Après mon exposé, on m’a demandé : « qu’est-ce qu’on peut attendre de l’Union européenne ». Ma réponse a été immédiate : « res » (rien). J’ai senti des réactions plutôt de désapprobation dans l’auditoire (non exprimées car les gens sont polis). Sans doute certains commencent-ils à réfléchir. Comme sur la non-violence, ils évoluent.                                                                             

10/ A long terme, la solution pourrait être un système fédéral espagnol, union volontaire de peuples souverains. C’était le souhait de beaucoup parce qu’on peut se sentir à la fois catalan et espagnol, comme personnellement je me sens provençal, occitan et français. Ce ne devrait pas être l’un ou l’autre mais les deux en même temps : les identités peuvent s’emboiter comme des poupées russes.

Est-ce encore possible pour la Catalogne ? Le risque est que le divorce devienne irréversible.

Les Espagnols sauront-ils surmonter leurs vieux démons du passé, dont la tendance collective au suicide semble être la plus prégnante?

J’ose croire qu’ils auront la sagesse de se comporter de manière plus intelligente.

J’ose le croire sans en être sûr./.

Yves Barelli, 19 octobre 2019                                                    

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16 octobre 2019 3 16 /10 /octobre /2019 09:37

Neuf dirigeants catalans, emprisonnés depuis deux ans, ont été condamnés à des peines de 9 à 13 ans de prison pour avoir organisé le référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 et proclamé à sa suite l’indépendance de la Catalogne. Ce procès politique contre des dirigeants démocratiquement élus qui ont toujours prôné et pratiqué la non-violence est en soi évidemment un scandale qui rappelle les pires heures de l’histoire de l’Espagne et une parodie de justice qu’on espérait ne plus jamais revoir dans ce pays qui se dit « démocratique » et membre d’une Union européenne qui prétend défendre des valeurs démocratiques. Le second scandale est évidemment l’absence de réaction dans les pays de cette « Union », en particulier en France, alors que la Catalogne est une terre qui devrait nous être chère à quelques kilomètres de Perpignan.

J’ai beaucoup écrit sur l’Espagne et sur la Catalogne depuis que je tiens ce blog (notamment : « Catalogne, le combat continue », 15 septembre 2018, et « Espagne, élections, victoire socialiste », 2 mai 2019). J’y renvoie mes lecteurs. Je suis souvent outre-Pyrénées et je connais très bien la Catalogne. Je suis donc touché par cet outrage aux principes les plus élémentaires de la démocratie.

1/ Rappelons que depuis des années, la majorité indépendantiste du parlement catalan et le gouvernement qui en est issu réclament la tenue d’un référendum d’autodétermination, droit dont ont pu bénéficier les Québécois, les Ecossais ou les Kosovars par exemple, mais que le gouvernement de Madrid s’obstine à refuser sous le prétexte irrecevable que le droit à la séparation ne serait pas inscrit dans la constitution espagnole. Donc interdiction éternelle pour les nationalités pourtant reconnues (la Catalogne est une nation qui existe depuis le 10ème siècle, avant même la création de l’Espagne, avec un Etat qui fut souverain pendant plusieurs siècles) d’être indépendantes, interdiction même, pour le peuple, d’être consulté pour exprimer un avis sur la question. Interdiction, donc, de demander le divorce, même si le couple ne fonctionne plus.

Las d’attendre un bon vouloir de Madrid qui ne viendra jamais, les Catalans ont décidé en 2017 d’organiser eux-mêmes la consultation. En dépit de la répression policière (on a chargé dans les bureaux de vote des femmes et des vieillards simplement venus exercer leur droit de vote), le référendum a pu se tenir. Devant le refus de Madrid de le reconnaitre et même de discuter, le parlement catalan a voté la déclaration d’indépendance de la Catalogne le 27 octobre 2017.

Cette indépendance nominale n’a pas été suivie d’effet. Les dirigeants catalans y ont de facto renoncé en acceptant de participer à de nouvelles élections pour leur parlement (dans le cadre espagnol). Une nouvelle majorité indépendantiste en est issue et un nouveau gouvernement à son image. Le gouvernement espagnol a répondu à cette mobilisation du peuple catalan en emprisonnant ses principaux dirigeants, membres du gouvernement et président du parlement, restés à Barcelone. Le président catalan sortant, Carles Puigdemont, ainsi que plusieurs de ses ministres, ont pu s’échapper et se réfugier à Bruxelles, où ils sont toujours, sous la protection des nationalistes flamands et avec le consentement du gouvernement belge qui n’a pas répondu à la demande espagnole d’extradition.

2/ Le principal condamné du procès est Oriol Junqueras, dirigeant de l’ERC (« esquera republicana catalana » = gauche républicaine catalane) et vice-président du gouvernement catalan au moment de son arrestation.

Les autres appartiennent aux deux principaux partis catalans : Junts per Catalunya, celui de Puigdemont, et l’ERC.

3/ Les deux partis n’ont pas tout à fait la même appréciation sur la conduite à tenir. Ils sont d’ailleurs en concurrence : Junts, parti plutôt de droite, dirige la Catalogne depuis vingt ans mais l’ERC (gauche) tend aujourd’hui à le supplanter dans les urnes. Le premier se montre plus dur aujourd’hui que l’ERC qui serait davantage encline à rechercher un compromis avec Madrid.

4/ Les réactions à l’annonce du verdict ont été vives. Des manifestations spontanées se sont produites, l’aéroport de Barcelone et l’autoroute vers la France ont été un moment bloqués.

Traditionnellement, les manifestations en Catalogne sont toujours pacifiques. A mon avis trop. Les rassemblements jusqu’à un million de personnes (j’y ai participé l’année dernière lorsque j’avais été invité par les dirigeants catalans à m’exprimer sur place) et les chaines humaines à travers le pays n’ont aucun impact sur Madrid et sur la population espagnole qui, en dehors de la Catalogne et du Pays Basque, est massivement hostile non seulement envers l’idée d’indépendance catalane mais aussi envers toute discussion ou « faiblesse » envers les séparatistes.

J’ai constaté aussi, pour le déplorer, que les Catalans attendent trop de l’Union européenne. Convaincus de leur bon droit, ils ont la naïveté de penser que leur cause pourra être comprise dans les pays de l’UE.

Il est clair que tant qu’ils s’en tiendront à la stratégie sans issue adoptée jusqu’ici, les lignes ont peu de chances de bouger. L’UE a d’autres chats à fouetter sans s’occuper de ce dossier que peu connaissent en dehors des frontières de l’Espagne. C’est pourquoi, on en reste à l’hypocrite attitude de se cacher la tête dans le sable en refusant d’intervenir dans les « affaires intérieures » de l’Espagne.

5/ Quelles sont les perspectives ?

Les plus optimistes constatent que les juges de Madrid ont retenu l’accusation de « sédition » et non de « rébellion », ce qui a légèrement atténué le verdict. Ils veulent croire à la possibilité d’un « indulto » (« pardon » décidé par l’exécutif, ce qui n’est pas tout à fait pareil qu’une amnistie : on libère mais on n’efface pas le « crime »).

De toute façon, pour le moment l’Espagne n’a en pratique plus de gouvernement. Le socialiste actuellement au pouvoir, incapable de former une majorité à l’issue des dernières élections, expédie les affaires courantes en attendant le prochain scrutin, d’ici un mois. Cette instabilité dure depuis deux ans. En fait, l’Espagne est gouvernée pour la gestion des affaires quotidiennes par les « communautés autonomes » (régions), Catalogne comprise, qui ont des compétences très étendues (éducation, santé, police de proximité, etc) et, pour ce qui relève de l’économie et de la monnaie, de Bruxelles, l’Espagne n’étant plus qu’un pays à souveraineté limitée.

6/ Je n’ai pas de conseils à donner aux Catalans. Je ne puis toutefois pas m’empêcher d’être relativement critique sur la stratégie qu’ils ont adoptée jusqu’à présent : déclaration d’indépendance sans s’en donner les moyens, bras de fer avec Madrid sans vraiment combattre, absence de recherche d’alliés ailleurs en Espagne et, au contraire, attente déraisonnable de l’Union européenne qui sera pourtant la dernière à intervenir.

Quant aux Espagnols, si, pour une fois dans leur histoire, ils acceptaient la recherche de solutions de compromis et s’ils faisaient preuve, pour une fois aussi,  de mansuétude plutôt que de vouloir « punir » (c’est ce que demande l’ « homme de la rue », même parmi les moins excités, je l’ai constaté y compris dans le Pays de Valence où, pourtant, on parle aussi catalan) ceux qui ont l’outrecuidance de remettre en cause la mythique « Espagne, une et indivisible ».

Le pire n’est pas toujours nécessairement le plus probable, même en Espagne. J’espère que ce que je disais il y a trois ans à mes étudiants de Barcelone (où je donnais un cours de relations internationales à l’université), incrédules : « un jour, les tanks espagnols seront sur les Rambles de Barcelone et tireront sur le foule, comme on l’a vu en Yougoslavie, autre pays que je connais bien et qui avait l’air pacifique, avant », n’adviendra pas et que, enfin, les Espagnols reprendront leurs esprits. Eux aussi ont d’autres chats à fouetter : chômage, services publics, islamisme (en proportion d’une immigration qui s’accroit)./.

Yves Barelli, 15 octobre 2019                                                       

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26 mai 2019 7 26 /05 /mai /2019 21:11

Depuis des semaines, nos médias et nos politiciens nous rebattaient les oreilles avec l’élection des figurants (souvent des « recalés » du suffrage universel dans leurs pays ou, dans le nôtre, des jeunes sans doute plein d’avenir, désignés par les partis pour faire leurs  premières armes dans la vie politique) au « parlement » européen. La plupart de ces médias et politiciens, adeptes de la religion européiste ou/et au service du système mondialisé qui entend briser les nations et transformer les citoyens en consommateurs interchangeables d’un « territoire » (remplaçant les bons vieux « pays ») à l’autre (c’est dans cet esprit qu’on fait circuler des « travailleurs détachés », l’un des scandales de l’UE), ont souligné à qui mieux mieux l’ « enjeu historique» du scrutin (il fallait barrer la route aux méchants « populistes ») et l’importance capitale (désormais à leurs yeux supérieure aux vrais parlements, les nationaux) de ce « machin » coûteux qu’ils baptisent « parlement » (un vrai parlement représente le peuple dans un Etat ; or l’Union européenne n’est pas un Etat et ses habitants ne forment pas une nation). Ils ont pourtant oublié (ou alors ils n’en tiennent pas compte, ce qui est encore pire) que les peuples ne se sentent pas concernés par cette mascarade qu’est la « construction » européenne, œuvre de technocrates au profit de politiciens au service du système. En dépit de la propagande éhontée qui les abreuve, les Européens (c’est-à-dire les habitants du continent) sont étrangers à la machine bruxelloise à laquelle d’ailleurs ils ne comprennent pas grand-chose. C’est pourquoi à peine la moitié se sont dérangés pour voter et ceux qui l’ont fait ne l’ont fait, dans leur écrasante majorité, qu’en fonction de considérations politiques nationales, se souciant comme d’une guigne de ce qu’il adviendra de ce soit disant « parlement ».

1/ Vu ce qui précède, ce nouveau « parlement » « élu » ne mérite pas de commentaire particulier. Compte tenu du faible taux de participation, il ne constitue même pas un sondage d’opinion en grandeur réelle tant l’ « échantillon » n’est pas représentatif. Je me contenterai de me féliciter de la « montée » dans ce « parlement » du « populisme » « eurosceptique », comme on dit (terme, au demeurant absurde : l’Europe est une réalité géographique ; peut-on être sceptique vis-à-vis d’une réalité ? Réalité, j’ajoute, qui n’a rien à voir avec l’UE : personnellement, je me sens très Européen, parce qu’il y a, de l’Atlantique à l’Oural, et au-delà, une communauté de civilisation : dans le même temps, je souhaite qu’on mette fin à cette « Union européenne » qui ne sert à rien et qui est même nuisible pour le continent et ses peuples). Cette assemblée a très peu de pouvoirs mais, avec le peu qu’elle  a, si elle peut bloquer l’œuvre néfaste de la Commission (avant qu’on supprime celle-ci), ce ne sera pas plus mal.

2/ L’ «enjeu » en France était de sanctionner ou non Macron. C’est fait : en arrivant en tête, la liste du Rassemblement National de Marine Le Pen concrétise cette sanction. Je m’en félicite tout en gardant la tête froide. Fondamentalement ce vote-sanction a peu de signification : Marine Le Pen est loin d’être aux portes du pouvoir !

3/ Je regrette que la liste de Debout la France n’atteigne pas les 5% qui lui aurait permis d’envoyer des représentants au « parlement » européenne. Nombre de ses soutiens ont préféré voter « utile » en votant Le Pen. Je les comprends.

Je regrette aussi que les listes de François Asselineau et de Florian Philippot aient, comme celle de Dupont Aignan, souffert du vote utile. Ce sont des personnalités de qualité qui ont beaucoup de choses intelligentes à dire. Mais pourquoi se sont-ils obstinés à se lancer dans cette galère ? Ils auraient été bien plus utiles en rejoignant la liste du RN ou celle de DLF.

