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19 janvier 2018 5 19 /01 /janvier /2018 23:44

La décision du gouvernement français d’abandonner le projet de construction d’un nouvel aéroport à Nantes (à la place de l’actuel) appelle de ma part la double réaction suivante : plutôt satisfaction sur le fond car l’utilité de ce nouvel aéroport n’était pas avérée, mais, en même temps, je suis scandalisé qu’on fasse fi du choix exprimé par les élus locaux et la population (consultée par référendum en juin 2016) alors que le président Macron s’était engagé au cours de la campagne présidentielle de 2017 à respecter ce choix.

Au-delà du cas d’espèce, cette « affaire de Notre-Dame des Landes » (lieu où était envisagé le nouvel aéroport) devrait nous faire réfléchir sur un certain nombre de dérives qui frappent notre pays : mélange des genres entre intérêts public et privé, politique d’aménagement du territoire, dévoiement de l’idée même d’écologie par des « écolos » dogmatiques, enfin déni de démocratie par des minorités activistes, souvent violentes, qui veulent imposer leurs points de vue par tous les moyens, ce qui induit une logique de guerre civile.              

1/ Je vous renvoie à mon article (dans ce blog) du 27 juin 2016 (« référendum sur un nouvel aéroport à Nantes ») dans lequel je commentais les résultats de la consultation des habitants du département de la Loire-Atlantique (plus de 50% de participation, un bon niveau pour une consultation locale, 55% de oui au transfert de l’aéroport).

J’avais noté que, certes, les électeurs avaient sans doute été influencés par les violences récurrentes des « zadistes », ces groupes activistes constitués en majorité d’individus soit disant écologistes, qui occupaient (et occupent encore) le site de ND des Landes, transformé en camp retranché, et qui formaient le gros des « casseurs » à Nantes en marge des manifestations, à l’époque, contre la « loi-travail » (un sujet sans aucun rapport avec l’aéroport), ce qui avaient conduit les électeurs à approuver un projet contre lequel ils se seraient peut-être prononcés en d’autres circonstances. Mais j’avais ajouté qu’il était suffisamment rare en France qu’on consulte la population sur un projet concret (même pas une fois par décennie) et que, ne serait-ce que pour cette raison, il convenait de respecter les vœux de la population, concordant en l’occurrence avec ceux des élus de la région, du département et de la ville de Nantes : si on ne respecte le vote des citoyens que lorsque cela arrange l’élite auto-proclamée qui nous gouverne, autant supprimer toute élection (il y avait déjà eu le fâcheux et autrement plus grave précédent du rejet par les Français du projet de « constitution » européenne en 2005, adopté quelques mois après par la voie parlementaire).

Chaque projet (nouvel aéroport ou agrandissement de l’actuel) avait sa logique, avec, d’ailleurs, des coûts assez comparables. Chacun présentait des avantages et des inconvénients. Il me semble (mais je n’ai pas tous les éléments pour juger) que le maintien de l’aéroport actuel est la meilleure solution (avec 4 millions de passagers/an, Nantes est un aéroport modeste ; bien des villes, Genève par exemple, ont des aéroports aussi proche avec des trafics bien plus élevés – 5 fois plus à Genève où, comme à Nantes, il n’y a qu’une piste), notamment pour la facilité d’accès.

Une décision est toujours un arbitrage entre des avantages et inconvénients contradictoires. La décision aurait dû être prise en tenant compte de la préférence des habitants et des élus concernés, d’autant que le président Macron avait annoncé dans la campagne présidentielle qu’il s’y conformerait.

Le contraire a été fait et on ne peut s’empêcher de penser que la décision du gouvernement a été prise en fonction de considérations qui n’ont rien à voir avec le projet : présence au gouvernement de Nicolas Hulot, numéro deux du gouvernement, représentant le courant de l’écologie politique et opposé par principe au nouvel aéroport, et occupation persistante du site de ND des Landes par quelques centaines d’activistes qu’il aurait fallu déloger (il faudra le faire, de toute façon, mais le pouvoir a estimé que ce serait plus facile, et moins urgent, en leur ôtant le prétexte du maintien du projet).

2/ Cette décision est donc contraire à la démocratie. Mais pas seulement. Elle est une prime donnée à tous les hyper-minoritaires qui entendent imposer leurs vues à la majorité par tous les moyens, y compris violents. Nul doute qu’ils seront encouragés à rééditer leurs agissements en d’autres lieux et sur d’autres projets.

3/ Quant à l’écologie, je crains que cette noble cause – la protection de la planète – soit la victime de ceux qui prétendent la défendre. L’écologie politique est devenue une entreprise conduite par un dogmatisme borné : pas de nucléaire, pas de diésel, pas de bagnole, pas de nouvelles autoroutes, pas de nouvel aéroport, pas de nouveau tgv. Ces gens-là non seulement cherchent à nous culpabiliser en permanence (les citoyens de base seraient les seuls responsables de la pollution, des déchets, du réchauffement climatique, de l’extinction des espèces animales, etc) mais ils ne sont pas à l’abri des contractions : contre le nucléaire mais pour le tout électrique, alors que l’on sait que, pour encore une longue période, les énergies renouvelables (éoliennes, solaire, etc) non seulement ne seront pas en mesure de remplacer les autres (parmi lesquelles le nucléaire est le plus propre), mais poseront de nouveaux problèmes (les batteries électriques des voitures, par exemple, non seulement ne permettent pas une grande autonomie mais ont un mauvais bilan carbone à la production et on ne sait pas ce qu’on fera des montagnes de batteries en fin de vie, sans compter que leur consommation d’électricité nécessitera l’utilisation du nucléaire contre lequel les « écolos » font campagne !). Autre contradiction : ils sont contre la construction d’aéroports mais ils se déplacent en avion comme les autres ; ils sont contre les voitures, mais continuent à les utiliser (Nicolas Hulot, pour lequel j’avais de l’estime jusqu’à ce qu’il préconise des solutions absurdes une fois au gouvernement, est lui-même propriétaire de cinq ( !) véhicules, dont un quatre-quatre, contre lesquels il part en guerre par ailleurs). Si nos écolos faisaient comme les Amish, cette secte de Pennsylvanie qui a choisi de refuser le progrès technique, y compris l’électricité et le moteur à explosion, je dirais qu’ils sont farfelus mais logiques avec eux-mêmes. Mais ce n’est pas le cas et je refuse donc leurs leçons et leur à priori.

Je réfute d’autant plus le dogmatisme des « écolos » (soit disant tels) qu’ils oublient de désigner les véritables responsables de la pollution et réchauffement climatique. Pourquoi ne condamnent-ils pas l’absurde logique de la « mondialisation » qui consiste à transporter en permanence toutes sortes de produits d’un bout à l’autre de la planète (les mers sont devenues des poubelles et les routes et autoroutes croulent sous les camions) qui pourraient être fabriqués près des consommateurs. Les navires, qui fonctionnent au fuel lourd, sont les plus gros pollueurs de la planète (à titre d’exemple, on a calculé que les 500 navires de croisière qui touchent chaque année le port de Marseille polluent plus que l’ensemble du parc automobile de la cité). Pourquoi nos « écolos » ne le disent pas ? Pour cela, il faudrait qu’ils dénoncent l’OMC et l’Union européenne et qu’ils acceptent de rétablir les frontières. Ils préfèrent culpabiliser ceux qui roulent en diésel. Les écologistes politiques sont, de tous les partis, les plus pro-européens et mondialistes. Vous trouvez cela logique ? Moi pas.                                         

4/ Autre question soulevée par l’ « affaire » de Nantes : les liaisons dangereuses entre intérêts publics et privés. L’actuel aéroport de Nantes est géré par le groupe Vinci, véritable état dans l’état (ce groupe construit et gère des autoroutes, des aéroports, des stades, même des ministères - le nouveau ministère de la Défense par exemple -, des parkings, etc). Le nouvel aéroport de ND des Landes aurait été construit par Vinci (l’extension de l’actuel sans doute aussi). Le contrat signé par l’Etat était si avantageux pour Vinci que, sans rien faire, le groupe devrait recevoir de l’Etat de l’ordre de 300M€ à titre de dédommagement pour rupture de contrat.

Si on multiplie de telles associations d’intérêts privés et publics, c’est à cause de l’absurde règle du 3% de déficit budgétaire imposé par l’UE aux Etats : plutôt qu’investir, on préfère laisser le privé investir (en complément des parts des collectivités locales qui, elles, restent) quitte à louer ensuite au prix fort l’équipement : sur le moment cela permet à l’Etat de ne pas sortir l’argent, mais la dépense est largement amplifiée sur le futur en payant sur de nombreuses années. Absurde et scandaleux. Dans cette procédure, nous, contribuables, paieront deux fois : en remboursant plus tard au capitaliste bien plus que cela aurait coûté et, deuxièmement, en subissant les tarifs élevés engendrés par l’exploitation de l’équipement : le citoyen paie deux fois et le capitaliste gagne deux fois (et dans ce cas, qu’on ne nous parle pas de concurrence : l’usager d’un aéroport ou d’une autoroute n’a pas le choix : il doit subir le péage d’un concessionnaire unique). En résumé : démission de l’Etat face à sa responsabilité de fournisseur de services publics et racket de la part de ceux qui les exploitent.

