Pedro Sanchez, premier ministre sortant, en dissolvant le parlement, a perdu son absurde pari de renforcer sa faible majorité obtenue en avril dernier. En refusant les concessions qui auraient permis un gouvernement de coalition avec Podemos et en se privant de toute initiative pour tenter de débloquer la situation en Catalogne, il a lassé les électeurs, insensibles à son chantage « moi ou le chaos ». La participation au scrutin de ce jour 10 novembre a été en baisse de près de 5 points, le PSOE, Podemos et Ciudadanos perdent des voix et des sièges (le scrutin est à la proportionnelle). La droite du Parti Populaire progresse légèrement et l’extrême droite de Vox (parti qui a moins d’un an d’existence) fortement tandis que les partis indépendantistes confirment leur hégémonie en Catalogne où ils obtiennent, comme d’habitude, la majorité absolue. De leur côté, les partis autonomistes restent très majoritaires au Pays Basque (peu peuplé, ce qui a donc une incidence à la marge sur le parlement espagnol, alors que les Catalans vont pouvoir peser). Les socialistes resteront les plus nombreux au parlement mais, sans majorité, de loin, à eux seuls, ils seront contraints de composer avec Podemos et avec les Catalans, bien plus sans doute qu’ils auraient pu le faire si Sanchez n’avait pas fait ce présomptueux pari de dissoudre le parlement après d’interminables et stériles discussions avec Podemos auxquelles les Espagnols n’ont rien compris (et pendant qu’on discutait à Madrid, la protestation quasi insurrectionnelle s’amplifiait en Catalogne : si l’Espagne ne veut pas sombrer, c’est pourtant le problème catalan qui devrait être la priorité du pouvoir madrilène, totalement autiste jusqu’à présent). L’Espagne n’a plus de gouvernement responsable depuis quatre ans. Tout est en panne. Il serait temps que ce pays redevienne souverain (sa politique économique est décidée à Bruxelles et Francfort tandis que les affaires du quotidien sont gérées, au jour le jour et plutôt mal que bien, par les « communautés autonomes » - régions -). Vu les résultats du scrutin, la tâche du nouveau gouvernement (sans doute encore de Sanchez) s’apparente à une mission impossible : sans les Catalans et les Basques, pas de majorité, en leur lâchant du lest (et il faudra qu’il soit conséquent), des réactions négatives ailleurs. Pourtant, tout espoir n’est pas vain : il existe des solutions.
1/ La participation est en baisse. Elle devrait être un peu inférieure à 70% (à l’heure où j’écris, on n’a pas le chiffre définitif).
Il n’est pas sans intérêt de constater que cette participation a été inférieure à la moyenne dans toutes les régions de l’ouest et du sud du pays : loin de Madrid et de ses magouilles politiciennes que même les spécialistes n’arrivent pas à suivre, loin de la Catalogne et de ses aspirations indépendantistes, les Espagnols décrochent par rapport à une classe politique largement déconsidérée.
2/ Le PSOE (socialiste) est sanctionné. Nombre de ses sympathisants ne se sont pas dérangés, une manière de condamner le comportement de Pedro Sanchez sans toutefois passer à droite (on se souvient que le gouvernement de Rajoy avait été renversé à la suite de graves affaires de corruption). Il conserve (selon les sondages sorties des urnes qui donnent des projections a priori fiables car le mode de scrutin – proportionnelle – rend prévisible la composition du parlement) de 114 à 119 sièges au Congrès des députés (contre 123 en avril). Son allié potentiel, Podemos, perd encore des plumes avec 30/35 députés (contre 42). Il paye son flou sur la question catalane : favorable à l’autodétermination à Barcelone, plus ambigu à Madrid.
Le bloc des droites gagne une dizaine de sièges mais avec une recomposition qui lui interdit en pratique de pouvoir former une majorité : le Parti Populaire (droite traditionnelle) reprend des couleurs (il en avait perdu beaucoup en avril) : 85/90 (contre 66) ; Ciudadanos, parti contestataire un peu équivalent à Podemos mais à droite, s’effondre à 14/15 (contre 57). Il s’était mis en avant dans l’anti-indépendantisme catalan. Il a trouvé plus extrémiste avec VOX, parti créé il y a peu sur des bases à la fois anti-Catalans, anti-immigrés (l’immigration musulmane devient un problème, pas encore à la hauteur de la France, mais en hausse) et sur la défense de l’Espagne chrétienne traditionnelle : VOX fait plus que doubler : 54/59 (contre 24).