4/ Le mouvement des « gilets jaunes » a indirectement pesé sur le vote de ce jour. S’il a permis de « gonfler » le vote Rassemblement National, tant mieux. J’ai beaucoup de sympathie pour tous ceux qui ont passé du temps sur les ronds-points et qui défilent, dans le danger de la répression policière, tous les samedis depuis six mois. Cela a été utile et le reste. Mais cela ne saurait suffire : un prolongement politique est nécessaire ; être « gilet jaune », cela ne doit pas empêcher de voter ; au contraire, cela devrait inciter à le faire.

5/ Dans chaque pays, les votes ont reflété, plus ou moins (quand il n’y a que 15% de participation, comme par exemple en Tchéquie, cela reflète rien du tout), les rapports de force internes.

A cet égard, je me félicite de la victoire de la liste « Brexit » en Grande Bretagne, victoire cocasse et absurde, d’ailleurs, quand on sait que, le Royaume-Uni quittant l’UE, les élus britanniques au « parlement » européen ne siègeront pas.

Je me félicite aussi de celle des patriotes « populistes » d’Italie, de Hongrie (la liste Orban a la majorité absolue), de Pologne et d’ailleurs. Salvini ou Orban nous montrent la voie à suivre. Merci. 

En Espagne, la victoire des listes indépendantistes à Barcelone (on votait aussi en Espagne pour les municipales et certains parlements de Communautés Autonomes) me fait chaud au cœur. Manuel Valls, ancien premier ministre de Hollande, s’est ridiculisé en se présentant à l’élection de la capitale catalane aux côtés de la droite anti-indépendantiste. Ce personnage opportuniste qui se gargarisait du mot « république » lorsqu’il était à Matignon fait désormais campagne pour l’intégrité du « royaume » d’Espagne. Lamentable ! Aux poubelles de l’histoire, tant de la France que de la Catalogne. Il ne méritait même pas les cinq lignes que je lui ai consacrées.

XXX

Comme on disait autrefois « ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Les peuples européens ne sont pas encore libres. Ils commencent à se libérer dans leur tête, préalable à la libération continentale./.

Yves Barelli

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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 10:04

Les élections législatives anticipées (les troisièmes en trois ans) du 28 avril ont consacré une suprématie socialiste sur laquelle peu auraient parié il y a trois mois. La nette victoire du PSOE constitue davantage un rejet de la droite qu’une réelle adhésion au parti de Pedro Sanchez. Elle s’explique par l’erreur stratégique du Parti Populaire (droite), déjà déconsidéré par les graves affaires de corruption qui avaient entrainé la chute du gouvernement de Mariano Rajoy, qui s’est laissé aller à conclure une alliance de fait avec le nouveau parti d’extrême-droite Vox, ouvertement hostile au régime démocratique instauré en 1975 à la mort de Franco. Ces élections se sont tenues sur fond de crise catalane avec une incidence à double détente : le séparatisme catalan a entrainé une exacerbation du nationalisme espagnol qui a d’abord profité à la droite, la plus anti-catalane et donc la plus en phase avec le sentiment populaire le plus répandu en Espagne, mais, dans un deuxième temps, a paradoxalement favorisé la gauche socialiste qui a su profiter des outrances fascisantes de Vox et de la surenchère des autres partis de droite.

Sanchez formera un nouveau gouvernement, soit minoritaire, soit en union avec Podemos et peut-être les nationalistes basques. Restera alors à s’attaquer enfin sérieusement au problème catalan, abcès de fixation de toute la politique espagnole depuis deux ans : le déni de démocratie qu’est le refus de reconnaitre le droit à l’autodétermination du peuple catalan, l’incarcération depuis plus d’un an de douze dirigeants catalans (un procès de type politique est en cours), pourtant pacifiques et démocratiquement élus, et l’absence de réponse institutionnelle de la part de Madrid ne pouvant se poursuivre encore longtemps au risque de rendre la situation intenable.

1/ Avec une participation en hausse, la victoire socialiste est nette. Le PSOE a recueilli environ 29% des suffrages, le Parti Populaire (droite classique) 17%, Ciudadanos (nouveau parti de droite formé en réaction tant à la corruption du PP qu’au séparatisme catalan) 15%, Podemos (gauche plus radicale, l’équivalent de la France insoumise) 13% et Vox (nouveau parti d’extrême droite) 10%, le reste (près de 30%). allant essentiellement aux partis nationalistes catalans et basques.

Le parlement espagnol est composé de deux assemblées : le « congrès des députés » (chambre « basse », la principale) et le sénat (chambre haute). Les deux sont élues dans un scrutin à un tour à la proportionnelle intégrale, sur une base nationale pour la première et départementale pour la seconde (ce qui donne une prime pour les grands partis, les petits n’ayant souvent aucun élu dans les circonscriptions peu peuplées).

Au congrès des députés, le PSOE (socialiste) détiendra dorénavant 123 sièges (sur 350), le PP 66, Ciudadanos 57, Podemos 42 et Vox 24. Les partis nationalistes ou régionalistes (très importants car ils sont indispensables pour former une majorité) ont les députés suivants : 22 pour les Catalans (15 pour ERC et 7 Junts per Catalunya – voir remarque infra), 10 pour les Basques (6 le PNB, nationaliste de droite, et 4 pour EH, nationaliste de gauche) et 6 pour d’autres « communautés autonomes » - Canaries, Navarre).

La majorité absolue étant de 176 sièges, aucun parti ne l’atteint au congrès des députés. Le PSOE devra donc conclure des alliances ou, au moins, bénéficier d’abstentions. En revanche, au sénat, le PSOE a la majorité absolue à lui seul, ce qui lui facilitera la vie (comme c’est généralement le cas en régime bicaméral, les projets de loi sont soumis à « navette » parlementaire, ce qui n’empêche pas la suprématie de la chambre « basse » mais peut la freiner).

2/ Pourquoi cette victoire ? On peut l’attribuer à deux facteurs.

La droite du Parti Populaire a fait une erreur stratégique de taille en s’alliant au parti néo-fasciste (voir infra) Vox. D’abord l’année dernière en Andalousie où il s’est allié à Vox pour chasser à l’occasion d’élections régionales les socialistes au pouvoir à Séville depuis 1975 et pour gouverner avec lui (Vox n’y est qu’une force d’appoint). Puis en tentant de rééditer l’opération au niveau national.

L’image des trois leaders de droite, Pablo Casado (nouveau leader du PP en remplacement de Mariano Rajoy, qui avait un peu plus de sens politique), Albert Ribera (Ciudadanos) et Santiago Abascal (Vox), côte à côte le mois dernier sur une estrade du paseo de la Castellana lors du meeting populaire de « grande ampleur » (mais qui n’a réuni qu’un nombre assez restreint de participants, la plupart venus gratuitement de toute l’Espagne en cars spécialement affrétés), a été catastrophique. Depuis, Casado a essayé de prendre ses distances avec Vox mais le mal était fait. Les socialistes et toutes les autres forces de gauche se sont engouffrés dans la brèche en sonnant le banc et l’arrière banc de tout ce qui compte d’antifascistes en Espagne. Cette faute politique du PP explique la plus forte mobilisation de l’électorat (plus de 70%) que d’habitude et largement la défaite de la droite.

Le deuxième facteur est la politique menée par Sanchez depuis un an qu’il était au pouvoir. Il a pris quelques mesures sociales (le smic devrait augmenter de 20%, ce qui peut poser des problèmes pour les petites entreprises) rompant avec les politiques d’austérité du passé imposées par Bruxelles (les socialistes espagnols se sont sans doute inspirés de la politique qui est un succès  menée par l’union de la gauche – socialistes et communistes – depuis deux ans au Portugal). S’y est ajoutée une mesure symbolique qui contribue à resserrer les rangs de la gauche : l’exhumation des restes de Franco du mémorial du « Valle de los Caidos » (vallée des morts) construit après la fin de la guerre d’Espagne, par des milliers de prisonniers politiques, pour y célébrer la victoire fasciste.                            

3/ Quelles sont les forces en présence dans le nouveau parlement ? Cinq formations nationales principales sont représentées au parlement. Deux de gauche et trois de droite. S’y ajoutent les partis indépendantistes.   

Le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) est un parti historique (qui existait déjà sous la république, avant la dictature franquiste). Depuis le rétablissement de la démocratie, il a gouverné à plusieurs reprises (sous Gonzales et Zapatero). Ses adversaires de gauche l’accusent d’avoir souvent mené une politique de droite et d’avoir trahi ses valeurs historiques en acceptant le rétablissement de la monarchie (ce qui peut se justifier par le compromis de 1975, mais est davantage incompréhensible quant à l’acceptation du roi actuel en remplacement de Juan Carlos, quasiment forcé d’abdiquer à la suite de scandales à répétition ; à noter que la monarchie, imposée par Franco avant sa disparition, n’est pas populaire en Espagne – les sondages le montrent -, que beaucoup la considèrent comme une injure faite aux victimes de la dictature qui s’était imposée par les armes contre la république démocratiquement légitime ; un facteur aggravant du rejet de la monarchie est qu’elle est incarnée par les Bourbon, famille d’origine étrangère imposée au 17ème siècle ; les Bourbon sont honnis en particulier dans les régions de l’antique couronne d’Aragon – Aragon, Catalogne et Valence – où la répression sanglante de l’époque a laissé un vif  souvenir jusqu’à aujourd’hui). Le gouvernement de Zapatero a été si impopulaire (notamment en appliquant les mesures d’austérité imposées par l’UE) que sa défaite aux élections de 2011 (voir mon article du 21 novembre 2011 : « Espagne-Elections-Leçons d’un suicide socialiste ») a été si cuisante qu’on pensait ce parti durablement écarté de la vie politique (situation du même type que celle du PS français après le mandat de Hollande). Le PSOE est « européiste » et atlantiste, donc « politiquement correct » vu de Bruxelles ou Washington.   

Le Parti Populaire, formé en 1975, a été considéré comme l’héritier du régime de Franco, mais il a eu l’intelligence de se rallier à la démocratie. Il est en fait dans la lignée des partis chrétiens-démocrates existant en Europe. Il incarne donc la tradition « nationale » (il est réservé vis-à-vis des autonomies régionales), chrétienne (tout en soutenant la laïcité) et « européiste ». Politiquement correct, donc, aussi. Le mandat de Mariano Rajoy s’est aussi mal terminé en 2016 que celui de Zapatero : scandales et politique antisociale, auxquels s’est ajoutée une gestion calamiteuse du dossier catalan (intransigeance certes populaire ailleurs qu’en Catalogne mais ne menant nulle part).

A ces partis de gouvernement, se sont opposés deux nouveaux partis créés ces dernières années. « Podemos » se veut un parti « jeune », « alternatif » et « innovant ». Son leader charismatique, Pablo Iglesias, issu de la société civile, a eu un certain succès, notamment dans la jeunesse. Il a capitalisé sur le rejet tant du PP que du PSOE. Il est toutefois handicapé actuellement par l’absence de ligne politique claire (aggravée par des dissensions entre dirigeants) et l’accusation qui lui est portée d’être trop accommodant envers les Catalans (Podemos, notamment en Catalogne, évite de se prononcer sur l’indépendance, se contentant de soutenir le droit à l’autodétermination, ce qui est une position sage mais impopulaire ailleurs qu’en Catalogne). Podemos se présente souvent aux élections en compagnie de l’Union Populaire et du Parti Communiste, formation historiquement importante, en perte de vitesse comme ailleurs mais qui conserve des partisans.

Ciudadanos est un peu l’équivalent de Podemos, mais pour la droite. Cette formation est née en Catalogne pour s’opposer au mouvement indépendantiste (elle y est soutenue essentiellement par des immigrés castillans ou andalous, les Catalans de souche anti-indépendantistes étant très minoritaires) et elle s’est développée en Espagne en opposition à la droite classique, embourbée dans les scandales de corruption.

Dans leurs motivations et fonctionnement, Podemos (« nous pouvons ») et Ciudadanos (« les citoyens ») ont quelques affinités avec le mouvement italien « Cinque Stelle » (Cinq Etoiles).

Vox est le dernier apparu sur la scène espagnole. Créé il y a moins d’un an en Andalousie en réaction au PSOE (qui gouvernait la région jusqu’à l’élection de 2018), il a adopté une posture radicale anti-gauche, anti-avortement, anti-homosexuels, misogyne, anti-Catalans, anti-autonomies régionales, anti-immigration et, finalement, anti-démocratie. Il est clairement Franco-nostalgique.

A ces partis nationaux s’ajoutent les partis nationalistes qui dominent la vie politique catalane et basque (même les partis nationaux, tels le PSOE, sont généralement présents en Catalogne et au Pays Basque sous des noms locaux).

En Catalogne, les partis indépendantistes sont majoritaires au parlement catalan (et sont donc représentés en proportion au parlement espagnol). Jusqu’à présent, « Junts per Catalunya » (ensemble pour la Catalogne), la formation de Carles Puigdemont, était majoritaire. La seconde formation, l’Esquera Republicana Catalane (ERC, gauche républicaine catalane), gouverne à Barcelone avec Junts. (Pour les détails de la crise catalane et l’évolution de l’Espagne voir sur ce bloc les 26 articles que j’ai publiés depuis 2012)   

Depuis quelques mois des dissensions sont apparues entre ces deux partis. Elles tiennent à la stratégie à adopter vis-à-vis de Madrid. Junts est le plus radical. Des négociations ont eu lieu avec le gouvernement de Pedro Sanchez. Elles ont achoppé sur le droit à l’autodétermination, refusé par Madrid. C’est ce qui a conduit les Catalans (Junts mais aussi l’ERC) a refuser de voter le budget 2019, ce qui a entrainé la chute du gouvernement de Sanchez et la convocation des élections qui viennent de se tenir).