5/ Il n’y a plus en France de politique d’aménagement du territoire. En matière de réseaux de transports, la politique d’aménagement du territoire devrait consister à favoriser l’équilibre des activités sur l’ensemble du territoire. C’est ce qui se faisait par exemple du temps du général de Gaulle lorsqu’on avait lancé le « plan breton » (avec ses autoroutes gratuites) ou le « plan Massif central ».

La politique d’aménagement du territoire devrait aussi avoir pour objectif d’harmoniser le rail, la route et l’air. Les mettre en concurrence est la pire solution. Elle concentre tous les moyens de transports sur les secteurs les plus rentables (par exemple l’axe Paris-Marseille) sur lesquels on a le choix entre tous les moyens de transports. Dans le même temps, des régions n’en ont quasiment aucun ou subissent des monopoles. Exemples : le tgv Paris-Lille a des prix aussi élevés que sur Paris-Marseille car sans liaison aérienne (le résultat est que beaucoup prennent la voiture) ; les liaisons entre l’Auvergne et Paris (les autres sont encore pires) sont négligées car considérées comme peu « rentables ».

Une bonne politique de transports consisterait à déterminer les liaisons où on privilégie le rail et celle où c’est l’avion. Fallait-il un tgv Paris-Strasbourg ou privilégier des navettes aériennes ? La simple mise en concurrence n’a ici aucun sens.

Entre Nantes et Paris, maintenant qu’une ligne de tgv existe (qui met la capitale historique de la Bretagne à deux heures de Paris), il est évident qu’il faut privilégier le rail. Mais à condition qu’il y ait une bonne connexion avec les aéroports parisiens, ce qui n’est malheureusement pas le cas. On devrait prendre exemple sur la Suisse ou l’Allemagne. La Suisse a choisi d’avoir un très grand aéroport international principal (Zürich – Genève et Bâle ont des lignes, mais moins) : cet aéroport est relié par voie ferrée à tout le pays et on peut, depuis n’importe quelle gare enregistrer ses bagages pour les avions qui décollent de Zürich ; les horaires sont coordonnés et les tarifs groupés : on achète un billet Neuchâtel-New-York et on dépose ses bagages à la gare de Neuchâtel pour les retrouver à New-York). Un système analogue fonctionne en Allemagne pour l’aéroport de Francfort, bien relié par rail au reste du pays. Il est évident qu’avec un tel système, on pourrait facilement commencer depuis la Bretagne un voyage intercontinental par le rail et le poursuivre à Roissy par avion. Et si l’Etat veillait à ce que le prix d’un Nantes-New-York (ou Dubaï ou Pékin) ne soit pas beaucoup plus cher (et pourquoi pas au même prix) qu’un Paris-New-York, on aurait résolu le problème de l’aéroport de Nantes (désormais avec peu de lignes) à la satisfaction des Bretons, mais aussi au profit de l’unité nationale et de la répartition des activités sur l’ensemble du territoire. Une telle politique aurait en outre l’avantage d’éviter les erreurs et les gaspillages dus à la surenchère entre collectivités territoriales (tel cet absurde aéroport de Lorraine, où la région Lorraine perd de l’argent car  mal situé, sans liaison ferrée et que bien peu de gens empruntent).

XXX

Si cette dérisoire affaire de l’aéroport de Nantes dont on a poussé le ridicule pour la transformer en affaire d’Etat traitée au plus haut niveau de cet Etat (qui ferait mieux de s’occuper des vrais problèmes) avait pour conséquence de réfléchir aux problèmes évoqués plus haut, on pourrait au moins dire qu’elle a servi à quelque chose.

On peut rêver, non ? Cette période Noël qui vient de s’achever et ce début d’année propice aux vœux est aussi celle des rêves. Rêve de santé et bonheur pour chacun (c’est ce que je vous souhaite), rêve aussi de meilleure utilisation des ressources et des talents de notre pays au service de ses citoyens.

Mais cela, en ce système capitaliste de plus en plus totalitaire, où seul le fric d’une minorité est pris en compte, c’est peut-être beaucoup demander.

Alors, rêvons ! Mieux vaut un rêve, même irréaliste, qu’une réalité cauchemardesque.

Et puis, peut-être qu’on jour, l’utopie deviendra réalité ! On le disait déjà il y a cinquante en mai 1968 (j’y reviendrai bien sûr!). Je continue à le dire.

Bonne année !

Yves Barelli, 19 janvier 2018      

 

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10 décembre 2017 7 10 /12 /décembre /2017 21:46

La victoire des nationalistes à l’élection de l’Assemblée corse est importante. Elle est l’aboutissement d’un processus régulier de montée du sentiment identitaire sur l’île et le signe de l’émergence d’une élite politique qui a su montrer sa capacité à gérer les affaires insulaires dans la limite étroite concédée jusqu’à présent par Paris, qui a fait de la Corse une collectivité territoriale aux compétences à peine supérieures à celles des régions continentales « ordinaires», et la preuve de l’adhésion d’une majorité de Corses à l’idée d’une large autonomie pouvant, le cas échéant, aboutir à l’indépendance, objectif que même les actuels indépendantistes ne veulent pas mettre tout de suite à l’ordre du jour.

La nouvelle situation qui s’installe en Corse est importante pour la Corse et elle va au-delà car elle s’inscrit dans une tendance de fond chez les peuples d’Europe à davantage d’identité, aspiration qui vient en contre-point de l’idéologie et de la pratique de l’Union européenne à ouvrir le continent à tous les vents néfastes de la mondialisation. Après la Catalogne, la Vénétie ou la Lombardie, après les derniers votes « populistes » en Pologne, Hongrie, Autriche, Tchéquie et quelques autres pays d’Europe centrale ou orientale et la montée de ce type d’idées en France ou en Allemagne mêmes, la tendance est à la réappropriation par les peuples de leur destin. L’exemple corse pourrait faire des émules dans d’autres régions françaises à forte personnalité « ethnique », culturelle ou linguistique comme la Bretagne.

1/ Le vote à deux tours qui s’est déroulé les 3 et 10 décembre afin de constituer l’Assemblée corse unique, qui se substitue tant à l’ancienne assemblée régionale qu’aux deux conseils départements, supprimés, a donné le résultat suivant :

- liste « Pè a Corsica, un paese da fà » (pour la Corse, un pays à édifier), qui regroupe les autonomistes de Gilles Simeoni et les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni, qui avait obtenu 46% dès le premier tour, a encore progressé entre les deux tours, atteignant 57% (estimation vers 20h30 ce dimanche), ce qui devrait lui assurer 42 sièges sur les 63 à pourvoir, soit les deux-tiers de l’Assemblée.

- les autres listes, « droite régionaliste », « Les  Républicains » (droite française) et « République en marche » (macronistes), qui avaient fait respectivement 15, 12 et 11% des voix au premier tour, se partagent le tiers restant des sièges.

- La gauche française et le front National, qui avaient fait moins de 7% au premier tour (minimum pour se présenter au second tour), n’ont aucun élu.

La participation a été de 52% au premier tour et un peu moins de 50% au second. Certains considèreront, peut-être pour se consoler, que quasiment un électeur sur deux ne s’est pas dérangé. Ils en tirent déjà la conclusion que cela entache la légitimité des nationalistes. Ce raisonnement est spécieux. Si les abstentionnistes avaient été hostiles aux nationalistes, ils se seraient mobilisés au second tour pour leur faire barrage. Ils ne l’ont pas fait. La majorité nationaliste est donc légitime.       

L’Assemblée de la Corse sortante avait été élue en 2015. Les nationalistes y détenaient une majorité relative. Jean-Guy Talamoni en était le président. Le mandat de l’Assemblé avait été écourté pour permettre la mise en place de la nouvelle assemblée, qui prendra ses fonctions début janvier 2018.

2/ La victoire nationaliste n’est pas une surprise. Seule son ampleur l’est.

Longtemps, la Corse a été dirigée par des partis français aujourd’hui largement déconsidérés et marginalisés. Ces partis avaient une pratique clientéliste et clanique de plus en plus critiquée, en particulier par la jeune génération.

Le nationalisme corse, dont les racines remontent dans l’histoire (Pascale Paoli avait proclamé une indépendance éphémère au 18ème siècle avant que l’île soit reprise par les Génois qui la cédèrent à la France en 1768) avait recommencé à émerger, après un long sommeil, dans les années 1970. L’acte fondateur fut l’occupation symbolique à Aleria d’une propriété agricole appartenant à un « Pied Noir » (Français rapatrié d’Algérie : beaucoup ont bénéficié de facilités de la part du gouvernement français pour s’installer en Corse, facilités que les agriculteurs locaux n’avaient pas) qui s’est terminée par deux morts à la suite de l’intervention musclée des forces de police françaises.