Ni la droite ni la gauche nationale ne peuvent former une majorité. Le soutien indépendantiste catalan à la droite étant évidemment exclu, la gauche aura besoin du soutien des Catalans et des Basques, ou au moins de leur abstention dans les votes cruciaux, pour avoir une majorité.
3/ Pour gouverner, le parti de Pedro Sanchez devra choisir ses alliés. La majorité absolue est de 176 sièges. La gauche PSOE-Podemos en aura de l’ordre de 150. La Parti Socialiste Catalan, qui n’est pas une filiale du PSOE, mais un allié, lui apportera une douzaine de députés, soit en tout de l’ordre de 160. Les nationalistes catalans et basques représentent une trentaine de députés (dont 6 à 7 pour les Basques). Leur soutien ou, au moins, leur non opposition, est donc indispensable à la gauche au pouvoir.
Une autre possibilité serait une « grande coalition » des partis traditionnels du « système » : PSOE et PP dépassent ensemble sensiblement 200 sièges, permettant une majorité confortable. Ils sont certes d’accord sur l’essentiel : préservation de l’unité de l’Espagne, conservation de son système monarchique (peu populaire) imposé par Franco, refus de l’autodétermination en Catalogne (mais, en restant sur cette position anti-démocratique dure sans rien proposer comme alternative, on se condamne à la perpétuation du pourrissement de la situation en Catalogne, « région » la plus industrialisée et la plus développée du pays, pourrissement qui ne peut qu’avoir des conséquences de plus en plus négatives pour toute l’Espagne) et soumission sans nuance à l’Union européenne et à l’OTAN.
Mais une telle alliance serait jugée de contre-nature par les militants et une bonne partie de l’opinion espagnole : au-delà des accords, il y a les questions de principe qui perpétuent le clivage entre une droite de tradition franquiste (même si le PP s’est converti à la démocratie) et cléricale, et une gauche de tradition républicaine (même si elle accepte la monarchie) et laïque : il y a encore des sujets clivant tels le catéchisme à l’école ou l’avortement.
Cette grande alliance est possible sur le papier mais, au risque de me tromper, je n’y crois pas beaucoup (à moins que la situation ne dégénère en Catalogne, ce qui pourrait inciter les partis à l’union sacrée pour défendre la « patrie »).
Le PSOE peut donc paraitre maître du jeu, sauf que, en fait, il ne contrôle pas vraiment ce jeu.
Il peut pourtant trouver une solution en misant sur les divisions entre indépendantistes catalans.
4/ Les résultats du scrutin en Catalogne sont en effet intéressants.
L’ERC (« Esquera Republicana Catalana », autrement dit la « gauche républicaine catalane ») est désormais le premier parti en Catalogne. Il confirme ainsi sa percée déjà constatée aux dernières « européennes ». Avec 13/14 députés au parlement de Madrid, il dépasse désormais largement « Junts per Catalunya » (ensemble pour la Catalogne), le parti de Puigdemont, exilé à Bruxelles, et de Torra, actuel président du gouvernement catalan, qui n’a que 6/7 députés. Par ailleurs, la CUP (extrême gauche catalane, la plus active dans la jeunesse qui, lasse de marcher vainement dans des manifs pacifiques dont Madrid se « fout » éperdument, passe à des manifs plus violentes avec un succès : cela inquiète Madrid et cela donne des images reprises par toutes les télés du monde) entre au parlement de Madrid avec 3 ou 4 députés.
L’ERC et Junts ont désormais des stratégies différentes (et même opposées).
Junts reste intransigeante et le président Torra a annoncé qu’il comptait organiser un nouveau référendum d’auto-détermination. Fuite en avant qui montre la contradiction de la direction catalane (contradiction sanctionnée désormais par les électeurs) : on déclare l’indépendance mais on ne se donne aucun moyen pour l’assumer.
L’ERC, dont le président, Junquera, fait partie du groupe des 9 lourdement condamnés dans le procès inique qui a été mis en scène à Madrid (une mauvaise « farce », pour reprendre les mots de Torra), a choisi de s’orienter vers la stratégie qui a parfaitement réussi au Pays Basque : conserver l’aspiration à l’indépendance mais accepter, en attendant que le dossier murisse, d’entrer dans le jeu espagnol.