L’ERC est un peu plus conciliante. La raison en est sans doute que son leader Oriol Junquera est emprisonné, en compagnie de onze autres dirigeants catalans, depuis plus d’un an pour avoir organisé la référendum d’autodétermination (non reconnu par Madrid) d’octobre 2017 et avoir participé à la proclamation de l’indépendance (Puigdemont et d’autres sont en exil à Bruxelles). Le procès des patriotes catalans est actuellement en cours et Junquera préfère ne pas jeter de l’huile sur lez feu. A titre anecdotique, je signale qu’il vient d’être élu député (5 autres emprisonnés l’ont été aussi), ce qui va poser des problèmes pratiques s’ils restent incarcérés.  

L’électorat catalan semble avoir donné raison à Junquera puisqu’il envoie à Madrid 15 députés de l’ERC et seulement 7 de Junts, inversant pour la première fois le rapport de forces entre les deux formations catalanes.

Le cas basque est un peu différent. Après le traumatisme de la lutte armée de l’ETA, le gouvernement de Vitoria (capitale d’Euskadi) préfère renvoyer à plus tard la revendication d’indépendance (majoritairement soutenue au Pays basque) et collaborer avec le pouvoir de Madrid. Cette stratégie est plutôt payante : les Basques ont obtenu pas mal d’avantages (notamment en matière fiscale ; ils sont en outre totalement autonomes pour la gestion courante du pays : ainsi le basque est langue officielle et d’enseignement – c’est aussi le cas pour le catalan en Catalogne). C’est ce qui explique qu’ils aient soutenu les gouvernements de Rajoy puis de Sanchez (tout en jouant un rôle de médiateur avec les Catalans). A noter que cette attitude renoue avec l’histoire basque, nation sans Etat qui réussit à sauvegarder sa spécificité en composant avec les pouvoirs centraux, y compris en France (où il n’y a même pas de département basque et où le basque n’a aucun caractère officiel ; pourtant toutes les municipalités basques ont formé une communauté de communes et, de fait, assurent avec un certain succès la promotion de la langue, de la culture et des intérêts basques).

Deux partis basques envoient des députés au parlement de Madrid, le PNB, conservateur, 6 députés) et EH (gauche radicale, 4 députés), auxquels s’ajoutent 2 députés de Navarre.                  

4/ Que sera le prochain gouvernement ? Le PSOE en formera l’ossature. Il avait le choix entre une alliance avec Podemos et avec Ciudadanos. Mais cette dernière possibilité est vite apparue irréaliste car les militants de base du PSOE y sont hostiles et Ciudadanos, par la voix de son leader, Albert Ribera, a fait savoir qu’il n’en était pas question. Ce parti aurait en effet beaucoup à perdre : il s’est constitué en parti « propre » contre les dérives du PSOE et du PP et s’est mis en avant sur le dossier catalan en affrontant les indépendantistes. Or, Sanchez est soupçonné, à tort ou à raison (s’il est intelligent, à raison) de vouloir rechercher un compromis (qui pourrait être la création d’un Etat fédéral) avec les Catalans.

Il est donc possible de Podemos participe au prochain gouvernement. Il le revendique (c’est aussi le vœu des syndicats exprimé le 1er mai). Une autre option, proposée par Sanchez,  serait un accord de programme avec soutien sans participation. Les discussions s’annoncent serrées et peut-être longues. De toute façon, cela ne suffira pas à assurer une majorité. Les deux formations ont ensemble 165 députés. Manquent 12 pour arriver à la majorité absolue. Le soutien du PNB basque est acquis. Il manquera encore 6 sièges : on trouvera sans doute des Navarrais et des Canariens pour s’en approcher.

Mais la majorité ne pourra être complètement sécurisée qu’avec le soutien ou au moins la neutralité bienveillante (abstention lors des votes importants, tel le budget, et pas de vote hostile) des Catalans. Peut-être au moins de l’ERC, surtout si Madrid a l’intelligence (on peut rêver !) de ne pas faire des patriotes emprisonnés des martyrs de la cause s’ils sont condamnés à de lourdes peines.                                        

5/ La question catalane sera en première place dans l’agenda du nouveau gouvernement.

Cette question est pendante depuis 2010. La Catalogne est une nation qui existe depuis le 10ème siècle (alors que l’Espagne ne s’est constituée en tant qu’Etat qu’à la fin du 15ème). Elle a sa langue, très vivante, sa culture, son histoire, ses traditions, son architecture et ses arts, sa sociologie, son dynamisme économique, sans oublier le prestigieux « Barça », « mes que un club » (plus qu’un club), l’un des porte-drapeaux de la Nation. Au cours de son histoire, elle a eu à subir maintes fois la domination et la répression de la Castille. Celle des Bourbons au 17ème siècle, plus récemment celle de Franco, enfin celle de Rajoy.

Depuis 1975 un compromis avait pu être trouvé sous la forme de la création de « communautés autonomes » (équivalent de régions ou, quasiment, d’états fédérés) disposant de compétences à la carte, celles étant les plus étendues pour les nationalités historiques que sont la Catalogne et le Pays basque. Cette autonomie, que peuvent envier les régions (autrefois nations) historiques de France, a dans l’ensemble bien fonctionné (en dépit des conflits de compétences entre la « Generalitat de Catalunya » et l’état central : à titre d’exemple le catalan est seule langue officielle (avec l’occitan, ce qui est anecdotique) de la Catalogne, mais le castillan est seule langue de l’Etat espagnol dont fait partie la Catalogne, ce qui peut être contradictoire ; il y d’autres exemples, en matière de routes, de police, etc).

La rupture psychologique entre Catalans et Espagnols est intervenue en 2010 lorsque le « tribunal constitutionnel » (conseil constitutionnel) de Madrid (formé de « juges » largement issus de la période franquiste ou en ayant conservé la mentalité) a « retoqué » le projet de nouveau statut (constitution) de la Catalogne, pourtant peu différent sur le fond du précédent, sous prétexte que son préambule parlait de « nation catalane » qui existe depuis mille ans (le tribunal a considéré, niant les réalités, que la seule « nation » est l’espagnole). Cela a été pris par les Catalans comme une gifle et cela a entrainé (visible dans les sondages d’opinion qui sont régulièrement faits) que le sentiment indépendantiste (mis en sommeil par opportunité) a explosé et est devenu majoritaire. Toutes les élections au parlement de Barcelone ont confirmé ce sentiment en y envoyant des majorités de partis indépendantistes. Dès lors, les Catalans ont demandé à exercer le même droit à l’autodétermination qui a été accordé dans un passé récent par exemple aux Québécois, aux Kosovars ou aux Ecossais. Refus de Madrid qui s’appuie sur la constitution espagnole qui ne prévoit pas ce droit. Donc droit au divorce interdit, ce qui est une conception bizarre de la démocratie. Cela n’est pas sans rappeler la constitution française qui ne prévoyait pas non plus le droit à la sécession de l’Algérie, alors partie intégrante de la France. Il y a fallu huit ans de guerre et des centaines de milliers de morts pour que ce droit puisse s’exercer (dans les pires conditions). Faudra-t-il la même chose en Catalogne ?

Pour l’heure, la volonté des Catalans n’est pas à la guerre. Ils multiplient depuis bientôt dix ans les marches et les manifestations pacifiques (j’ai participé en septembre 2018 à celle qui marque, comme chaque année, la fête nationale catalane : près d’un million de participants sur les dix kilomètres de la « Diagonal » de Barcelone, pas une seule vitre brisée). Leur pacifisme n’est pas récompensé. Las d’attendre que Madrid se décide, les Catalans ont organisé eux-mêmes ce référendum d’autodétermination tant attendu le 1er octobre 2017. On a alors vu les gardes civils de l’Etat espagnol matraquer à l’intérieur des bureaux de vote des femmes et des vieillards venus simplement exercer leur droit démocratique. En réponse à la répression et au vu des résultats du référendum (certes tenus dans des conditions particulières, et pour cause !), le parlement catalan a déclaré l’indépendance le 27 octobre, ce qui a amené le gouvernement espagnol à suspendre l’autonomie de la Catalogne et arrêter douze dirigeants catalans tandis que Carles Puigdemont, président catalan, et des ministres se sont réfugiés en Belgique. Le gouvernement de Rajoy a ensuite organisé de nouvelles élections au parlement catalan en décembre 2017, à nouveau remportées, avec une majorité amplifiée, par les indépendantistes.

On en est là. Jusqu’à présent la violence a été évitée. Le gouvernement catalan n’a pas demandé à sa police de s’opposer aux gardes civils venus de Madrid, il a accepté de ne pas tenir compte de la proclamation de l’indépendance (sans effet pratique) et de participer à nouveau aux élections espagnoles. Il a également accepté de discuter avec Pedro Sanchez.

Côté espagnol, en revanche, l’intransigeance a prévalu. Le gouvernement de Rajoy s’est montré totalement fermé et a tenté, en vain, de passer en force. Pedro Sanchez a été un peu plus ouvert mais les discussions ont achoppé sur son refus d’accepter le référendum d’autodétermination. Dans le même temps la justice, soit disant « indépendante », poursuit son œuvre ; les douze arbitrairement emprisonnés sont actuellement en jugement (le procès pourrait durer des mois).

Pedro Sanchez, conforté par le vote de dimanche dernier, sera davantage en situation de rechercher, enfin, une solution au problème catalan. Il sera d’autant plus enclin à cette recherche qu’il a besoin des députés nationalistes basques et catalans pour conforter sa majorité précaire.

Mais en face, son problème est que l’opinion publique espagnole (hors Catalogne et Euskadi) est viscéralement anti-catalane. Agiter la menace d’une sécession catalane, donc amputer l’Espagne « éternelle », c’est comme agiter une cape rouge devant un taureau. J’ai pu personnellement constater (je suis souvent en Espagne et, aujourd’hui, ces lignes sont écrites depuis ce pays) que même des gens habituellement raisonnables peuvent devenir hystériques lorsqu’on aborde le sujet. Ces mêmes personnes sont aussi déraisonnables que ce que l’Espagne a souvent été dans son histoire : un peu comme un enfant qui préfère subir (« même pas mal !») plutôt que de chercher un compromis. En face, les Catalans restent déterminés (j’en suis le témoin). Ils sont déterminés à recouvrer leur liberté, à le faire pacifiquement (stratégie contestable l’histoire ayant  prouvé que les Espagnols ne lâcheront rien s’ils n’y sont pas contraints) et à la faire avec l’aide de l’Europe (quelle naïveté !).

Malheureusement, l’attitude des pays de l’Union européenne, à commencer par la France, n’a pas contribué à aider à trouver une solution. L’UE s’est hypocritement retranchée derrière la constitution espagnole et l’« état de droit », qui en fait est le droit de l’oppression, pour considérer la question catalane comme un non-problème international puisque « affaire intérieure » espagnole. Sans peur de la contradiction : l’UE avait soutenu le droit à l’autodétermination du Kosovo, pourtant partie intégrante de la Serbie (c’était même son berceau historique) depuis des siècles, et on trouve aujourd’hui nombre d’ « européistes » qui encouragent les Ecossais à demander un nouveau référendum d’autodétermination sous prétexte que, eux, étaient contre le Brexit. Et quand on voit le président de la commission européenne, issu d’un petit pays de moins d’un million d’habitants, le Luxembourg, déclarer qu’il est contre l’indépendance de la Catalogne (8 millions d’habitants et un PIB supérieur à celui de la majorité des pays membres de l’UE) parce qu’il y a déjà trop d’états en Europe, on atteint le ridicule.

Pourtant, tout espoir n’est pas perdu. Jusqu’à présent les Catalans ne sont pas tombés dans la violence (mais il ne faudrait pas attendre trop). Beaucoup de choses les lient aux Espagnols. Je suis convaincu qu’ils s‘accommoderaient, à titre de compromis, d’une plus large autonomie (sous forme par exemple de « souveraineté-association », c’est-à-dire d’un abandon volontaire de souveraineté) dans le cadre d’un Etat fédéral (avec plusieurs langues officielles comme au Canada, en Suisse ou en Belgique : la référence belge est intéressante, les deux nations y étant si souveraines qu’elles ne voient pas d’inconvénient majeur à conserver un Etat commun).

6/ La question catalane ne devrait pas occulter les problèmes économiques, sociaux et d’immigration. Bien que la situation économique soit un peu meilleure qu’après la crise de 2008, le chômage reste élevé (15%) et les salaires plus bas qu’en France (le coût de la vie aussi). La corruption endémique reste un problème (ainsi que le travail au noir qui lui est partiellement lié). L’immigration commence à être un problème avec un afflux d’immigrants illégaux (sud-américains, bien assimilés, Roumains et Bulgares, assez bien acceptés car soucieux, eux aussi, de travailler et de s’assimiler, mais aussi, de plus en plus musulmans qui forment des contre-sociétés et qui constituent les gros contingents de délinquants mais aussi de terroristes).