Le FLNC (Front de Libération Nationale de la Corse) mena ensuite une lutte clandestine marquée par des plastiquages et des assassinats. Il ne semble pas qu’il y ait jamais eu un soutien majoritaire des Corses à ces actions violentes qui déconsidérèrent en grande partie la cause qu’elles prétendaient défendre. La lutte armée des nationalistes eut certes le mérite de poser le « problème corse » mais elle se révéla in fine négative : dans les années 1990, elle se différencia de moins en moins du grand banditisme classique (mal endémique de l’île). Des groupes rivaux se livrèrent de surcroit des combats internes marqués par des règlements de compte sanglants.

Les nationalistes corses se distancièrent alors de cette lutte, ce qui incita ce qui restait du FLNC à l’abandonner officiellement en 2014. Désormais, le combat nationaliste prit une tournure pacifique et démocratique marquée par la participation de partis légaux et ouverts aux élections.

Les premiers résultats ont été encourageants : première municipalité nationaliste en 2014 (maire de Bastia : Gilles Simeoni), présidence de l’Assemblée corse en 2015, conjonction avec le Front National à la présidentielle de 2017 (Marine Le Pen a fait près de 50% des voix au second tour), élection spectaculaire de 3 députés nationalistes (sur les 4 de l’île) aux législatives qui ont suivi la présidentielle.

La présente victoire nationaliste n’est donc pas un épiphénomène mais l’aboutissement d’une profonde maturation.             

3/ Quelles sont le programme et les revendications nationalistes ?

D’une façon générale, la nouvelle majorité de l’Assemble corse entend peser davantage sur le destin de la Corse en gérant de façon autonome les affaires de l’île. Contrairement à la Catalogne, l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour. Jean-Guy Talamoni a déclaré qu’il voulait d’abord apporter la preuve que les Corses étaient capables de diriger l’île. Il se contente donc de l’autonomie pour au moins dix ans (pour l’indépendance, on verra après). La première revendication vis-à-vis de Paris est donc d’obtenir un statut d’autonomie aussi large que possible sur le modèle de ce qui existe dans plusieurs régions de pays voisins de la France (j’y reviendrai infra).

Dans ce cadre, il y a trois revendications particulières :

a/ la co-officialité de la langue corse, ce qui implique la possibilité de l’utiliser à l’Assemblée corse, dans les communes, dans la justice, dans l’enseignement et dans les administrations.

b/ la création d’un statut de « résident » en Corse afin de donner une priorité aux personnes résidentes en Corse (on parle d’un minimum de 5 ans) par exemple pour l’achat de propriétés. Cette revendication est partagée par nombre d’autochtones au-delà des partisans de l’autonomie ou de l’indépendance (l’assemblée corse avait déjà émis un tel vœu du temps où les nationalistes ne la dirigeaient pas encore ; le gouvernement français avait jugé illégale une telle disposition).

c/ l’amnistie pour les prisonniers politiques (que la France refuse de reconnaitre comme tels : ils ont pourtant été les combattants d’une guerre contre l’Etat français, ce qui en fait, de fait, des prisonniers de guerre, donc des politiques, ou au service de politiques ; on a exactement la même situation pour les prisonniers basques, tant en Espagne qu’en France. Il  y a eu amnistie après la  guerre d’Algérie, pourquoi la refuser aux Corses et aux Basques ?) et, dans un premier temps, le rapprochement de ces prisonniers dans des prisons insulaires et non plus du continent).

4/ Comment va réagir la France à ces demandes ?

Le statut actuel de la Corse est loin d’être un statut d’autonomie, même s’il y a quelques dispositions dérogatoires du droit commun des régions.

Si le gouvernement français acceptait de répondre favorablement aux trois revendications, il faudrait modifier la constitution française qui stipule dans son article 2 que le français est la seule langue officielle de la France (la France a toujours refusé de ratifier la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires ; elle est quasiment la seule à s’arc-bouter sur cette position) et qui instaure l’égalité de tous les citoyens devant la loi, ce qui est en contradiction avec un éventuel statut de résident corse. Quant à l’’amnistie, il appartiendrait au parlement français de la voter.

Quelle sera l’attitude de la France ? Les esprits semblent davantage ouverts au pragmatisme qu’il y a quelques années (lors du premier projet de statut corse dans les années 1990, le Conseil Constitutionnel, niant les évidences, s’était opposé à toute référence au « peuple corse »). On ignore toutefois complètement la position du président Macron, s’il en a une, et de son gouvernement sur la question. Les partis politiques français, de tradition jacobine, semblent peu ouverts à priori sur la possibilité d’accorder un statut officiel à la langue corse, d’autant qu’ils craignent des revendications similaires dans d’autres régions françaises. Ils sont aussi hostiles au statut de « résident », mais comme ce dernier serait moins visible et moins chargé de symbole que celui de la langue, il y a peut-être des possibilités intermédiaires à explorer (il y a déjà un début de précédent : les résidents corses ont un régime fiscal un peu plus favorable que les continentaux ; ils ne sont pas soumis par exemple, aux droits de succession). Quant à l’amnistie, elle n’est pas à l’ordre du jour, mais la question ne pourra être éludée longtemps.  

La possibilité d’accorder des statuts dérogatoires du droit commun aux départements d’outre-mer est en train de faire son chemin dans les esprits. Le caractère particulier de la Corse du fait de l’insularité est peut-être de nature à faire lâcher du lest par Paris.

5/ Comment cela se passe-t-il ailleurs en Europe pour les régions à forte spécificité ?

Le Royaume-Uni reconnait des nations constitutives du pays. L’Ecosse et le Pays de Galles (le cas de l’Irlande du Nord est plus compliqué) sont reconnues comme « nations ». Elles disposent d’un parlement et d’un gouvernement aux compétences larges ; le gallois est co-langue officielle du Pays de Galles (sa place y est donc l’égale de l’anglais dans l’enseignement, les médias publics, la vie publique et la justice ; ce n’est pas qu’une question de symbole mais une réalité que n’importe quel visiteur peut constater. Idem en Ecosse, mais là les langues locales (gaélique d’Ecosse et Scot) sont géographiquement circonscrites et peu parlées. Par ailleurs, la présence internationale du Pays de Galles et de l’Ecosse dans le domaine du sport est bien connue.

L’Italie est, comme la France, un pays unitaire mais cinq régions y bénéficient d’un statut particulier d’autonomie : Val d’Aoste (où le français est officiel), Trentin-Sud-Tyrol (allemand et ladin officiels), Frioul-Vénétie Julienne (le frioulan est « langue protégée », c’est-à-dire qu’il y bénéficie de facilités et aides de l’Etat sans être officiel), la Sicile et la Sardaigne (le sarde est langue protégée). Comte tenu de sa proximité avec la Corse, le statut sarde pourrait être une source d’inspiration pour la Corse. Dans les régions qui n’ont pas de statut dérogatoire, les langues locales ont un statut de langue protégée (dont la France serait bien avisée de s’en inspirer, pas seulement pour le corse mais aussi pour les sept autres langues « régionales » de France). C’est le cas par exemple de l’occitan au Piémont (on parle la même langue de part et d’autre de la frontière). Les référendums qui viennent de se dérouler en Lombardie et Vénétie montrent que la tendance est clairement à plus d’autonomie dans la péninsule.

En Espagne, chaque « Communauté Autonome » (région) a un statut spécifique (décidé localement et qui doit être approuvé par le parlement espagnol). Ceux du Pays Basque et de la Catalogne vont le plus loin dans l’autonomie (mais les Catalans, qui forment une vieille et grande nation depuis dix siècles veulent plus : l’indépendance). Ainsi, le catalan est langue officielle de la Catalogne. C’est la langue de l’enseignement, de tous les textes règlementaires mais aussi la langue quotidienne de la « Generalitat ». Le seul endroit au monde où, en outre, l’occitan est langue officielle, est le Val d’Aran, petite vallée pyrénéenne de Catalogne

Dans les Etats fédéraux, chaque entité fédérée est compétente pour décider de sa langue officielle (en plus de la ou les langues de la fédération) : ainsi Genève ou Vaud n’ont que le français alors que, au niveau fédéral, allemand, français et italien sont à égalité. Idem en Belgique pour le français et le néerlandais.

En Allemagne, pays fédéral, les Länder ont des compétences étendues. Il n’y a qu’une langue « régionale », le sorabe (Saxe et Brandebourg), peu parlé, qui est officiel à l’échelle communale. Idem en Norvège, Suède et Finlande pour le lapon, officiel dans les régions de peuplement lapon.

En Russie, pays fédéral, chaque république ou région autonome a sa propre langue officielle en plus du russe.

On pourrait multiplier les exemples. Bornons-nous à dire que la règle générale est le statut officiel pour les langues dites « régionales » dans chaque région concernée. La France est pratiquement la seule exception en Europe.

Pour n’importe quel étranger le fait que le premier ministre français ait été choqué lorsque Jean-Guy Talamoni a pris la parole en corse devant l’Assemblée corse est tout simplement incompréhensible.