L’ERC pourrait s’allier localement en Catalogne à Podem (version locale de Podemos), qui aura 5 à 7 députés, et au Parti Socialiste Catalan (PSC) qui en aura 12/13. Podem n’a pas de position officielle sur l’indépendance (elle laisse ses militants et sympathisants libres) mais est favorable à l’autodétermination. Le PSC est plus flou sur l’autodétermination mais il est profondément catalaniste et se prononce pour un Etat fédéral (si possible républicain, mais, en tout cas, fédéral).
La droite anti-indépendantiste a fait, comme d’habitude, un résultat ridicule en Catalogne, montrant qu’elle exprime en fait une position colonialiste (ses représentants sont les seuls à s’exprimer en castillan (espagnol) au parlement catalan et dans les médias locaux alors que tous les autres, y compris Podem et le PSC, s’expriment en catalan. Cette droite obtient à peine en Catalogne 6 députés (2 pour chacun des partis : PP, Ciudadanos et Vox). A titre anecdotique, rappelons aux médias français, qui en parlent encore trop, que Manuel Valls, s’il ne représente plus rien en France, représente encore moins en Catalogne : epsilon, en fait un traitre à ce qu’il croit être encore sa soit disant « double patrie » (de fait, il est désormais apatride).
5/ Il est clair que si Pedro Sanchez veut sortir de l’impasse, il faut qu’il entame des discussions sérieuses avec Podemos et l’ERC, le PSC mais aussi le PNB basque pouvant jouer le rôle d’intermédiaire.
L’acceptation du droit à l’autodétermination est certainement prématurée. Aucun gouvernement espagnol ne pourrait, pour le moment, s’y résoudre sans être lâché par la majorité de l’opinion publique ailleurs qu’en Catalogne et au Pays Basque : pour l’Espagnol de la rue, parler d’indépendance de la Catalogne, même comme possibilité théorique, fait le même effet qu’une cape rouge devant un taureau.
En revanche, s’acheminer vers une forme de fédéralisme (le système actuel, qui confère une grande autonomie aux « communautés autonomes », en particulier la basque et la catalane, est bâtard, ce qui entraine des conflits incessants de compétences - le système est « à la carte », certaines entités ayant plus d’autonomie que d’autres) parait une bonne piste. Instaurer le catalan et le basque comme co-langues officielles de l’Espagne ne changerait pas grand-chose (ces langues sont déjà, sur place, langues officielles, d’enseignement obligatoire et de la plupart des médias) mais ménagerait les susceptibilités, Catalans et Basque ayant aujourd’hui l’impression d’être des citoyens de seconde classe.
Mais il y aura en tout cas un préalable à toute discussion sérieuse : la libération des prisonniers politiques emprisonnés par un déni de démocratie sans équivalent ailleurs en Europe. Le gouvernement de Pedro Sanchez sera sans doute trop faible pour présenter un projet de loi d’amnistie au parlement (on peut compter sur la droite pour s’y opposer en faisant le « buzz » dans une opinion majoritairement hostile aux Catalans). Un « indulto » (« pardon ») serait moins apprécié par les Catalans et susciterait autant de réactions hostiles que l’amnistie. Mais décidé rapidement en début de mandat, la « pilule » passerait mieux, surtout si elle est présentée comme indispensable à la formation d’un gouvernement enfin stable et durable. Il y a tant de problèmes à régler en Espagne que, enfin passer à autre chose qu’au dossier catalan actuellement bloqué pourrait être populaire. Y compris chez les Catalans, majoritairement indépendantistes de cœur mais qui voient leur pays se déliter sous leurs yeux : mieux vaut encore une Catalogne autonome qui fonctionne dans le cadre espagnol qu’une Catalogne à feu et à sang sans même l’espoir d’atteindre tout ce suite l’objectif de la souveraineté.
Si les espagnols et la Catalans deviennent enfin sages, c’est dans cette direction qu’ils s’orienteront. Le passé de ce pays montre qu’ils ne l’ont pas toujours été : le penchant suicidaire a souvent été une constante de l’histoire espagnole. Espérons que cette fois un nouveau chapitre, plus intelligent, va s’ouvrir./.
Yves Barelli, 19 novembre 2019