Jusqu’à présent, l’Europe et l’immigration n’étaient pas entrées dans la problématique politique. L’UE est finalement bien acceptée en dépit de l’austérité imposée (pour le comprendre il faut se souvenir que l’entrée dans l’UE a été vue comme la concrétisation que l’Espagne était devenue enfin un pays démocratique « normal » ; les Catalans sont aussi sur cette ligne). L’afflux d’immigrés à problèmes commence seulement à être ressenti par la population. Ceci explique qu’il n’y ait pas, actuellement, de parti « souverainiste » ou « identitaire » ou « populiste » comme c’est le cas dans un nombre croissant de pays. Considérer Vox comme un nouveau parti-frère du RN, de DLF, de la Liga de Salvini, du PiS polonais ou du FIDESZ d’Orban serait une grossière erreur et causerait sans doute les mêmes problèmes à ceux qui seraient tentés de marcher avec lui qu’au Parti Populaire espagnol (qui le paye en perdant l’élection). Vox a peut-être des positions sur l’immigration qui sont sans doute justes mais, foncièrement, ce n’est qu’un parti fasciste.         

7/ Avant que les discussions sur la Catalogne ne reprennent et avant même, peut-être, la formation du nouveau gouvernement, les Espagnols sont à nouveau appelés aux urnes le 26 mai. Pas seulement pour le parlement européen, mais aussi dans la plupart des « communautés autonomes » (pas en Catalogne ni en Andalousie) pour renouveler les parlements régionaux ainsi que les municipalités (les résultats de Madrid et Barcelone sont particulièrement attendus). Le PSOE devrait, globalement, logiquement voir sa suprématie renforcée./.

Yves Barelli, 2 mai 2019                                                                                                     

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10 février 2019 7 10 /02 /février /2019 23:09

Un parti socialiste minoritaire au parlement et dans l’opinion et revenu au pouvoir par la faillite d’une droite déconsidérée par les affaires de corruption et sa calamiteuse gestion du dossier catalan, une nouvelle droite et même extrême droite qui veut en découdre avec les partis traditionnels de gouvernement et qui a le vent en poupe dans une opinion très remontée contre les Catalans, des partis catalans indépendantistes eux-mêmes divisés, une justice qui n’a pas évolué depuis la fin de Franco, un procès scandaleux qui s’ouvre contre douze dirigeants catalans emprisonnés depuis plus d’un an, seulement pour avoir demandé l’autodétermination pour la Catalogne, un gouvernement en passe d’être renversé au parlement, l’Espagne est en crise. Plus que jamais. Saura-t-elle surmonter ses travers historiques : nationalisme intolérant, divisions, incapacité à trouver une voie viable face à ses nationalités et à une Union européenne qui l’enferme dans sa politique d’austérité sans fin ?

1/ L’Espagne, qui a un régime parlementaire fondé sur la proportionnelle, a une représentation parlementaire qui, du fait de l’apparition de nouveaux partis et de l’importance des partis régionalistes et indépendantistes, n’a plus, depuis plusieurs années,   aucun parti dominant. Lors des élections de décembre 2015, le Parti Populaire (droite traditionnelle) avait obtenu 28,3% des voix (et à peu près, en simplifiant car le système avantage les petites provinces rurales, la même proportion au congrès des députés et au sénat, où la droite est un peu plus avantagée), le PSOE (socialiste) 22% (son gouvernement sortant, qui avait eu une gestion calamiteuse, avait été sanctionné), le nouveau parti de gauche Podemos (sorte de France Insoumise ou de Cinq Etoiles) 20,7%, Ciudananos, nouveau parti de droite concurrent du PP (il avait fait une campagne visant la corruption de nombre d’élus du PP) et encore plus jacobin que lui (très anti-catalan), 13,9%, le reste, près de 20% cumulé allant surtout aux partis indépendantistes ou nationalistes basques et catalans (ils sont majoritaires au pays basque et en Catalogne). A noter qu’il n’y a pas, en Espagne, d’équivalent du Renouveau National ou de Debout la France (il n’y a que des partis européistes et, jusqu’à présent, l’immigration n’était pas un thème de campagne).    

Aucune coalition gouvernementale n’ayant pu être mise sur pied malgré six mois de tractations, de nouvelles élections ont eu lieu en juin 2006. Elles ont donné une légère progression du PP, un léger tassement de Podemos et à peu près le maintien de tous les autres. Un gouvernement monocolore PP dirigé par Mariano Rajoy a pu être formé du fait du refus de Podemos de servir de force d’appoint au PSOE et d’un arrangement avec certains partis régionalistes (en particulier le PNV basque, qui y a trouvé son compte grâce à des avantages consentis aux Basques, qui bénéficient d’une autonomie de plus en plus effective : en ne demandant pas l’indépendance, ils n’ont pas la même stratégie que les Catalans) et, sur des points particulier, aux Catalans.

2/ Le gouvernement de Rajoy a pu tenir deux ans. Dans l’intervalle, la majorité indépendantiste élue en Catalogne, a demandé en vain l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Las de ne rien obtenir, elle l’a organisé elle-même le 1er octobre 2017. On a alors eu le sinistre spectacle de « gardes civils » venus de Madrid matraquant dans les bureaux de vote des femmes et des personnes âgées venus exercer leur droit démocratique. Les anti-indépendantistes ayant boycotté le vote, celui-ci n’a eu qu’une signification partielle. D’ailleurs, le pouvoir et la justice espagnols l’ont déclaré nul. Poursuivant sa logique, le parlement catalan, fort de sa légitimité démocratique (il est élu au suffrage universel) et du résultat du référendum, a déclaré l’indépendance de la Catalogne le 27 octobre 2017 (ce faisant, il a commis l’erreur de sous-estimer la réaction espagnole). Le pouvoir espagnol (soutenu par son opposition socialiste et l’opinion publique) a répondu en suspendant l’autonomie de la Catalogne, en dissolvant son parlement, en arrêtant les principaux leaders des partis indépendantistes (le président catalan, Carles Puigdemont, a pu fuir en Belgique où il se trouve toujours) et en convoquant, un peu après, de nouvelles élections catalanes. Le nouveau parlement catalan, élu le 21 décembre 2017 (avec un taux de participation de 82%) a redonné une majorité absolue indépendantiste (légèrement renforcée), désormais présidée par un ami de Puigdemont, Quim Torra, membre du PDcat, avec participation de l’autre grand parti catalan, ERC (Esquera Republicana Catalana), dont le leader, Oriol Junquera, est emprisonné. Le nouveau gouvernement catalan est, bien entendu, en étroite relation avec les exilés de Bruxelles.

L’affaire catalane a occupé l’essentiel de l’activité du gouvernement de Mariano Rajoy et de l’attention des Espagnols. En pratique, la faiblesse de ce gouvernement, minoritaire, rappelons-le, et la surenchère nationaliste (seuls les partis basques soutiennent les Catalans) rappelant les plus mauvais jours du franquisme, a empêché toute tentative sérieuse de rechercher une solution à la crise catalane, d’autant que la justice, en principe « indépendante », mais formée en grande partie de nostalgiques de Franco, a mis en route la procédure judiciaire anti-catalane : neuf dirigeants sont en prison sous l’accusation de « rébellion ».

C’est pourtant sur un tout autre motif que le gouvernement de Rajoy est tombé le 1er juin 2018 à la suite d’une affaire de corruption de grande ampleur qui a éclaboussé le PP jusqu’au sommet de l’Etat et rendu intenable le maintien au gouvernement de Mariano Rajoy, renversé par une motion de censure votée par tous les autres partis.

Nul n’ayant vraiment envie d’aller tout de suite à de nouvelles élections, c’est un gouvernement socialiste minoritaire dirigé par Pedro Sanchez qui a été formé (selon la disposition de la constitution espagnole qui stipule que l’auteur d’une motion de censure qui réussit est chargé de former le gouvernement). Nul ne lui prédisait une longue vie.

3/ Ce gouvernement socialiste est en effet pris entre deux feux.

D’un côté, il a besoin du vote positif des indépendantistes catalans pour faire adopter son prochain budget (on doit voter dans les prochains jours). Il doit donc adopter une position plus conciliante envers les Catalans que le gouvernement précédent, d’autant que ceux-ci bénéficient de la bienveillance des Basques et (moins avouée) de Podemos (et que les socialistes catalans essaient de conserver une position, intenable, d’équilibre entre indépendantistes et espagnolistes – ils sont pour l’autodétermination mais contre l’indépendance -).

C’est pourquoi Sanchez a entamé des discussions avec le gouvernement catalan. Mais l’exercice a deux limites : on ne peut pas parler d’autodétermination qui serait contraire à la constitution espagnole qui ne prévoit pas le droit à l’indépendance, et on ne peut pas parler non plus des prisonniers politiques en se retranchant derrière l’ « indépendance de la justice ». Tout au plus, Sanchez a-t-il accepté le principe de la nomination d’un « facilitateur » neutre pour organiser le dialogue entre les gouvernements espagnol et catalan.  

D’un autre côté, toute concession aux indépendantistes est vue par la droite comme une « trahison », accusation d’autant plus populaire que tous les sondages montrent qu’il existe une large majorité des Espagnols (en dehors de la Catalogne et du Pays Basque) qui réagit de manière épidermique dès qu’il s’agit d’un risque d’atteinte à l’unité de l’Espagne (j’ai moi-même constaté la prégnance de ce sentiment y compris chez des gens peu politisés et « raisonnables » qui changent immédiatement de ton dès qu’on parle des Catalans (ou des Basques): certains vont jusqu’à dire que la seule solution est d’envoyer l’armée à Barcelone pour y faire le « ménage » ; ces réactions sont visibles pas seulement en Castille, de tradition jacobine, mais aussi dans une région où je suis souvent, le Pays de Valence, pourtant de même langue que la Catalogne (pour se différencier on y nomme la langue le « valencien »). Le projet de nomination du « facilitateur », qui mettrait à égalité les deux gouvernements, alors que constitutionnellement l’un est national et l’autre seulement « régional », est considéré par la  droite (et certains socialistes) comme un franchissement de ligne rouge.   

Le résultat est que Sanchez ne sait pas comment prendre le problème et qu’il est en train de  braquer contre lui tant les Catalans que les autres.

4/ Les Catalans sont aussi embarrassés que les socialistes madrilènes. S’ils contribuent à renverser le gouvernement espagnol, ils risquent de se retrouver avec un pouvoir encore plus fermé et répressif. Le parti de Torra et Puigdemont est tenté par l’intransigeance. Celui de Junquera, emprisonné, serait davantage porté au compromis pour des raisons évidentes.

Mais il en est d’autres qui, constatant que l’action non violente adoptée depuis toujours par les Catalans pour se libérer de la domination espagnole n’est pas payante, commencent à envisager des modes d’action moins pacifiques.

5/ La surenchère d’un côté comme de l’autre a provoqué la rupture du dialogue entre Madrid et Barcelone : les Catalans ont fait savoir que, si Madrid refuse leurs demandes, ils ne voteront pas le budget, ce qui précipitera la chute de Sanchez, et les partis de droite demandent maintenant la démission du gouvernement socialiste.  

6/ C’est pour obtenir une caution populaire que les partis de droite ont organisé la manifestation qui a eu lieu le 10 février à Madrid.

Deux partis (le Parti Populaire et Ciudadanos) ont appelé à cette manifestation et un troisième, un nouveau venu sur la scène politique (Vox) s’y est associé. (Et un « outsider », Manuel Valls, qui ne recule devant aucune bassesse pour tenter de retrouver à Barcelone une place qu’il a perdu à Paris : pour le moment les sondages ne lui donnent aucune chance pour la mairie de la « cité comtale » ;  sans doute espère-t-il faire le plein des voix de droite et des nostalgique du fascisme, qui a pourtant détruit sa famille, pour tenter d’y parvenir : triste fin pour cet ex socialiste qui manifeste avec la racaille facho, cléricale et monarchiste  contre un gouvernement socialiste, lui le « républicain » qui voulait barrer la route à l’ « extrême-droite » française !).         

Le succès de cette manifestation est moyen : 200 000 personnes rassemblées sur la place de Colon à Madrid selon les organisateurs, 45 000 selon le gouvernement. La vérité est entre les deux. L’audience est significative mais ce n’est pas vraiment un raz-de-marée sachant que des centaines de cars ont été affrétés et payés par le PP et CC pour amener (gratuitement) à Madrid tous ceux qui voulaient y venir. Vox, avec moins de moyens, n’a pas mis en place ses cars.

Vox est un nouveau parti difficile à classer. Il est né à l’automne en Andalousie (il est encore peu présent ailleurs) où il a obtenu 10% des voix aux « régionales » qui viennent de s’y dérouler. Il participe désormais au gouvernement de Séville après de longues tractations (ses élus étaient indispensables pour renverser la majorité socialiste sortante). Vox a été élu sur un programme anti-immigration (c’est le premier parti à en faire son thème central : d’autant plus populaire que le gouvernement Sanchez en décidant d’accueillir les immigrants clandestins a suscité pour les passeurs une nouvelle route d’entrée en Europe, celles des Balkans et de l’Italie étant désormais fermées), mais aussi misogyne, anti-homo, traditionnaliste et, sans vraiment le dire, nostalgique du fascisme franquiste. Il est, comme on s’en doute, en pointe dans l’anti-catalanisme.