Il serait temps, enfin, que la France respecte la démocratie et le droit des gens à utiliser leur langue. Cela ne concerne pas que la Corse. Ainsi les cinq conseils départementaux bretons, le conseil régional breton et un grand nombre de municipalité de cette « région » (qu’on se décidera peut-être un jour à qualifier de ce qu’elle est, une Nation) ont voté des « vœux » demandant l’instauration du breton comme co-langue officielle. Cette revendication, qui serait considérée comme légitime et donc recevable partout ailleurs qu’en France, s’est toujours heurtée à un mur.

6/ La plupart des Corses se sentent aussi Français que leurs compatriotes du continent. Mais ils se sentent aussi Corses et ils entendent que, à Paris, on respecte cette double appartenance.

Les semaines qui viennent s’annoncent cruciales. Si la France est enfin capable de faire preuve de pragmatisme et d’ouverture d’esprit, les Corses n’auront aucune raison de prendre le large. A cet égard, les trois revendications concrètes (langue, statut de résident, amnistie) seront les tests sur lesquels on pourra juger de la capacité de la France à garder les Corses avec elle.

Quant au statut d’autonomie auquel les Corses aspirent, la sagesse voudrait que son ampleur soit en proportion de l’intensité de l’identité corse et des aspirations légitimes de son peuple (j’ai bien dit son « peuple », mot qu’il conviendrait d’inscrire dans le statut). Si Paris est réceptif à ces aspirations, on pourrait aller à terme vers un statut de « souveraineté-association », qui consiste en une souveraineté reconnue au peuple corse et à un abandon volontaire d’une part de cette souveraineté à l’Etat français (compétences « régaliennes » : défense, diplomatie, etc), ce qui aurait le double avantage pour les Corses d’être maitres chez eux tout en bénéficiant de l’appui d’un Etat fort. De tels statuts existent ailleurs : certains archipels du Pacifique, Antilles néerlandaises ou Puerto-Rico par exemple.      

Il y a urgence à ce que Paris traite enfin les Corses en êtres majeurs car ces derniers se sentent dépossédés de leur identité. Pas seulement pour la langue. Pour la contradiction qu’il y aussi dans le fait que les jeunes Corses doivent souvent aller sur le « continent » pour travailler alors que dans le même temps, on a toléré et même encouragé (à coup de prestations sociales versées à des gens souvent oisifs) la création sur l’île de véritables colonies de peuplement étranger par des gens qui refusent de s’assimiler tant à la France qu’à la Corse (30 000 habitants de la Corse, soit 10%, sont né à l’étranger,  dont la moitié au Maroc ; parmi les nouveaux nés sur place, 31% ont au moins un parent né à l’étranger, dont 18% au Maroc. Cette situation est intenable comme le montrent les incidents récurrents qui opposent les Corses aux envahisseurs).            

Si la France devait rester aussi fermée que par le passé aux revendications corses, que j’estime légitimes, on ne devrait pas s’étonner qu’un nombre croissant de Corses, qui pourraient bientôt devenir majoritaires, se tournent vers l’indépendance (ceux qui l’estiment non viable connaissent mal les réalités internationales : Malte, par exemple, a la population de la Corse, est bien plus petite et n’a aucune ressource dans son sous-sol).

7/ La revendication corse à recouvrer son identité se place dans un mouvement général qui concerne d’autres peuples. La mondialisation et les immigrations incontrôlées sont de véritables agressions à la personnalité des peuples, et donc des individus qui les composent. Avoir une identité collective, c’est savoir d’où on vient pour avoir une chance de savoir où on peut aller. L’identité est un puissant facteur de cohésion sociale. Là où il n’y a plus d’identité, il ne reste que les égoïsmes individuels, communautaires, claniques, tribaux ou sociaux.

A cet égard, l’Union européenne, qui voudrait tous nous transformer en consommateurs uniformes, a tout faux.

Il est sain que le peuple corse ait la volonté de reprendre son destin en main. Il n’est pas le seul.

Si nos élites autoproclamées de Neuilly et de Bruxelles ne le comprennent pas il ne pourra qu’y avoir affrontement.

Il se pourrait que, nous les peuples, nous en sortions vainqueurs. La défaite, l’abaissement, l’humiliation et l’égoïsme ne sont pas forcement des fatalités.

Oui, « a Corsica, un paese da fà », la Corse un pays à créer. Avec la France, si elle le veut. Sinon, sans elle.

« Pace e salute », amis corses !

Yves Barelli                       

                                                                                   

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24 juin 2016 5 24 /06 /juin /2016 20:19

Le Conseil Régional de la nouvelle grande région créée le 1er janvier 2016 de la fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon a décidé de baptiser « Occitanie » le nouvel ensemble. Cette décision prise le 24 juin (elle passe inaperçue en ce jour de « Brexit », mais elle est importante) fait suite à une consultation par internet des habitants de la région à laquelle plus de 200 000 personnes ont pris part et qui se sont majoritairement prononcés pour l’appellation « Occitanie ». Je me réjouis de cette décision (qui doit encore être confirmée par le Conseil d’Etat, à priori une formalité, du moins peut-on l’espérer) qui exprime l’attachement des habitants de cette partie du Sud de la France à une identité multiséculaire.

1/ Cette appellation ne faisait pas l’unanimité. Les représentants des Pyrénées Orientales, qui correspondent à la partie française de la Catalogne, se sont sentis oubliés et marginalisés. Il est vrai que si les régions françaises n’étaient pas formées sur des critères purement bureaucratiques et si elles respectaient mieux les entités historiques, culturelles et linguistiques, la Catalogne-Nord constituerait une région distincte, pas moins peuplée et vaste que certaines régions de pays limitrophes de la France, comme par exemple la Vallée d’Aoste, la Rioja ou la Sarre.

D’autres, dans la mouvance du mouvement occitan, nébuleuse politique et culturelle qui défend le concept d’Occitanie en tant qu’ensemble des terres où on parle, même si c’est désormais de manière minoritaire, l’une des formes de la langue occitane, soit tout le sud de la France (Aquitaine, Gascogne, Béarn, Languedoc, Provence, Comté de Nice, Limousin, Auvergne et le sud du Dauphiné), à l’exception évidemment des pays basque et catalan et de la Corse, étaient réservés car trop réducteur ; ils auraient préféré Occitanie centrale.

Certains milieux économiques, pour lesquels les questions identitaires ne sont pas la priorité auraient préféré Pyrénées-Méditerranée ou d’autres appellations aussi farfelues sous prétexte que ces mots sont davantage porteurs pour le tourisme.

Un tel débat est incompréhensible pour les étrangers davantage habitués à des appellations et à des limites régionales le plus souvent inchangées depuis des siècles. Voyez par exemple la continuité historique, même à travers des changements d’Etats ou de régimes politiques de régions comme la Bavière, le Piémont ou l’Andalousie.

Mais en France, depuis la révolution de 1789, qui supprima les anciennes provinces pour les remplacer par des départements, on est davantage habitué aux créations artificielles d’entités administratives qu’au respect des identités locales et régionales, quitte à les affubler de noms de fleuves ou de montagnes.

La réforme décidée par le président Hollande l’année dernière reste dans cette tradition jacobine et antidémocratique. Son unique but était de réduire le nombre de régions pour faire des économies. Le résultat est plutôt une augmentation des dépenses : même nombre de conseillers régionaux (en plus des conseillers départementaux, des conseillers de « métropoles » et des conseillers municipaux), mêmes administrations pléthoriques eu égard aux faibles compétences des régions dans ce pays (rien à voir avec les « communautés autonomes » espagnoles, les « Länder » allemands et même les régions italiennes) et maintien de structures administratives dans les capitales déchues : ainsi, la capitale occitane est à Toulouse, mais l’assemblée se réunit à Montpellier, ce qui ne va pas contribuer à diminuer les dépenses de fonctionnement.

Une telle réforme, véritable aberration dans son principe et ses modalités, a pu avoir çà et là des effets bénéfiques, le plus souvent involontaires. La réunification de la Normandie en est un. L’apparition, pour la première fois dans l’histoire, d’une « Occitanie » en est un autre.

2/ Mais ne faisons pas la fine bouche. Une région « Occitanie », même réduite à sa partie centrale, avec ses 13 départements (sur la trentaine de l’ensemble occitan), c’est mieux que rien. Cela correspond à une identité restée forte, ce qui est confirmé par le choix de ce nom dans la consultation populaire.

Occitanie vient de « oc », qui signifie « oui » en occitan. C’est exactement la même étymologie que Languedoc, formé sur « langue d’oc ». C’est dire l’importance de la langue comme fondement historique identitaire de cette région (et de quelques autres).

Et cette langue occitane, qu’est-ce que c’est, « qu’es aquò » ?, comme on dit en occitan, parfois transcrit en « késaco » dans le français régional ou par les Parisiens en vacances qui veulent imiter Monsieur Escartefigue, peuchère !

C’est une langue issue du latin à partir du 5ème siècle lorsque les diverses formes de latin « vulgaire », enrichies de parlers antérieurs à la conquête romaine ou postérieurs à l’effondrement de l’empire romain (les apports des « Barbares » germaniques, Francs, Wisigoth, Burgondes, etc), ont donné naissance aux langues romanes actuelles (français, occitan, catalan, espagnol, portugais, italien, corse, etc). Dans l’ancienne Gaule, au nord le latin est devenu le français et au sud l’occitan. Ce dernier est plus proche du latin que le français parce que la présence romaine a été plus longue et que les peuples germaniques y ont été moins présents au 5ème siècle.

La langue occitane, proche du catalan, et intermédiaire entre français, espagnol et italien (cet aspect central intéresse les linguistes), a eu son heure de gloire au moyen-âge avec l’apparition précoce (avant la française) d’une riche littérature (celle des « Troubadours » - qui signifie « trouveurs » en occitan) et l’émergence de plusieurs entités politiques indépendantes et souvent puissantes : duché d’Aquitaine, duché d’Auvergne, comté de Toulouse, royaume de Provence, royaume de Béarn.

L’Aquitaine, centrée sur Bordeaux, Limoges et Poitiers (comme la « nouvelle Aquitaine » formée cette année), tissa des liens avec la monarchie anglaise : Richard Cœur de Lion, marié à Aliénor d’Aquitaine, fut, à ses heures, un poète en oc.

L’Auvergne joua un rôle central en donnant un pape (qui résidait en Provence, en Avignon) et en étant le point de départ tant des croisades en Orient que du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle.

Le Comté de Toulouse (qui correspond à peu près à la nouvelle région « Occitanie ») joua un rôle considérable par sa civilisation avancée et sa politique tolérante envers la religion cathare (mais aussi envers les Juifs, ce qui était rare à l’époque). Il noua une solide alliance avec le royaume d’Aragon-Catalogne. Il fut hélas vaincu par la croisade contre les Cathares, au 13ème siècle, véritable génocide, ce qui permit au royaume de France, totalement étranger auparavant, de mettre la main sur l’Occitanie. Ne revenons pas sur le passé. Je suis personnellement fier d’être Français, mais je n’oublie pas que la conquête de l’Occitanie a été une opération coloniale doublée d’un génocide culturel et religieux.

Quant à la Provence (dont la partie niçoise, au particularisme resté très vivant, a été rattachée au royaume de Piémont-Savoie jusqu’en 1860) et au petit royaume pyrénéen de Béarn (qu’Henri IV apporta à la France), ils ont joué leur propre partition : la Provence était une composante du Saint Empire Romain Germanique et non de la France jusqu’à son rattachement au royaume de France au 16ème siècle par union matrimoniale (qui devait en principe respecter l’autonomie provençale, avec sa langue et son parlement, ce dernier balayé par la révolution).

Après des décennies de rattachement à la France, qui rabaissa notre langue au rang de patois (même sort pour le breton, le basque, etc), il y eut un renouveau culturel au 19ème siècle avec le mouvement du « Félibrige » emmené par Frédéric Mistral. Ce dernier, grand poète, mais aussi linguiste et homme politique, bien introduit y compris à Paris, fut couronné en 1904 du prix Nobel de littérature pour son œuvre en provençal (« Mirèio, Calendal, lou pouèmo dau Rose, etc) dans le même temps où les petits écoliers de son village, Maillane, près d’Arles, étaient punis lorsqu’on les attrapait en train de parler « patois ».

Aujourd’hui, l’occitan, connu aussi localement sous d’autres noms (provençal, gascon, nissart, limousin, auvergnat ou, tout simplement, « lengo nostro » - notre langue -), se présente sous des formes diverses qui ne remettent pas en cause l’unité de la langue. L’Institut d’Etudes Occitanes a normalisé cette langue sur la base, dans chaque grande région, de sa variété locale dominante. Notre langue a donc une grammaire, un vocabulaire, une syntaxe, propres. Ce n’est pas une variété de français, mais une langue à part entière. La langue est enseignée à tous les niveaux d’enseignement sur une base volontaire (de 5 à 20% des élèves, selon les endroits, ont une à trois heures par semaine. Il y a une épreuve au bac. En outre, plusieurs dizaines de « calandretas » organisent un enseignement bilingue en maternelle et primaire.

Cette place dans l’enseignement est très réduite, mais elle a toutefois été renforcée dans les années 1990 par François Bayrou, homme politique actuel maire de Pau et alors ministre de l’éducation nationale. Bayrou s’honore de parler et de cultiver sa langue béarnaise, une forme d’occitan gascon (le gascon, parlé aussi en Espagne, a un statut officiel en Catalogne espagnole, mais pas en France).

On ne saurait toutefois s’en contenter, de même des très rares émissions en occitan sur France 3 (moins d’une heure par semaine !) et sur une poignée de radios locales (« radio pais », « radio Niça Pantai », etc). Une langue qui n’est presque pas enseignée et quasiment pas diffusée est condamnée à mort. C’est vrai pour l’occitan. Ça l’est aussi pour le breton. Il s’agit pourtant d’un morceau du patrimoine culturel français. Dans ce pays, on répare les vieilles pierres, mais on laisse mourir des langues qui ont donné des prix Nobel ! C’est dommage.

Longtemps, l’occitan a été massivement parlé. En 1914, les trois-quarts des Occitans l’avaient encore comme langue quotidienne. C’est après la seconde guerre mondiale que le déclin arriva, d’abord dans les villes et chez les plus jeunes, puis partout.

Aujourd’hui, l’usage de l’occitan est résiduel. Un million de personnes (ce qui n’est tout de même pas rien) le parlent encore, au moins occasionnellement, en plus du français, désormais leur langue première (c’est mon cas), mais plusieurs millions le comprennent, au moins partiellement. Les plus jeunes, toutefois, ne le parlent presque plus. L’occitan est condamné à mort.

Pourtant, même moribond, il y a encore quelques restes et il existe un certain attachement (certes moins exprimé qu’en Bretagne, au Pays basque, en Catalogne ou en Corse) à la langue. Ainsi, nombreuses sont les localités qui tiennent à placer un panneau d’entrée en occitan. D’autres, comme Toulouse, Nice ou Aix-en-Provence, y ajoutent les noms de rues en occitan (rue se dit « carriera »). Et il y a les chanteurs modernes qui perpétuent les vieilles mélodies et en créent de nouvelles.

Et là où la langue a disparu en tant que telle, il en reste notre accent méridional (c’est la musique de notre langue, même si on en a oublié les paroles) et notre français régional, truffé de mots occitans que des lexiques vendu dans les libraires locales recensent. Tous les natifs du Midi de la France se sentent occitans (ou « méridionaux »), mêmes s’ils n’emploient pas le mot et même lorsqu’ils ne savent même plus que cette langue se parle encore.

Paradoxalement, la langue occitane est parfois plus connue par les spécialistes à l’étranger qu’en France. Une cinquantaine d’universités sur les cinq continents ont des sections d’études occitanes. Lorsque j’étais consul général de France à Cracovie, en Pologne, le recteur de la prestigieuse université Jagellone, qui savait que je connaissais la langue, me demanda d’assurer un cours de langue et culture occitane, ce que je fis (bénévolement). 50 étudiants suivirent mes cours et, lorsque les autorités de Cracovie furent invitées à Montpellier (dans le cadre d’un jumelage), je fus évidement du voyage et je tins à inclure trois étudiants dans la délégation : nous participâmes à une émission en oc de France 3 : de belles Mireille blondes aux yeux bleus s’exprimant en occitan, cela ne passa pas inaperçu !

3/ Pour terminer, une réflexion, qui s’appuie sur mon expérience personnelle.

Pourquoi s’intéresser à la langue occitane et aux autres langues dites « régionales » ?

Parce que les gens ont besoin d’identité et de racines. Le phénomène est général aujourd’hui. C’est parce que l’identité britannique est menacée par le cosmopolitisme apatride de l’Union Européenne que les Anglais ont voté aujourd’hui en faveur du « Brexit ».

Les Français ressentent de plus en plus la nécessité de retrouver leurs racines menacées par une mondialisation inhumaine. J’ai personnellement vécu dans quinze pays différents. Je me suis plu partout et j’ai des amis aux quatre coins du monde. Je m’exprime volontiers dans plusieurs langues étrangères. Mais je ne suis pas un cosmopolite issu d’une quelconque planète extra-terrestre. J’ai un ancrage, j’ai des racines. Je ne cultive pas le localisme. Je suis pour un monde ouvert et pour la diversité culturelle.

Mais, si on veut apporter quelque chose aux autres, il faut avoir quelque chose de spécifique à leur offrir. Croire qu’en passant au tout-anglais, après le tout-français, on va vers ce mythique « village planétaire » est une grossière erreur. Les Américains et les Anglais, par exemple, aiment notre terroir, notre vin, notre gastronomie et notre art de vivre ; lorsqu’ils séjournent chez nous en Provence, ils ne sont pas les derniers à goûter à notre « bouillabaisse » et à jouer à la pétanque. Qu’aurait à offrir à ces Anglo-saxons un Français qui se croirait obligé de ne distiller que son mauvais anglais en savourant son hamburger ? Rien, en fait. Si son ambition se limite à parler anglais avec des Anglais sur des sujets anglais, son interlocuteur d’outre-Manche le prendra à coup sûr pour un sous-développé qui n’a rien à dire, si ce n’est faire le (mauvais) perroquet de ce qui se dit au bord de la Tamise.