C’est cette surenchère qui a décidé les deux autres partis de droite à organiser la manifestation. Ciudadanos y avait intérêt (le parti est né il y a deux ans de la réaction en Catalogne de la part de certains citoyens anti-indépendantistes, le plus souvent d’origine andalouse ou castillane – en dehors de Manuel Valls, il y a peu de Catalans hostiles à l’indépendance, hostilité née, rappelons-le, de la politique obtuse suivie par Madrid concrétisée par le « tribunal constitutionnel », équivalent de notre Conseil Constitutionnel,  qui, niant les réalités, a retoqué en 2010 un nouveau projet de constitution locale, pourtant peu différente de la précédente, pour la simple référence dans son préambule à la « nation catalane qui existe depuis le 10ème siècle » : alors que les indépendantistes étaient, selon les sondages d’opinion, minoritaires avant – en tout cas nul ne mettait l’indépendance à l’ordre du jour – ils sont devenus majoritaires après -) car ses sondages sont bons. Pour le PP, c’est plus difficile car, compte tenu des « affaires », il a encore une mauvaise image.

7/ Les jours qui viennent vont voir les oppositions s’exacerber. Mardi 12 commence en effet le procès contre les indépendantistes emprisonnés. Selon les chefs d’inculpation qui seront retenus, ils risquent jusqu’à 25 ans de prison.

C’est en plein procès que risque de tomber le gouvernement de Sanchez, précipitant l’Espagne dans une crise dont on ne sait sur quoi elle va déboucher.

En cas, probable, de renversement du gouvernement socialiste et de nouvelles élections, il est plausible que la droite ait une majorité relative (PSOE et Podemos devraient sortir affaiblis) mais selon l’ordre d’arrivée de ses trois partis, la formation du gouvernement risque d’être difficile. Quel sera le score de Vox et donc sa place (peu probable) dans un nouveau gouvernement ? Si Ciudadanos arrive en tête (on s’y attend), le Parti Populaire acceptera-t-il d’être une force d’appoint? Et si Ciudadanos forme le gouvernement quelle sera sa politique. Pour le moment, c’est un parti de protestation (contre le PP, contre les socialistes, contre les Catalans) et on décèle mal chez lui un programme de gouvernement - il est vrai que, pour l’économique et le social, c’est à Bruxelles que ça se passe, et pour ce qui est quotidien, c’est surtout dans les régions, y compris, par exemple, pour l’éducation).    

Le nouveau gouvernement héritera, de toute façon, du dossier catalan et sera tenté (poussé en fait par ses électeurs et la surenchère) à la fermeté envers les Catalans, allant peut-être jusqu’à une nouvelle suspension, voire suppression, de l’autonomie. Les Catalans risqueraient alors de réagir moins pacifiquement, surtout si des innocents sont condamnés dans le procès qui commence après-demain et qui a déjà l’allure d’une parodie de justice.

On attend aussi la réaction des pays de l’Union européenne qui ont préféré se mettre la tête dans le sable pour ne pas regarder la réalité en face. Que signifie cette posture de s’arcbouter sur un soit disant « était de droit » qui, en l’occurrence est un déni de démocratie ? Pourra-t-on encore longtemps se retrancher derrière le « respect de la constitution » sachant que celle-ci ne laisse qu’une option aux Catalans, le statu quo ? On peut comprendre les réticences des Etats à accepter la sécession ailleurs sachant que tous ou presque ont leurs propres séparatistes, avérés ou potentiels. Mais selon quelle logique y aurait-il à accepter l’autodétermination au Kosovo (sans même remonter à la dissolution de l’URSS et de la Yougoslavie), au Soudan du Sud, en Ecosse ou au Québec et pas en Catalogne, alors que cette nation a dix siècles d’existence (plus que l’Etat espagnol qui n’en a que cinq), une langue très vivante, une capitale qui a un large rayonnement international et un Pib qui la placerait dans les dix premiers de l’UE ?

Plutôt que de soutenir la position intransigeante de Madrid, nos gouvernements auraient sans doute mieux fait d’encourager l’Espagne à proposer aux Catalans un Etat fédéral, union égalitaire entre tous les peuples qui la composent. Ce que les Québécois ont accepté dans le cadre canadien, la majorité des Catalans qui, il y a encore dix ans, n’avaient rien contre une Espagne démocratique, l’aurait accepté (je peux l’affirmer compte tenu de mon contact permanent avec Barcelone). Est-ce trop tard ? Peut-être pas tout à faire mais vite, le temps presse. Et la seule solution possible, c’est l’autodétermination (il est cocasse d’entendre le président de la Commission de l’UE, se prononcer contre l’indépendance de la Catalogne sous le prétexte qu’il y a déjà trop de pays en Europe alors que le sien, le Luxembourg, paradis fiscal, a à peine un demi-million d’habitants. Quand on prétend incarner des valeurs démocratiques, il vaudrait mieux le faire intelligemment !) Aux Catalans donc de se prononcer. Si on leur propose une bonne Espagne il n’est pas inévitable qu’ils quittent le navire. Et s’ils le font, ils ne seront pas moins légitimes que le Luxembourg ou l’Ecosse (que nos « européistes » appellent quasiment à faire sécession maintenant que le Royaume-Uni est engagé sur le « Brexit » !).

A court terme, les Etats européens seraient avisés, à tout le moins, de conseiller au gouvernement espagnol quel qu’il soit, la modération s’agissant du procès des dirigeants catalans. Ils pourraient s’appuyer sur la jurisprudence de la justice allemande qui, saisie d’une demande d’extradition de Carles Puigdemont, intercepté en Allemagne de retour par la route de Scandinavie, l’a refusée, considérant que le crime de « rébellion » n’était pas établi. /.

Yves Barelli, 10 février 2019                                            

                                                          

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16 septembre 2018 7 16 /09 /septembre /2018 17:36

Je viens de passer quatre jours à Barcelone à l’invitation de « Foreign Friends of Catalonia » (« Foreign.cat »), une association créée il y a quelques mois à peine par des citoyens sans affiliation politique particulière qui se proposent de populariser la cause catalane auprès de personnalités étrangères de la « société civile ». L’occasion de ce séjour a été la « diada catalana », c’est-à-dire la fête nationale, qui se tient chaque année le 11 septembre. Compte tenu du contexte politique sensible de l’Espagne, cette fête est aussi une journée de mobilisation et de protestation dont les thèmes majeurs étaient cette année l’exigence auprès du nouveau gouvernement (socialiste) espagnol de la libération des neuf prisonniers politiques en prison sans jugement depuis près d’un an et le retour des exilés, dont le président Puigdemont, et la volonté de tout un peuple de créer une « république catalane ». J’ai participé à cette manifestation dans Barcelone en compagnie d’un million de personnes. Le matin, j’ai été reçu, avec les autres participants étrangers venus dans le cadre de Foreign.cat, par le président catalan, Qim Torra. La veille, avec cinq autres personnalités étrangères, je me suis exprimé à l’université sur la situation en Catalogne, puis ai participé à un dîner de solidarité avec les prisonniers politiques.   

1/ La « diada » (=journée ou fête) catalane commémore chaque année l’entrée dans Barcelone en 1714 des troupes de Philippe V de Bourbon au terme de la « guerre de succession d’Espagne » qui opposait le prétendant au trône d’Espagne soutenu par la France à celui soutenu par la maison autrichienne de Habsbourg. La victoire du candidat français s’accompagna d’une répression féroce dans toute l’Espagne et plus encore en Catalogne qui avait choisi le parti autrichien. Pour punir les Catalans de ce choix, le nouveau roi abolit toutes les institutions catalanes (pourtant garanties depuis l’union entre le royaume catalano-aragonais et la Castille en 1472) et interdit l’usage du catalan.

Il est exceptionnel dans l’histoire des peuples qu’on commémore une défaite plutôt qu’une victoire (un peu comme si les Français célébraient Waterloo plutôt qu’Austerlitz), mais si les Catalans le font c’est parce que, à la fois, ils ne veulent pas oublier par qui et comment on mit fin à leurs libertés et ils veulent surtout célébrer la résistance continue du peuple catalan depuis cette date.

2/ Cette commémoration est plus que jamais d’actualité : le roi actuel, Philippe VI de Bourbon, descendant du monarque étranger liberticide de 1714 et fils de Juan Carlos, installé sur le trône d’Espagne par le tyran Franco, a pris nettement parti l’année dernière, en sortant de la réserve qui sied habituellement à un chef d’Etat non partisan, sans pouvoir constitutionnel et en principe représentatif de tous les citoyens, pour appuyer le gouvernement de Mariano Rajoy dans la répression en Catalogne. Cela éclaire encore mieux l’un des deux mots d’ordre de la « diada » de cette année : « Faisons la République catalane » (le second étant « liberté pour les prisonniers politiques »). Cette revendication très populaire (même chez ceux qui ne sont pas partisans de l’indépendance) symbolise de manière évidente le rejet massif de la monarchie espagnole par les Catalans.

3/ J’ai expliqué dans plusieurs articles de ce blog l’évolution de la situation en Espagne, les raisons de la montée du sentiment séparatiste en Catalogne et les modalités de l’affrontement entre Catalans et pouvoir espagnol.

Je les résume : après la dure répression sous le franquisme, le rétablissement de la démocratie avait instauré un régime, fruit d’un compromis à l’échelle de l’Espagne, intermédiaire entre Etat unitaire et fédéral avec des « autonomies » à la carte pour chacune des 17 entités qui composent l’Espagne. Avec le Pays Basque, la Catalogne était, logiquement compte tenu du passé et des particularités nationales, dotée de compétence étendues.

A partir du début des années 1980, le gouvernement de centre-droit de la « Generalitat de Catalunya », dirigé par Jordi Pujol, et appuyé par toutes les forces politiques, y compris l’ « Esquera Republicana Catalana » (gauche républicaine), et par l’ensemble de la « société civile », a intelligemment occupé tout l’espace de liberté que lui permettait la constitution espagnole en mettant en place ce qui s’apparenta très vite à un Etat (auquel il ne manquait, quasiment, que la souveraineté internationale) : la Nation catalane s’autogouvernait de fait et un consensus s’établit pour que la question de l’indépendance soit mise de côté. La Catalogne se dota donc d’une administration propre, d’une police, d’un système d’enseignement et de santé, de services publics et d’infrastructures sur lesquels Madrid avait peu de droit de regard. Les conflits de compétence étaient certes incessants (comme dans n’importe quel système fédéral : à titre d’exemple, le catalan est seule langue officielle de la Catalogne – avec l’occitan, parlé dans la minuscule vallée pyrénéenne d’Aran, mais cela est anecdotique - mais l’espagnol (castillan) est la seule langue officielle de l’Espagne avec, selon la constitution, le droit et le devoir de tout Espagnol de l’utiliser) mais, globalement, cela fonctionna.

Le principal acquis de l’autonomie a été la mise en place d’une école, du jardin d’enfant à l’université, entièrement en catalan avec, aussi, des programmes d’histoire décidés localement mettant en valeur la Nation catalane depuis ses origines au 10ème siècle (cela a toujours suscité des critiques à Madrid) : les enfants scolarisés depuis bientôt quarante ans, qui commencent aujourd’hui à être aux responsabilités, n’ont pas connu le système ancien,  l’appartenance à la Nation catalane et l’utilisation dans toutes les circonstances de la vie du catalan (allez à Barcelone et vous verrez que seul le catalan est présent sur la voie publique, ce qui n’empêche pas tout le monde d’être parfaitement bilingue) est pour eux une évidence. Ce passage d’une langue à l’autre et d’un système à l’autre n’a pu se réaliser que par une forte volonté politique (comparable à la récupération du français au Québec ou du néerlandais en Flandre) et l’adhésion de la population. La tâche était pourtant ardue : les adultes de 1980 parlaient un catalan truffé de mots castillans et ne savaient quasiment pas écrire leur langue ; il a fallu former des enseignants, des journalistes, des comédiens, des fonctionnaires, tous individus maniant au départ mieux le castillan, langue de leur formation, que le catalan. Aujourd’hui, la réussite est là : à titre d’exemple, la « Vanguardia », principal quotidien (qui existait déjà sous Franco), plutôt réticent au début au catalanisme, qui ne paraissait qu’en castillan, s’est doté (il y a moins de dix ans) d’une seconde édition en catalan qui, aujourd’hui, est davantage achetée que la castillane ; les médias audiovisuels privés en catalan sont, parallèlement, plus nombreux que ceux en castillan et internet utilise massivement le catalan.

Lorsqu’on connait le contexte ci-dessus, que j’ai tenu à rappeler pour mieux vous faire apprécier la situation, on comprend que la décision du « tribunal constitutionnel » (Conseil constitutionnel) en 2010 de censurer la nouvelle mouture du préambule du « statut » (constitution catalane, qui doit être approuvée par le parlement catalan, le parlement de Madrid et être conforme à la constitution espagnole) de la Catalogne parce qu’il y était écrit que la Catalogne « est une Nation depuis le 10ème siècle » a déclenché le séisme duquel le pays n’est pas sorti aujourd’hui. Cette décision de la plus haute instance constitutionnelle, où siègent nombre de nostalgiques de Franco, a été reçue par les Catalans, même les moins nationalistes, comme une gifle. On eut alors une montée en flèche dans les sondages des partisans de l’indépendance, question qui ne se posait même pas auparavant.

Depuis cette date, les élections au parlement catalan ont régulièrement donné une majorité indépendantiste et la célébration de la « diada », mais aussi d’autres manifestations (tels cette chaîne humaine des Pyrénées à l’Ebre ou la pavoisement des villes, villages et maisons particulières aves des drapeaux indépendantistes – le catalan traditionnel avec une étoile en plus -) , s’est transformée en revendication d’indépendance et le gouvernement qui en est issu, appuyé par la société civile, s’est orienté vers l’organisation d’un référendum d’autodétermination que l’on aurait souhaité conduire en accord avec Madrid mais qui, devant son refus, l’a été unilatéralement le 1er octobre 2017.