Avoir une identité, c’est savoir d’où l’on vient pour mieux choisir où on va. C’est renforcer la convivialité et donc le mieux vivre ensemble. C’est évidemment le contraire à la fois du communautarisme (importer et conserver une culture qui n’est pas d’ici) et du cosmopolitisme (la même chose, en plus snob). Affirmer une identité, c’est savoir donner le meilleur de ce que nos ancêtres nous ont légué tout en respectant et même aimant (je vous assure que c’est mon cas : mon attachement à l’occitan ne m’empêche pas de me sentir en communion avec les locuteurs de l’espagnol ou du tchèque lorsque je m’exprime dans ces langues. Je n’ai rien, non plus contre la langue anglaise, mais en Angleterre, pas en France, sauf nécessité de parler avec des étrangers non francophones) les autres cultures. La diversité culturelle, c’est le respect des autres, à condition que les autres nous respectent.

Les identités locales et régionales ne sont pas antinomiques de l’identité nationale. Au contraire, elles la renforcent. L’identité nationale, c’est avoir une histoire, une sociologie, des valeurs en commun. Elle se nourrit des identités locales et régionales, les seules que les citoyens vivent au quotidien. Lorsque ces dernières disparaissent, l’identité nationale a plus de mal à se révéler et à faire l’unanimité. On ne le voit que trop en France.

J’ai longtemps milité dans le mouvement occitan. Cela est passé par la rédaction de livres et d’articles et par l’enseignement de la langue occitane (dans ma première vie, celle de prof de lycée en Provence), en parallèle avec mes cours d’économie.

Je n’ai pas abandonné mon attachement à cette langue et cette culture, et cela d’autant plus qu’elles sont menacées de disparition, tant par assassinat par le pouvoir jacobin que, il faut bien le dire, l’indifférence des Occitans.

Lorsque j’ai intégré l’ENA, j’ai été à l’origine d’un travail d’équipe sur un sujet choisi par un petit groupe (à l’ENA, contrairement à une idée répandue, il y a aussi des gens qui ne s’intéressent pas qu’à leur carrière personnelle). Notre idée de faire un travail sur l’ « Occitanie » suscita, jusqu’au gouvernement et au parlement, l’effroi des pires nationalistes centralistes (« un comble, des séparatistes à l’ENA ! »). Un compromis a été trouvé sous la forme de la « langue et de la culture occitane » et non « Occitanie » (en langage administratif, l’adjectif existait puisque la langue était enseignée au lycée, mais pas le substantif). Inutile de préciser que nous avons eu, tous, une mauvaise note à l’épreuve. Mais je ne regrette rien. Cela ne m’a pas empêché de devenir diplomate (un autre est devenu préfet : il vient de terminer sa carrière comme préfet de l’Ile-de-France. Pas mal non ? On peut servir la France sans desservir l’Occitanie).

Aujourd’hui, je me félicite que, enfin, ce terme d’Occitanie, symbole d’un passé glorieux et d’une langue et d’une civilisation qui ont été injustement persécutées, signe de reconnaissance pour tous ceux qui mettent un « OC » derrière leur voiture, soit enfin reconnu.

La langue va sans doute mourir, mais il en restera au moins le souvenir, perpétué par le nom de la région.

« Longomai Occitania ». Vive l’Occitanie.

Yves Barelli, 24 juin 2016

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31 décembre 2015 4 31 /12 /décembre /2015 19:09

L’élection d’un exécutif régional à majorité nationaliste, le discours en langue corse de son nouveau président et les affrontements d’Ajaccio entre Corses et voyous « musulmans » ramènent l’ « île de Beauté » sur le devant de l’actualité. En niant l’existence d’une nation corse, contre toute évidence, le gouvernement français ne contribue pas à calmer les esprits.

1/ Depuis la Révolution de 1789, la France est un Etat centralisé qui ne reconnait pas l’existence sur son territoires des peuples divers. Un peuple, une Nation, une langue, un Etat, tels sont les éléments constitutifs de la République.

Cette idéologie n’est pas dépourvue de fondements et d’avantages. Elle s’appuie sur la volonté de dépasser la diversité de peuplement de la France afin d’éviter divisions et affrontements qui en découleraient.

Dépasser la diversité de ce qui a longtemps été reconnu comme nations spécifiques sous l’ancien régime (même si le mot de « nations» était peu employé, ne serait-ce que par ce qui caractérisait alors les habitants des Etats : « sujets » et non « citoyens »). Cela résultait des hasards de la constitution de la France : réunion de fiefs féodaux d’une même « nation », conquêtes de territoires allogènes comme l’Alsace ou des portions de terres peuplées de Basques ou de Catalans, acquisitions en maintenant les particularités locales, comme la Bretagne, la Provence ou le Béarn incorporés par unions matrimoniales ou héritages en conservant, pour un temps, la fiction d’ « unions personnelles » (Etats différents avec un même souverain) ou, à des périodes plus récentes, annexions après consultation des populations (cas de la Savoie et du Comté de Nice en 1860 et départements d’outre-mer après 1945).

Dépasser aussi la diversité d’origines extérieures lorsque, à partir du 19ème siècle, la France est devenue un pays d’immigration massive.

Cette idéologie présente l’avantage de ne pas faire de différences entre les citoyens. Est Français, tout citoyen de la France. On devient français par filiation (droit du sang), par le fait d’être né en France et d’y habiter (droit du sol) ou par acquisition (« naturalisations»). Il n’y a donc qu’une seule catégorie de Français, un seul peuple, une seule Nation et une seule langue. Nous sommes tous égaux. Dans ce schéma, la Corse ou la Bretagne ne sauraient exister en tant que nations ou peuples. Lorsque le gouvernement Jospin a concédé un très timide statut particulier à la Corse (contraint par la situation quasi insurrectionnelle de l’île), l’expression « peuple corse », qui avait été introduite presque par inadvertance dans le préambule du texte, a été censurée par le Conseil Constitutionnel au motif que, en France, il n’y a qu’un peuple, le peuple français.

L’idéologie de l’unicité de la Nation française développée par la Révolution a encore été renforcée par les lois sur la laïcité de 1905 qui limitent au domaine strictement privé l’ « appartenance » religieuse. Non seulement les Français ne sauraient être différenciés selon leurs origines ethniques ou géographiques, mais, aucune religion n’étant officielle (sauf en Alsace et Moselle, situation particulière sur laquelle on ferme les yeux car peu compatible avec l’unité et la laïcité de la République), toutes les religions ou la non religion sont égales et aucune ne peut interférer dans le domaine public.

C’est en s’appuyant sur ces principes fondateurs de la République que, notamment, la France interdit les statistiques ethniques ou religieuses et refuse de ratifier la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires.

Cette idéologie, je le répète, a des avantages. Elle a permis aux régions linguistiquement, culturellement et historiquement allogènes de mieux s’intégrer dans l’ensemble national. Elle a bridé, en les niant, les nationalismes locaux qui auraient pu entraîner une situation à la yougoslave ou à l’espagnole. Elle a permis la constitution d’une administration puissante (l’une des meilleures, objectivement, du monde) et homogène : n’importe quel fonctionnaire, y compris enseignant, peut être muté d’un bout à l’autre du territoire sans s’occuper de langues ou de particularités locales. C’est pratique et en apparence équitable tant pour l’administration que pour les administrés.

2/ Mais toute idéologie poussée jusqu’au dogmatisme et à l’absurde en devient néfaste. Les inconvénients risquent alors de devenir plus importants que les avantages.

Je ne parle même pas de la fiction de « la France de Dunkerque à Tamanrasset » et du refus d’octroyer ne serait-ce qu’un début d’autonomie à l’Algérie française. Il a fallu 8 ans de guerre pour reconnaitre l’évidence : l’Algérie, ce n’est pas la France.

Si on s’en tient au seul « hexagone », la négation des identités locales a sans doute permis de renforcer l’unité nationale et a pu jouer au bénéfice des citoyens issus de régions allogènes. Des dizaines de milliers de Corses sont ainsi employés dans l’administration française sans que jamais leur origine pose problème. Napoléon, né à Ajaccio, a ainsi pu devenir empereur des Français. Bien d’autres hommes politiques, aujourd’hui, originaires de « province », comme on dit (tout ce qui n’est pas parisien), ont un destin national. L’origine géographique des candidats n’est jamais prise en compte par les électeurs dans leur choix. C’est plutôt positif.

En apparence, l’origine géographique n’est donc pas un problème en France. Nous constituons en quelque sorte une nation, un peuple, une citoyenneté « hors sol ».