Ce jour-là, le gouvernement de Rajoy a envoyé sa police matraquer une population pacifique, y compris des femmes et des vieillards, en train de voter. L’Espagne reprenait sa plus sale figure du fascisme réprimant les partisans de la Liberté.

Les choses se sont accélérées ensuite : proclamation du résultat (positif, d’autant plus que ceux qui sont hostiles à l’indépendance l’ont massivement boycotté) et vote par le parlement catalan, au cours d’une séance empreinte d’émotion et retransmise en direct par la télévision catalane, de l’indépendance le 24 octobre.

Le gouvernement espagnol a réagi en déclarant le référendum et la proclamation  d’indépendance nuls et non advenus et en appliquant l’article 155 de la constitution qui permet au gouvernement espagnol de suspendre une autonomie lorsque celle-ci ne peut plus fonctionner. Nombre de responsables administratifs ont été limogés, l’immeuble de la « Generalitat » (au centre de Barcelone) occupé et neuf responsables catalans, dont le numéro 2 du gouvernement et chef du parti Esquera Republicana, ont été arrêtés et placés en détention provisoire (cela dure depuis près d’un an) en attendant leur procès pour « rébellion » et « détournement de fonds publics » (puisque la Generalitat a contribué à l’organisation matérielle du référendum). Plus de 1000 autres personnes, restées en liberté, sont menacées de poursuites judiciaires. Le président catalan, Carles Puigdemont, avec quelques ministres, a réussi à échapper à la police espagnole en quittant le territoire national par la route pour aller se réfugier à Bruxelles où il se trouve toujours (notamment sous la protection des nationalistes flamands). Les Catalans ont choisi de répondre à la violence par la non-violence, y compris de la part de la police catalane, désormais placée sous la coupe de la Guardia Civil espagnole.

Le gouvernement espagnol a préféré ne pas rééditer le « coup » de Philippe V de 1714 : il a finalement rétabli les institutions catalanes en organisant le 21 décembre 2017 de nouvelles élections pour le parlement catalan : en dépit de la difficulté de faire campagne (président en exil et vice-président en prison), la majorité indépendantiste a été confirmée et même amplifiée. Le nouveau gouvernement catalan, présidé par Quim Torra, un proche de Puigdemont, reprend le programme de l’ancien : créer une république catalane.

La chute du gouvernement de droite Rajoy le 1er juin 2018, renversé par une motion de censure à la suite de graves affaires de corruption de son parti, et la formation d’un gouvernement socialiste, minoritaire mais qui peut tenir du fait de l’abstention ou du soutien d’autres formations politiques, y compris les indépendantistes catalans et basques, a détendu l’atmosphère. Dirigeants catalans et espagnols se parlent à nouveau mais rien n’est réglé : les neuf sont toujours en prison (le gouvernement espagnol se retranche derrière l’ « indépendance » de la justice) et Puigdemont à Bruxelles où il est désormais en sécurité, la tentative de la demande d’extradition du gouvernement Rajoy ayant fait long feu du fait du refus de la justice allemande (le président avait été appréhendé lors d’un déplacement en Allemagne) de considérer l’action de Puigdemont comme une « rébellion » (le gouvernement Suarez a abandonné la demande d’extradition).

Nous en sommes là.

3/ C’est dans ce contexte que la « diada » 2018, à laquelle j’ai participé, s’est tenue. Comme au cours des années passées, la mobilisation a été massive. Dès la matinée du 11 septembre, des centaines de personnes vêtus de tee-shirts rouges avec l’inscription « Fem la republica Catalana », ornés de rubans jaunes, signe de solidarité avec les prisonniers politiques, et portant des pancartes demandant leur libération et des drapeaux indépendantistes, déambulaient dans les rues de Barcelone dans une atmosphère bon-enfant. Quelques policiers espagnols étaient présents, sans agressivité et sous le regard indifférent des passants, tandis que des hélicoptères, espagnols aussi, survolaient la ville.

Dans l’après-midi, la foule, immense, a commencé à se grouper sur l’avenue « Diagonal », qui, comme son nom l’indique, traverse Barcelone en diagonale, depuis la Place des Gloires Catalanes jusqu’au quartier des nouvelles universités (où se trouve aussi le stade de Camp Nou, siège du Barça, « plus qu’un club », comme le dit sa devise car, aussi, âme et symbole de la Nation catalane, y compris sous la dictature quand 80 000 spectateurs chantaient à chaque match l’hymne national catalan, alors interdit, sans que la police ose intervenir). Cette belle avenue, plus large que les Champs-Elysées, a six kilomètres de long. Les participants à la Diada, estimés à un million, l’ont intégralement remplie. Au bout de l’avenue, donc au début du cortège (en fait statique) une estrade accueillait les orateurs et animateurs (le président et le gouvernement étaient, eux, mêlés à la foule, à quelques mètres de l’endroit où je me trouvais) et portait une immense inscription en lettres rouges : « INDEPENDENCIA ». Quasiment tous les participants étaient en tee-shirt « Fem la Republica Catalana » sous une floraison de drapeaux nationaux. Aucune agressivité dans la foule, aucune crainte non plus (dans les manifestations catalanes, il n’y a jamais de débordement ; c’est pourquoi on peut y venir avec de jeunes enfants), une discipline totale face aux mots d’ordre.

Un peu avant 17h14, qui rappelle la date fatidique de 1714, un silence total s’est fait et les drapeaux ont été abaissés, puis dans une sorte de grondement de tonnerre diffusé par les hauts parleurs, à l’heure précise une « ola » s’est propagée sur les six kilomètres de l’avenue, les drapeaux se sont levés et le peuple catalan a chanté « Els Segadors », dont les paroles qui rappellent un peu la Marseillaise, commémorent une première révolte populaire (celle de paysans munis de faux se soulevant contre la noblesse qui les exploitait), et crié longtemps « LLIBERTAT ».

Moment intense, émouvant (on ne peut être que pris par l’émotion ambiante), atmosphère que je résumerais d’une expression utilisée en France, celle d’une « force tranquille ». Les Catalans ne sont pas des Méditerranéens classiques : ils sont calmes, déterminés et disciplinés. En fait, ils me rappellent un autre peuple que je connais bien, les Tchèques, à l’histoire duquel j’ai également été associé en 1968, face aux tanks russes (lire les articles que j’ai mis en ligne autour du 21 août) et, en 1989, sous la « Révolution de Velours » : même détermination, même intensité d’émotion et même non-violence ; même célébration aussi de défaites (celle de 1620 pour les Tchèques), mais avec la conviction que, s’ils ont la force physique ou militaire, nous, nous avons le droit et la force morale et que, devise de Jean Hus, brûlé en 1415 par les papistes comme hérétique, in fine, « la Vérité vaincra » et que, comme l’avait pris comme slogan Vaclav Havel en 1989, « l’Amour et la Vérité vaincront la haine et le mensonge » (j’ai écrit un livre sur les évènements tchèques portant ce titre). J’ai retrouvé à Barcelone la même atmosphère, la même détermination et la même dignité qu’à Prague. C’est peut-être ce qui m’aide à comprendre encore mieux les Catalans. Comme les Tchèques, ils forment une nation, petite par la taille, mais immense par la valeur morale, et, tôt ou tard, ils gagneront.

Et quand la manifestation s’est terminée, deux heures après son début, tout le monde est rentré tranquillement chez lui. Moi, je suis allé dîner avec mes amis catalans, la vie a repris son cours. Jusqu’à la prochaine occasion de se mobiliser, sans doute le 1er octobre, premier anniversaire du référendum. Les Catalans sont patients, mais, comme les Tchèques en leur temps, ils ne lâcheront rien…

4/ Venons-en maintenant à l’association Foreign.cat et aux circonstances de ma participation à la « diada ».

J’ai été contacté il y a plusieurs semaines par l’une des animatrices de l’association qui vit en Belgique (mais sans lien particulier avec Puigdemont). Avec l’équipe de direction, elle avait épluché les blogs, articles de journaux ou déclarations de personnalités étrangères non politiques. Ce que j’avais écrit sur mon blog sur la Catalogne leur avait plu. Dans un premier temps, on a sollicité mon autorisation pour les reproduire, ce que j’ai accordé sans réticence (étant retraité, je n’ai plus aucune obligation de réserve ; c’est pourquoi je tiens ce blog).

J’ai ensuite été invité à participer à la Diada à Barcelone. Une centaine de personnes venues de pays les plus divers, l’ont été. Nous avons voyagé à nos frais mais avons été logés à Barcelone dans des familles catalanes : les organisateurs avaient sollicité des volontaires sur les réseaux sociaux pour héberger les participants (sans rémunération évidemment) : ils ont été surpris de recevoir en quelques jours plus de 600 propositions : ils ont pu alors sélectionner les meilleurs logements et les plus proches du centre. Personnellement, ainsi que mon fils, qui m’accompagnait, avons été hébergés dans un vaste appartement d’un quartier résidentiel disposant d’un parking privé (où j’ai garé ma voiture) par une charmante personne architecte d’intérieur qui nous a fait rencontrer ses nombreux amis (avec lesquels nous avons partagé les repas) appartenant à l’élite catalane et nous a transportés avec sa voiture. Ceux qui sont venus en avion ont été attendus à l’aéroport et ceux qui ne parlaient ni catalan ni castillan ont été hébergés par des personnes connaissant leur langue. En outre, une visite privée de Barcelone et du musée d’histoire de la Catalogne a été organisée (en groupes selon les langues, le nôtre était mené par des guides francophones).

Voila une belle démonstration d’hospitalité et de dévouement pour la « cause ».

La veille de la diada, Foreign.Cat a organisé une conférence dans le grand auditorium de la faculté de médecine devant plusieurs centaines de personnes. Organisation, là aussi, impeccable : bonne sono, retransmission sur écran géant et sur écrans individuels, traduction simultanée anglais-catalan. Allocution du président Puigdemont depuis Bruxelles nous remerciant de notre participation.

Je faisais partie des six personnes choisies pour s’exprimer (les autres étaient deux Italiens, un Allemand, un Québécois et un Américain ; quatre universitaires, un politicien - le Québécois - et moi, seul ex-diplomate ; deux des conférenciers avaient fait une partie de leurs études à Barcelone). L’animateur, qui s’exprimait en catalan (en passant à l’anglais pour s’adresser aux orateurs qui ne le comprenaient pas) nous a donné tour à tour la parole. Les deux qui connaissaient le catalan (un Italien et l’Allemand) se sont exprimés dans cette langue. En ce qui me concerne, j’ai alterné le catalan (pour les parties préparées) et le castillan (pour répondre aux questions de l’assistance ou lorsque j’avais à improviser : je suis plus à l’aise en castillan qu’en catalan, langue dans laquelle je ne m’exprime pas habituellement en Catalogne, tous mes interlocuteurs étant bilingues). Les autres ont parlé anglais. Nous avons, chacun, dit pourquoi nous étions à Barcelone et pourquoi nous nous sentons concernés par le déni de démocratie constaté en Espagne et par le silence complice de l’Union européenne. J’ai pris le soin d’indiquer que, habituellement, j’évite de m’ingérer dans les affaires intérieures de pays amis mais que le caractère inadmissible de l’attitude espagnole et plus encore de l’Union européenne, y compris la France, m’autorisait à déroger à cette règle. J’ai évité de me prononcer sur l’indépendance de la Catalogne en disant que ce n’était pas mon affaire mais celle des Catalans, mais que, en revanche, ce qui était mon affaire et celle de tous les démocrates était d’aider le peuple catalan à obtenir le droit à l’autodétermination. A lui ensuite de choisir. Au public, majoritairement catalan, s’étaient joints les participants étrangers, parmi lesquels des Français (y compris des Corses), mais aussi des nationalistes écossais. Parmi les Italiens, un ancien membre du gouvernement de Prodi, avec lequel j’ai sympathisé bien que nous n’ayons pas la même vision de l’Italie et de l’Europe : il y a des gens raisonnables dans tous les camps !   

La conférence a été suivie par un grand dîner (payant avec recette versée aux familles de prisonniers politiques) au Palais Royal (qui, ironiquement, appartient au gouvernement catalan, favorable à la république) auquel près de mille personnes ont participé.

Le lendemain, soit quelques heures avant le début de la Diada, les participants invités par Foreign.Cat ont été reçus par le président Quim Torra, qui a fait l’effort de s’exprimer en anglais.

Quim Torra (Quim est l’abréviation de Joaquim) est un avocat, écrivain et éditeur né à Blanes, localité du sud de la Costa Brava, comarque de la Selva, entre Barcelone et Girone. Il a 56 ans, sans affiliation directe à un parti (il fait le lien entre « Junts per Catalunya », le parti de Puigdemont, et l’Esquera Republicana) mais militant de toujours du « camp » indépendantiste. Il a notamment présidé l’Omnium Cultural, conglomérat de mouvements militant pour la langue, la culture et la souveraineté catalanes. Torra m’a donné l’impression d’être une personnalité remarquable alliant qualités intellectuelles, détermination et modestie.