Cette idéologie, il faut le reconnaitre, recueille l’adhésion de la majorité du « peuple » français. Je suis personnellement originaire de Provence, « région » qui fut une « nation » reconnue et même un Etat souverain jusqu’au 16ème siècle (et qui conserva des institutions propres jusqu’à la Révolution). Les Provençaux n’ont aucune velléité d’indépendance ni même d’autonomie. Rien à voir avec la Catalogne voisine. L’Etat français a tout fait pour faire disparaitre la langue provençale, qui a pourtant donné une riche littérature (les « troubadours » par exemple) et même un prix Nobel de littérature (Frédéric Mistral). Mais s’il y est parvenu (notre langue n’est plus que résiduelle), c’est parce que, massivement, les Provençaux ont abandonné leur langue pour mieux s’intégrer. D’autres, comme l’Etat espagnol, ont essayé de pratiquer le même génocide culturel, mais sans y parvenir.

Le revers de cette médaille est la perte d’identité.

Aujourd’hui, la France est le grand pays européen qui a le plus grand problème d’identité. J’ai souvent abordé cette question dans mes articles sur ce blog et je me propose d’y revenir, à l’occasion, de manière plus systématique et construite. Disons, pour simplifier, que le problème se pose à la fois du haut et du bas. Du haut parce que, longtemps, la culture française a revêtu un caractère si universel (lorsque le français était « la » langue de culture universelle) donc détaché de considérations territoriales (je reprends le mot « hors sol ») et, que, dans la période contemporaine, la « construction » européenne a, pour beaucoup, « ringardisé » les identités nationales. Du bas, parce que, en pensant ne pas marginaliser ceux de nos compatriotes issus de l’immigration, en particulier « musulmane », on nie toutes les réalités trop connotées aux racines chrétiennes ou ethniquement françaises de nos valeurs nationales.

Le résultat est que, à force de s’autocensurer pour rester « politiquement correct », l’identité française en est réduite à des concepts si théoriques et si « hors sol », tels le triptyque « liberté-égalité-fraternité » complété par la «laïcité », qu’ils en deviennent des slogans répétés à satiété par nos hommes politiques qu’eux-mêmes ne maitrisent plus vraiment et que beaucoup de ceux auxquels ils s ‘adressent ne comprennent plus. Quand on ostracise une Nadine Morano lorsqu’elle rappelle une évidence (« la France est un pays de tradition chrétienne et de race blanche »), lorsque, par peur d’ « islamophobie », on évite de désigner le caractère islamiste (et même islamique) du terrorisme ou de la délinquance, lorsqu’on stigmatise, au contraire, les Corses qui disent « on est chez nous » et lorsqu’on se contente du rituel et creux « vivre ensemble », objectivement, on nie l’identité française.

Et cette identité n’est pas remplacée par quelque autre identité que ce soit. L’identité « européenne » ? Sauf pour quelques rêveurs, elle n’existe pas. L’identité de « classes » sociales ? Le marxisme n’est plus à la mode et, si les inégalités sociales n’ont jamais été aussi grandes, il est de plus en plus difficile, et même impossible, de dire ce qu’est, par exemple, la « classe ouvrière ». Identité religieuse ? Elle existe de fait chez les « musulmans » (peut-être parce qu’ils n’ont plus aucune autre identité, notamment la française). Mais, officiellement, il ne saurait en être question.

3/ Et les identités « régionales » ?

Elles ont souvent disparu. Elles sont, de toute façon, niées partout en France.

La Révolution avait supprimé les « provinces » pour les remplacer par des morceaux de provinces, les départements, simples entités administratives ayant des noms de rivières ou de montagnes en niant tout soubassement historique.

Après la seconde guerre mondiale, on a créé des « circonscriptions d’action régionale », structures purement technocratiques même si elles reprenaient souvent les anciennes provinces. Les lois de décentralisation de 1981 ont créé les « régions » avec des assemblées élues, mais sans supprimer les départements. On s’est bien gardé de leur donner des compétences culturelles ou linguistiques en créant des absurdités technocratiques : la région Bretagne, par exemple, est compétente pour construire des lycées et les entretenir, mais pas pour recruter les professeurs ni pour définir, même partiellement, les programmes scolaires. Interdiction, par exemple, d’incorporer un enseignement de la langue bretonne dans les programmes (seul l’Etat est compétent).

En France, on ne considère les régions que comme un moyen (non prouvé d’ailleurs) de créer de la croissance économique ou de maximiser les budgets publics. On est même allé cette année jusqu’à redécouper les régions (par regroupements) sans consulter personne, notamment pas les populations concernées. L’objectif, d’ailleurs fallacieux ? Faire des économies ! Si on pense mobiliser des populations sur des projets communs avec de tels objectifs, on se trompe.

A aucun moment, dans l’ersatz de débat public (qui se limite à quelques déclarations d’hommes politiques n’engageant qu’eux), la question des identités régionales n’est posée. Pas davantage, d’ailleurs, celle des identités locales. Les communes ont une existence souvent millénaire (les anciennes paroisses de l’ancien régime), mais aujourd’hui, on crée des « communautés de communes » aux compétences souvent plus étendues que celles des communes, mais dont personne ne connait les limites ni ceux qui les dirigent. Là aussi, refus d’identité sous le prétexte fallacieux de « faire des économies » (en tous cas pas sur les indemnités des élus car à celles de maires, on ajoute celles de présidents ou vice-présidents de communautés, tout maire étant automatiquement au moins vice-président).

Vu de n’importe quel autre grand pays européen, cela est étonnant.

Pourtant, l’identité régionale, surtout dans un pays comme la France si timide pour définir son identité nationale (comme vu plus haut), devrait être considérée comme utile.

Une identité pour quoi faire ? J’aurais dû commencer par cela lorsque j’ai commencé à écrire cet article. Je définie personnellement l’identité par cette expression : « savoir d’où l’on vient pour décider où on va ». Chaque individu a une identité : un nom, un sexe, un lieu de naissance, des parents, des diplômes, une profession. Ceux qui n’en ont pas, ou n’en ont que partiellement, s’en créent une. Ils ne restent pas anonymes ni sans repères. On peut renoncer à une identité géographique. Mais, dans ce cas, on la remplace par une autre : religieuse, politique, professionnelle ou de « hobby » (marin, musicien, etc).

C’est la même chose collectivement. Les gens qui vivent en société ont besoin d’avoir une identité collective, c’est-à-dire des valeurs ou des pratiques collectives dans lesquelles chacun se reconnait. Sinon, c’est le chacun pour soi et la loi de la jungle. Ou le nihilisme. Sans identité, il n’y a pas de cohésion sociale.

Il devrait y avoir complémentarité entre les divers niveaux d’identité, un peu comme les poupées russes qui s’emboitent. Je suis personnellement marseillais, provençal et français. Pourquoi devrais-je choisir entre ces trois identités auxquelles je suis également attaché? [Je ne considère pas ici la question des identités des binationaux : s’ils vivent sur le territoire français, c’est que, en principe ils ont choisi la France. Sinon, ils ont un deuxième lieu possible de résidence. La question régionale est différente : je suis Français parce que Provençal, mais être « algérien » de France, cela ne veut rien dire].

La question de l’identité régionale est dans ce pays souvent « polluée » par des a priori dogmatiques.

L’identité « régionale » existe parfois en opposition avec l’identité nationale ou est vue comme telle. Souvent, d’ailleurs, parce que cette identité régionale est niée. Je connais beaucoup de Catalans qui n’avaient, et qui continuent à n’avoir, rien contre l’Espagne, une partie de leur propre identité, mais qui ont viré vers l’indépendantisme parce que leur « catalanité » est niée par le pouvoir central madrilène (ce qui a mis le feu aux poudres est la décision en 2010 du « tribunal constitutionnel » espagnol de censurer dans le nouveau statut de la Catalogne les mots « nation catalane »).

J’entends souvent à Paris des réflexions du genre « s’ils se veulent corses, ils n’ont qu’à demander leur indépendance (qui, d’ailleurs, ne leur est pas proposée !) ; qu’ils nous foutent la paix ; ils nous coûtent déjà trop cher ». Ceux qui professent de telles âneries ne leur laisse qu’un choix : être Français ou être Corse, mais pas les deux.

Ailleurs en Europe, la conception est souvent différente. On considère dans certains pays l’identité régionale comme complémentaire et constitutive de l’identité nationale ; elle la renforce car elle s’appuie sur du concret, davantage que la nationale. Etre bavarois, par exemple, est important pour les Bavarois. C’est une partie d’eux-mêmes et cela renforce à leurs yeux leur identité allemande parce que celle-ci peut s’appuyer sur quelque chose de tangible. Idem pour un Tyrolien en Autriche, un Vaudois en Suisse, un Piémontais ou un Lombard en Italie ou un Valencien ou un Andalou en Espagne (les cas catalan et basque sont plus particuliers).

En Grande Bretagne, on a fait encore mieux en matière d’identités complémentaires en reconnaissant que le Royaume-Uni était une union de « nations » (galloise, anglaise, écossaise, nord-irlandaise) allant jusqu’à avoir, chacune, ses propres équipes de rugby ou de football.