XXX

Il est difficile de dire ce que sera l’avenir de la Catalogne. On peut espérer que le plus dur est passé, bien que le pire ne puisse être totalement exclu. Mais je peux témoigner de la détermination de tout un peuple (il y a, bien sûr, des anti-indépendantistes, la plupart des citoyens originaires d’Andalousie ou de Castille, mais quelques Catalans aussi, tel Manuel Valls, marginalisé en France qui voudrait se refaire une santé à Barcelone ; il y a, en sens inverse des Andalous qui se sentent pleinement catalans, tandis qu’une frange hésite car elle se sent autant espagnole que catalane ; actuellement, les indépendantistes sont majoritaires).

Les Catalans ont récupéré leur Nation. Cette nation est l’une des plus anciennes et des plus solides en tant que Nation de notre continent. Lorsqu’on voit Barcelone, l’une des plus belles capitales d’Europe, les œuvres de Gaudi ou de Miro, lorsqu’on écoute Pau Casals ou Lluis Llach, lorsqu’on assiste à un match du Barça, on réalise tout ce que cette Nation a donné au monde. En lui refusant le droit à l’autodétermination, l’Espagne offre son plus mauvais visage. En cautionnant la politique criminelle et stupide (parce que plus on s’y oppose, plus le sentiment national catalan est fort) de Madrid, l’Europe ne s’honore pas ; elle se couvre au contraire de honte.

Mais tôt ou tard, les Catalans récupèreront leur liberté. Ce pourra être dans le cadre d’un Etat souverain ou ce pourra être dans le cadre d’une Espagne, union volontaire de Nations (la basque en est une autre). Ce sera à eux de choisir. C’est cela la démocratie. Mais c’est à nous, démocrates, de les aider à obtenir le droit légitime à l’autodétermination. C’était le sens de ma participation à la Diada Catalana de 2018. Je suis prêt à retourner à Barcelone aussi souvent que nécessaire./.

Yves Barelli, 12 septembre 2018                

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1 juin 2018 5 01 /06 /juin /2018 17:10

La chute du gouvernement néo-franquiste de Rajoy, battu le 1er juin par une motion de censure votée par toutes les oppositions, est une bonne nouvelle. Son remplacement par un gouvernement socialiste (du fait du système parlementaire, le parti qui prend l’initiative de la motion est appelé au gouvernement, au moins pour un temps) minoritaire est, disons, une moins mauvaise nouvelle que le maintien de la droite au pouvoir. On peut toutefois avoir les plus grandes craintes tant le parti socialiste espagnol (PSOE), qui avait fait son pire score lors des élections de 2016, est lui-même aussi déconsidéré que le Parti populaire de Rajoy.

J’ai expliqué dans mon précédent article (26 mai : « Espagne : nouvelle crise politique liée à une affaire de corruption »), auquel je renvoie le lecteur, que le maintien au pouvoir de la droite était devenu impossible à la suite de sa mise en cause directe dans l’affaire « Gürtel ». Dès lors, en dépit de leurs divisions, il était difficile aux autres partis de ne pas voter la motion de censure socialiste. Les nationalistes basques ont eux-mêmes hésité quelques jours : ils avaient obtenu de grands avantages fiscaux dans le budget présenté par Rajoy (budget qui doit encore être approuvé par le Sénat), mais ne pas voter la censure aurait sauvé un gouvernement avec lequel ils sont en désaccord idéologique s’agissant des nationalités, la catalane notamment, et cela n’aurait pas été compris par leur électorat. Ils l’ont donc voté (Sanchez, le nouveau chef de gouvernement s’est engagé à conserver le budget de Rajoy, contre lequel il avait pourtant voté, ce qui n’est pas du goût de Unidos-Podemos, contraint aussi de voter la censure).

En définitive tous les partis d’opposition ont voté la motion des socialistes tout en demeurant très critique vis-à-vis d’eux.

« Ciudadanos », ce nouveau parti de droite qui s’est imposé sur l’échiquier et dans l’opinion en surfant sur la vague nationaliste induite par la sécession catalane, non seulement n’a rien à voir idéologiquement avec le PSOE, mais aurait souhaité de nouvelles élections tout de suite (les sondages lui sont favorables).

Podemos n’est pas mieux disposé envers les socialistes que Ciudadanos. Mais pour des raisons inverses.   

Les indépendantistes catalans qui ont voté eux aussi la censure reprochent (à juste titre) aux socialistes d’avoir soutenu Rajoy dans son attitude agressive anti-catalane. Idem, comme vu plus haut, pour les nationalistes basques.

Le nouveau gouvernement a choisi de ne pas appeler à de nouvelles élections tout de suite en espérant, par quelques mesures sociales, faire remonter un peu son crédit, aujourd’hui au plus bas, dans l’opinion.

On l’attendra aussi, et surtout, sur le dossier catalan. Lâcher trop de lest lui mettrait à dos tous ceux (ils sont nombreux) qui en veulent aux Catalans d’avoir osé déclarer une indépendance unilatérale. Mais rester fermé, lui aliénerait les Catalans, les Basques et ceux qui les soutiennent, en particulier Podemos et l’extrême-gauche.

On ne peut préjuger dans quelle direction ira Sanchez.

Mais je constate avec satisfaction que l’idée d’autodétermination pour la Catalogne peu à peu fait son chemin. Le statu quo est une impasse. Les Catalans ont renouvelé en décembre leur soutien à leur gouvernement indépendantiste. Des prisonniers politiques (dont le seul tort a été d’appartenir au gouvernement indépendantiste) restent incarcérés sans jugement et le président légitime du gouvernement catalan est en exil sous la menace d’une extradition dont la demande est en cours d’examen. Ne pas bouger sur ce dossier c’est condamner l’Espagne à une déstabilisation inévitable et peut-être à la guerre civile.

Les socialistes se sont prononcés pour une évolution du système politique espagnol vers un véritable fédéralisme. Ce serait mieux que le système bâtard actuel. Il faudra néanmoins bien qu’un jour que les Catalans puissent choisir par un vote d’autodétermination. Si on leur propose un bon fédéralisme allant jusqu‘à la souveraineté-association, ils pourraient reconsidérer leur intention, actuellement majoritaire, de prendre le large. On ne sait pas si Sanchez a promis quelque chose aux Catalans (s’il déclarait un « indulto », amnistie à l’espagnole, cela ferait retomber la tension à Barcelone ; toutefois, l’idée même continue à faire hurler beaucoup d’Espagnols) pour obtenir leur vote de la censure. Mais il serait bien inspiré d’évoluer, ne serait-ce qu’un peu, sur le dossier catalan.   

Il est clair que, dans le bilan que l’on peut faire des années Rajoy, ce refus d’envisager la moindre évolution institutionnelle est son principal point noir. On peut aussi sans doute regretter que les Catalans ne se soient pas montrés plus patients. Lancer le processus d’indépendance sous le gouvernement Rajoy était le pire des scénarios. Or, ce gouvernement, même sans l’affaire Gürtel, était condamné tôt ou tard. Discuter avec les socialistes ne sera pas aisé, mais, ayant besoin d’eux et de la gauche pour gouverner, ce sera plus facile qu’avec la droite.

On peut prévoir que l’ « ère » Sanchez sera de courte durée. Moins d’un an probablement. On verra ce qui ressortira des prochaines élections. La probabilité d’une instabilité durable est forte./.

Yves Barelli, 1er juin 2018                       

        

 

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26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 12:08

Les lourdes condamnations pour corruption par la justice de membres et de proches du parti de droite au pouvoir sont en passe de faire éclater la grave crise politique qui couvait à Madrid depuis des mois. La probabilité que le gouvernement de Mariano Rajoy, qui ne dispose au parlement que d’une majorité relative, puisse échapper à la motion de censure déposée hier par les socialistes est faible. De nouvelles élections auront lieu si celle-ci est votée. Les socialistes, aussi déconsidérés que le Parti Populaire, n’en seront pas les bénéficiaires sans toutefois que les « Ciudadanos », qui ont le vent en poupe, aient des chances de former à eux seuls une nouvelle majorité. Tout cela sur fond d’indépendantisme catalan, de crise économique et sociale, de désintérêt des Espagnols pour la politique, d’effacement de l’Espagne sur la scène internationale et de paralysie d’une Union européenne de plus en plus inexistante. 

1/ L’affaire « Gürtel », ainsi nommée par une traduction approximative en allemand (pour une raison qui m’échappe et qui n’est expliquée par aucun commentateur) de « Correa » (« courroie » ou « laisse » d’un chien ou encore « bracelet » d’une montre et, à la rigueur, « ceinture » - mais on dit plutôt « cinturón » - qui se dit « Gürtel » en allemand), nom du principal protagoniste de l’affaire, a été examinée depuis 2009 par divers juges avant de terminer à l’ « Audiencia Nacional », sorte d’instance ad hoc, sans équivalent à l’étranger, qui se saisit d’affaires, notamment de corruption pouvant avoir des implications internationales, ce qui est peu le cas de « Gürtel » malgré son nom.  

La procédure a concerné des affaires de corruption dans lesquelles ont été impliqués des hommes d’affaire bénéficiaires de contrats illégaux ou favorisés, mais aussi des responsables politiques du Parti Populaire (formation de Mariano Rajoy, l’actuel chef du gouvernement), notamment le président de la Communauté Autonome de Valence (il avait été contraint à la démission ; il a été blanchi à titre personnel bien que des doutes sérieux subsistent et que l’implication du gouvernement valencien dans des affaires de corruption ne fasse aucun doute), des maires et des sections locales ou régionales du PP (pratique de double comptabilité qui a permis la corruption), à Valence et à Madrid.

La justice a eu la main lourde puisque Francisco Correa (entrepreneur dans la mouvance du PP : il prélevait des commissions dans des pratiques de financement illégal de campagnes électorales) a été condamné avant-hier à 55 ans de prison, Luis Bárcenas (trésorier du PP) à 33 ans et une trentaine d’autres personnes à des peines de plusieurs années. Le Parti Populaire a été condamné en tant que tel pour ses pratiques douteuses, notamment sa double comptabilité et ses opérations au « noir », donc non déclarées, pratique, il est vrai, courante en Espagne dans tous les milieux et toutes les transactions, de services, de travaux comme immobilières. Le « tribunal suprême » sera peut-être appelé à juger en dernier ressort mais il est douteux que cela modifie profondément le verdict. 

Ce scandale de corruption est le plus grave de ces vingt dernières années en Espagne, qui, pourtant, en a connu beaucoup d’autres : la corruption est un mal endémique dans la politique et l’administration territoriale de l’Espagne. Il explique notamment la gabegie dans les équipements (tels aéroports ou autoroutes peu ou pas utiles, ou encore, comme en France, la multiplication de ronds-points encore plus inutiles dans le même temps où les hôpitaux et les écoles manquent du minimum) et les travaux publics.

2/ Cette affaire constitue la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’incompétence mêlée d’autoritarisme du gouvernement Rajoy qui non seulement a un bilan économique et social calamiteux mais qui, surtout, n’a pas vu venir la crise catalane et n’a rien fait pour la désamorcer ou la régler.

Il est vrai que cette incurie de la droite est largement partagée par celle des socialistes (non épargnés non plus par la corruption, quoique à un degré moindre) dont le passage au pouvoir (2004-2011), avant Rajoy, a laissé le pire souvenir et qui, dans la crise catalane, mais avant elle, dans celle de la monarchie (on se souvient que Juan Carlos avait été contraint de démissionner à la suite de diverses affaires, dont la corruption d’une partie de sa famille), se sont régulièrement alignés sur la pire politique réactionnaire de la droite au pouvoir : des anciens « républicains » défenseurs d’une monarchie, imposée par Franco et très impopulaire, et des anciens démocrates ayant lutté contre la dictature, qui empêchent les Catalans de choisir leur destin, c’est en effet un comble !).

3/ Le Secrétaire Général du PSOE (socialistes), Pedro Sanchez (qui ne dirige le parti, en crise,  que depuis un an), a présenté le 25 mai une motion de censure au parlement contre le gouvernement de Mariano Rajoy.

Rojoy ne dispose que d’une majorité relative qui ne tient que par l’apport des voix du PNB basque (en désaccord toutefois sur la gestion de la crise catalane) et d’un petit parti canarien, ralliés après avoir obtenu des avantages sur la fiscalité de leurs « communautés autonomes ». Il ne dirige à nouveau (il l’avait fait de 2011 à 2016) l’exécutif que depuis moins de deux ans à la suite de deux élections générales n’ayant pu dégager de majorité et après six mois d’absence de gouvernement central.

Pour renverser Rajoy, Sanchez a besoin tant des voix de « Ciudadanos », de « Podemos » et de la gauche radicale que des indépendantistes catalans et des nationalistes basques, tous ennemis des socialistes pour des raisons diverses (Ciudadanos parce qu’ils sont de droite, une droite encore plus radicale que le PP, et les autres parce qu’ils reprochent au PSOE sa « trahison », en particulier dans la crise catalane).

Ces partis sont pris entre deux tentations (renverser Rajoy et sanctionner Sanchez) entre lesquelles ils choisiront le moindre inconvénient, probablement de renverser Rajoy bien que cela n’aille pas de soi.

Si la motion de censure passe, il y aura de nouvelles élections. En attendant, Sanchez et le PSOE expédieront les affaires courantes.

4/ Si nouvelles élections il doit y avoir, on entrera dans une nouvelle inconnue car il est certain qu’aucun parti ne sera en mesure de former seul un nouveau gouvernement.

Les sondages donnent le Parti Populaire en chute libre. Ce sera probablement la fin de la carrière politique de Rajoy. Son électorat se reportera en grande partie sur « Ciudadanos » qui surfe à la fois sur le mécontentement face au pouvoir actuel et sur la vague nationaliste (assez hystérique il faut le dire) qui agite les Espagnols face au chiffon rouge de l’indépendance de la Catalogne, tel un taureau andalou face à la cape rouge du torero. Cela ne donnera toutefois pas une majorité suffisante au parti d’Albert Rivera qui sera sans doute contraint de rechercher une alliance avec ce qui restera du parti de Rajoy. Pas facile à priori.

Pedro Sanchez sera évidemment candidat à la formation du gouvernement. Son problème est qu’il risque d’avoir moins de députés que « Podemos » (qui pourraient toutefois en perdre).

Pablo Iglesias, chef de Podemos, bien que son aura ait quelque peu perdu de l’éclat depuis quelques temps, tentera sans doute de diriger une coalition avec les socialistes (s’ils acceptent son hégémonie, ce qui est à priori très difficile), la gauche radicale et avec l’appui des indépendantistes catalans et des nationalistes basques (qui, pour le moment, ne revendiquent pas l’indépendance, dont ils rêvent toutefois). Mais on voit mal dans une même coalition les jacobins nationalistes du PSOE et les Catalans).

Il se pourrait bien que le principal « parti » soit en définitive celui des abstentionnistes, tant les Espagnols sont dégoûtés de la politique.

5/ Tout cela se passe dans un contexte de crise espagnole multiformes.

Le chômage reste à un niveau qui dépasse 20%. Il touche fortement les jeunes. La crise économique de 2008 a « saigné » l’Espagne à un point qu’on a des difficultés à imaginer outre-Pyrénées. Nombre d’Espagnols ont non seulement perdu leur emploi mais des dizaines de milliers se sont fait confisquer leur logement par les banques (qui en ont maintenant un stock considérable) parce qu’ils ne pouvaient plus payer les traites.

Pourtant, la consommation recommence à augmenter. Ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Consommer est souvent la seule raison d’être de nombreux Espagnols qui aiment sortir et qui aiment acheter. Après plusieurs années de privations relatives (partagées avec les propriétaires et les employés des bars, restaurants et petits commerces qui ont consentis des rabais stupéfiants), ils recommencent à s’endetter et les banques recommencent à prêter, ce qui contient en germes une nouvelle crise à terme. L’Union européenne, de son côté, a un peu allégé l’austérité qu’elle impose à la péninsule mais cela risque de ne pas durer.

Plus grave pour l’Espagne est le divorce durable entre les Catalans et les Espagnols. La crise catalane est maintenant permanente. Pour le moment sans violence, mais cela risque de ne pas durer. Je renvoie le lecteur sur les nombreux articles que j’ai écrits ici sur le sujet (le dernier le 17 mai : « statu quo en Catalogne »).

L’Espagne va sans doute mettre ses multiples crises entre parenthèses pendant le mois de juin et pendant les vacances d’été. L’ensemble des Espagnols, Catalans compris (ou Espagnols plus Catalans, c’est selon le point de vue !), seront devant les postes de télévision, chez eux ou, plus probablement, dans les bistrots, pour suivre le « Mundial » de foot. Si l’équipe d’Espagne se comporte bien (après les exploits du Real et de l’Atletico en coupes d’Europe), on oubliera tous les problèmes, pour un temps. Et si Nadal brille à Roland Garros, ce sera l’apothéose ! On pourra alors profiter des plages et se plonger dans les délices des fêtes locales (la première, la San Firmin, à Pampelune ; et cela n’est pas anecdotique : en dépit de tous les problèmes, la société espagnole tient bien le coup grâce aux identités, régionales et locales, plus que nationale, et grâce aux solidarités familiales et amicales, ce n’est pas rien !).

Pour les problèmes, on attendra l’automne.

6/ De nombreux pays européens sont en crise et l’Union européenne, sans consistance, aussi.

Mais l’Espagne présente un paradoxe.

Elle est quasiment absente de la scène européenne et les Espagnols, de fait sous la coupe de Bruxelles, sont soumis à de dures et injustes (on a baissé les salaires des fonctionnaires et les pension des retraités de 15%, comme s’ils étaient responsables de la crise, alors qu’on n’a pas touché aux rémunérations, parfois énormes, des banquiers, les vrais responsables du « crack » de 2008) politiques d’austérité.

Pourtant, il y a aucun vote « eurosceptique » comme ailleurs. Même les Catalans, lâchement abandonnés par une Europe complices de la répression espagnole, croient encore (il est vrai moins, mais ils y croyaient beaucoup avant) en l’Europe. Les Espagnols seront bientôt les seuls (avec Macron) à être « euro-bellâtres » !

Il est vrai que, ayant perdu confiance en leurs dirigeants, corrompus ou incapables, ils préfèrent peut-être encore être dirigés par Madame Merkel. En outre, le sentiment « européen » peut s’expliquer pour des raisons historiques : après quarante ans de Franco, devenir « européen » était renouer avec la normalité et avec la démocratie.    

L’immigration fait des dégâts comme ailleurs en Europe. Barcelone a été touchée par le terrorisme islamiste (Madrid l’avait été il y a quelques années par Al Qaida). Les « moros », comme on dit en Espagne, ne sont certes pas aussi nombreux qu’en France mais les femmes voilées, autrefois absentes des rues espagnoles, commencent à les peupler, poussant devant elles dans leurs landaus les enfants que les Espagnols ne font plus. Les Roumains et les Bulgares sont, eux, plus nombreux. Ils travaillent, sont tranquilles, ils apprennent même le castillan et le catalan mais ils occupent les emplois qu’aimeraient avoir les jeunes Espagnols.

Pourtant, il n’y a aucune trace de xénophobie en Espagne et il n’y a pas de parti « populiste » anti-immigrants.

C’est le paradoxe espagnol : un pays en crise, mais cela ne se voit pas.

Jusqu’à quand ?

Yves Barelli, 26 mai 2018                                   

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17 mai 2018 4 17 /05 /mai /2018 00:32

L’Olympique de Marseille a été battue en finale de la coupe Europa par l’Atletico de Madrid. Les Marseillais n’ont pas démérité. Ils ont joué de malchance et ont dû s’incliner face à une équipe objectivement plus forte. Au-delà du résultat, il y a lieu de rappeler que l’OM reste l’équipe la plus titrée de France (elle est la seule à avoir remporté la coupe de la Ligue des Champions, la plus prestigieuse, celle de la Ligue n’étant, en quelque sorte, qu’un lot de consolation, en 1993), et qu’elle a toujours été un élément identitaire fondamental de la seconde ville de France. Rendons hommage aussi au football espagnol, au sommet des performances européennes, réussite qui n’est pas due au hasard ni même aux moyens financiers (le PSG est très riche mais moins soutenu par les Parisiens), mais à la passion pour le sport des Espagnols et en particulier pour leur véritable culte du ballon rond.

1/ La victoire de l’Atletico est méritée même si le score (3-0) est sévère pour l’OM qui méritait mieux compte tenue de la qualité de son jeu. L’OM a failli marquer au moins à deux reprises. Autre malchance : son capitaine Dimitri Payet, a dû sortir dès la première mi-temps du fait de problèmes musculaires.

2/ L’OM est une institution à Marseille et en France. Club français le plus titré, tant pour les coupes de France que pour le championnat, il est le seul de l’hexagone à avoir remporté la prestigieuse Coupe de la Ligue. Marseille sans l’OM et sans Notre-Dame de la Garde ne serait plus Marseille. Dans cette ville, tout le monde est derrière son club (même ceux, comme moi, qui en d’autres circonstances sont plutôt indifférents au foot) et le public marseillais est considéré comme le plus enthousiaste de France et l’un des meilleurs d’Europe. Son audience va d’ailleurs bien au-delà de la cité phocéenne. Des clubs de supporters existent partout en France. A Paris même, les magazines de l’OM se vendent plus que ceux du PSG. Dans les moindres villages africains, l’OM est populaire. J’ai vu au Sénégal ou au Mali, des bistrots appelés « Allez l’OM » et, personnellement, au fond de la brousse, lorsque je dis que je suis Marseillais, j’y suis immédiatement populaire grâce à l’OM.

L’histoire de l’OM est faite de crises et de périodes de gloire mais, même au fond du trou, l’OM parvient toujours à renaitre de ses cendres. C’est à cela qu’on reconnait un grand club et c’est à cela qu’on reconnait une ville tout entière derrière son club.

3/ Marseille est un peu une exception en France où le foot est certes populaire mais draine moins de public (sauf à Marseille) et suscite moins de passion que dans d’autres pays.

Parmi ces pays (on pourrait aussi citer en Europe l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre parmi les plus importants), l’Espagne occupe une place à part. Je connais bien l’Espagne et je peux témoigner que le football est « le » sujet qui revient toujours dans les conversations. Pour beaucoup d’Espagnols, c’est même le seul sujet. Dans quasiment tous les bars et restaurants du pays, je peux en témoigner, il y a des écrans de télévision qui retransmettent en continu, en direct ou en différé, des matches. Les clients ne les regardent pas en permanence mais ils constituent une sorte de musique de fond.

En Espagne, il n’y a pas un seul club vedette comme dans la plupart des autres pays. Il y a en a au moins deux : le Real Madrid, vainqueur à douze reprises de la Ligue des Champions, et le Barça de Barcelone (véritable phare identitaire de la Catalogne, l’un des symboles forts de la Nation et de l’attachement à la langue ; sans surprise, le Barça milite en faveur de l’indépendance de la Catalogne). Ils sont en concurrence permanente, le Real se montrant le fort dans les coupes mais le Barça remportant plus régulièrement le championnat.

Mais ils ne sont pas les seuls. L’Atletico est le second club de Madrid. Il a remporté trois fois la Coupe Europa. L’histoire des deux clubs recoupe celle de l’Espagne et de son clivage politique : le Real était le club du franquisme, l’Atletico ayant des traditions républicaines. On a eu des finales de coupe d’Europe opposant le Real à l’Atletico ou le Real au Barça, illustrations de la domination des clubs espagnols. La finale de la Coupe des Champions aura lieu le 26 mai. Elle opposera le Real à Liverpool. Si le Real l’emporte, deux clubs madrilènes s’adjugeront cette année les deux coupes. Belle performance !

Il y a aussi d’autres clubs, un peu moins titrés mais que bien des pays envieraient d’avoir comme club vedette. Le Séville a remporté 5 fois la coupe Europa. Bilbao est un autre club très titré. Comme Barça pour la catalane, il est le symbole de l’identité basque. Alors que la mondialisation du recrutement est devenue la règle dans les clubs professionnels, l’Atletic de Bilbao met un point d’honneur à ne jouer qu’avec des Basques. Etre basque d’ascendance ou d’adoption est une condition pour être recruté et la connaissance de la langue basque est exigée.

Cette  passion pour le foot en Espagne n’est que la face la plus visible de l’addiction des Espagnols pour le sport. Où que vous alliez, vous voyez en permanence des « joggers » et sur les routes, les cyclistes sont légion, omniprésents les fins de semaine et souvent là les autres jours. Autre sport pratiqué partout : le tennis. Nadal en est le représentant phare, mais il n’est que la partie émergée de l’ « iceberg » formé par les millions de pratiquants ; le moindre village a son (ou ses) court(s). Dans la résidence de la station balnéaire du Pays Valencien où j’ai mes habitudes, chaque année on y organise un tournoi et le gagnant y reçoit une coupe.  

XXX

Il n’y a pas de miracle en sport. L’argent est devenu certes essentiel. Sans lui, on ne peut recruter les meilleurs. Mais s’il n’y a que l’argent, il manque quelque chose de capital : le public. Le Paris-Saint-Germain, propriété de l’émirat pétrolier du Qatar, a le plus gros budget français (5 fois celui de l’OM), mais il n’aura jamais le prestige de l’OM car il n’a pas son public et il n’a pas l’impact sur la ville qu’a l’OM à Marseille. A eux le fric, à nous la gloire, la passion et l’amour pour nos joueurs et la « fierté d’être Marseillais » (l’un des slogans du club).

Quant au football espagnol, c’est l’enthousiasme de Marseille auquel s’ajoutent le talent des joueurs (les nôtres font ce qu’ils peuvent, mais c’est pas encore ça!) et des budgets bien supérieurs au nôtre (je parle de l’OM) avec le mérite de ne pas aller chercher l’argent au Qatar mais de le récolter sur place grâce aux « socios » et aux droits télé.

Pas étonnant que l’Atletico ait battu l’OM (on s’y attendait tout en espérant un miracle). Fier néanmoins d’être Marseillais (dans cette ville en crise, le foot est l’une de nos rares fiertés ; on se console comme on peut).

Vous avez trouvé cet article un peu chauvin marseillais et quelque peu anti-parisien ? Vous avez raison, il l’est, mais ne le prenez pas au premier degré : de temps en temps, on peut se défouler.

En tout cas, pour une fois il n’est pas antiespagnol. Ça change des articles que j’écris souvent dans ce blog (mon dernier a été mis en ligne aujourd’hui) sur la situation en Catalogne et le déni de démocratie que l’on doit y déplorer./.  

Yves Barelli, 16 mai 2018     

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