Ces identités régionales sont souvent confortées par l’usage de langues spécifiques en plus de la langue nationale. Au parlement de la « Communauté » valencienne, on considère comme normal qu’on député s’exprime en valencien, langue qui est utilisée pour toutes les inscriptions officielles sur la voie publique. Idem pour le gallois au Pays de Galles ou l’allemand au Sud-Tyrol (Italie).

La tradition et la pratique françaises sont différentes. J’ai traversé il y a deux semaines le Pays Basque. Côté espagnol, tout est écrit en basque (avec traduction espagnole, compte tenu de la difficulté de la langue ; en Catalogne et à Valence, on se passe de traduction), côté français, que du français (sauf les panneaux d’indications locales à l’initiative des municipalités, situation de fait mais non de droit).

Le fait que, pour la première fois, le président de l’exécutif corse se soit exprimé en corse en Corse en s’adressant à des Corses a soulevé un tollé en France. Cela est peu compris à l’étranger.

4/ Le particularisme corse devrait pourtant être pris en compte.

La Corse est française depuis 1768 à la suite de la cession de l’île à la France par la république de Gênes pour éponger ses dettes, mais surtout parce que cette « vente » était pour elle un moindre mal car Gênes ne contrôlait plus la Corse depuis 1755, date à laquelle l’île avait déclaré son indépendance sous la direction de Pascale Paoli et s’était dotée d’une constitution. La Corse est devenue française par conquête, pas par choix de ses habitants.

Il est vrai qu’ensuite, l’intégration a été une réalité. Napoléon y a contribué. Mais pas seulement. La France a beaucoup apporté à la Corse et les Corses le lui ont bien rendu.

Aujourd’hui, la majorité des Corses, semble-t-il, se considèrent comme Français.

Certains seulement français, mais sans doute une majorité comme français ET corses.

L’identité corse vient de son histoire, de l’insularité, des traditions locales, d’un système de valeurs (par exemple l’importance de la grande famille) et de la langue corse (dont certains contestent l’unité – différences, notamment, entre le nord, influencé par Gênes et la Toscane, et le sud, plus proche du sarde – et même l’existence en tant que langue propre différente de l’italien).

La question de la langue est évidemment importante parce que la langue est le reflet le plus visible de l’identité. Ceux qui nient les langues « régionales » parce que chaque village aurait son « patois » ne connaissent pas grand-chose à la linguistique. Une langue est un dialecte qui a « réussi », en ce sens qu’il y a un pouvoir politique pour la soutenir. Sans cela, le français ne serait encore, ce qu’il fut, qu’un simple dialecte (ou plutôt un ensemble de dialectes) du latin. Quant à l’unité de la langue, elle résulte surtout de l’enseignement et des médias : toute langue, plus ou moins, se compose de variétés locales ou sociales. Le basque, par exemple, était assez différencié avant la création récente d’une langue unifiée qui est aujourd’hui enseignée et diffusée (ce qui n’empêche pas, à l’oral et entre soi, les variétés locales). Un corse normalisé pourrait facilement s’imposer comme vecteur normal de communication politique, scolaire et médiatique (en retenant, si nécessaire, des variantes comme cela est le cas, par exemple, entre le « British English » et l’ « American English » ou entre le français de France et de Suisse).

Le problème est davantage posé par l’attitude du gouvernement français que par l’aspiration ou non des Corses à l’indépendance. Lorsque Manuel Valls, comme ses prédécesseurs, répète qu’il n’y pas de peuple corse, il nie une réalité et met dans l’embarras ceux des Corses, sans doute la majorité, qui sont attachés à la France. Etant marseillais de naissance, j’ai beaucoup d’amis corses (je ne le suis pas moi-même – tous les patronymes en « i » ne sont pas corses -). J’en connais qui privilégient leur identité française (notamment, ceux, qui comme moi, ont fait une carrière nationale ou internationale dans la fonction publique française) et sont profondément anti-indépendantistes. Ils ne renient pourtant en rien leur « corsité ». D’autres sont carrément nationalistes. Ils le sont en général devenus parce qu’ils en ont assez que leur culture soit niée et méprisée. La plupart des Corses ne voudraient pas choisir entre France et Corse, ce qui, en cas de référendum d’autodétermination, laisserait très ouvert le résultat (comme en Ecosse et, sans doute, en Catalogne).

5/ En plus de la Corse, il y a d’autres régions en France qui ont une profonde identité. Les parties françaises du pays Basque et de la Catalogne, évidemment. Cette partition, qui ne résulte que de la conquête, est historiquement absurde. La Bretagne est un autre cas, assez similaire finalement, à celui de la Corse : la Bretagne a été un Etat souverain rattaché à la France par hasard historique (d’aucuns disent par entourloupe), elle est assez isolée géographiquement, a une langue propre (que peu de Bretons parlent mais à laquelle ils sont presque tous attachés) et, surtout, une identité propre, concrétisée par l’usage massif de drapeaux bretons en toutes occasions.

La question de l’identité peut s’appuyer sur des faits objectifs mais elle ne se pose que lorsqu’il y a une conscience collective. Elle devient pertinente par subjectivité. Objectivement, l’Occitanie a une identité encore plus forte que la Bretagne mais elle est moins ressentie par les populations (d’autant que les frontières en sont mal définies : la Provence, par exemple, est-elle occitane ou simplement provençale ? Idem pour le Béarn, la Gascogne ou Nice. La question est controversée).

6/ Certains diront en lisant ce texte que je soulève une question qui n’est pas prioritaire dans les préoccupations des Français, y compris dans les régions concernées. Le chômage, la sécurité, le terrorisme préoccupent davantage.

C’est vrai. Mais ce qui se passe en Corse, après l’épisode des « bonnets rouges » en Bretagne, montre qu’il serait imprudent de sous-estimer la question régionale.

Nier les identités régionales, comme on l’a traditionnellement fait en France peut résoudre le problème quand l’identité meurt, comme cela semble, plus ou moins, le cas en Occitanie (encore qu’un volcan éteint peut toujours se réveiller). Mais il en reste toujours quelque chose, ne serait-ce que parce que la disparition de l’identité laisse place à un malaise de la société et à l’exacerbation des relations entre individus.

Mais nier les identités peut nourrir aussi les séparatismes. C’est le cas en Corse.

Une solution me parait être dans la recherche de statuts spécifiques basés sur le pragmatisme. C’est, je crois, vers cela que devrait s’orienter un débat débarrassé des à priori dogmatiques.

Nier l’existence d’une nation corse ou d’un peuple corse me parait stupide et contreproductif. Laissons les Corses décider qui ils sont. Décider à leur place depuis Paris, c’est prendre le risque de les braquer contre la France, alors qu’ils sont majoritairement attachés, aussi (j’insiste sur cet adverbe), à la France.

Il serait bon de retourner à l’étymologie des mots. « Peuple » est un mot assez neutre recouvrant la notion de rassemblement d’individus présentant des caractères communs qui leur permettent de se différencier d’autres groupes. C’est une notion objective. Dans les pays africains, on appelle ces groupes des « ethnies ». En Russie, on les appelle des « nationalités » (on peut avoir la « nationalité » tatar ou bachkir et en même temps être de « citoyenneté » russe). En Grande Bretagne, on parle de « nations ». En Espagne, on en est encore à la notion ambigüe de « communautés autonomes » (mais il est très probable que ce pays deviendra fédéral et qu’il reconnaitra ses nationalités).

La « nation » est un concept qui va au-delà de celui de « peuple ». C’est en quelque sorte un peuple conscient de sa spécificité. Il vient du mot latin « natio », naissance, en montrant que les individus se reconnaissent des origines communes, même si elles résultent d’assimilation volontaire et non de naissance (cas des immigrés). Ils constituent en quelque sorte une grande famille et ils mettent volontairement en avant leurs liens familiaux.

Je pense qu’il faudrait réfléchir au concept de « nation associée ».

Une nation ne se traduit pas nécessairement par un Etat. Il existe des Etats multinationaux, comme la Suisse ou les anciennes Yougoslavie et Tchécoslovaquie. Il y a aussi des Etats où coexistent une nation dominante et des nations minoritaires auxquelles une place spécifique est faite dans l’Etat. Dans ce dernier cas, une large autonomie est concédée à la nation associée qui s’auto-administre mais qui peut compter sur la nation à laquelle elle s’associe volontairement pour les grands services publics ainsi que pour les compétences « régaliennes » (monnaie, armée, diplomatie). Beaucoup de Corses rêvent d’un tel système. Ils ne souhaitent pas constituer un Etat car ils estiment préférable de bénéficier du « parapluie » d’un grand Etat (certains ajoutent que ce grand Etat les protège en outre des « mafias » locales), mais ils aspirent à être corses en Corse, à défendre leurs valeurs propres, leurs traditions et, sans renoncer à parler français, à parler aussi le corse, élément important de leur identité. En un mot, ils veulent être fiers d’être français tout en étant fiers d’être corses.

Un tel statut de nation associée me paraitrait adéquat pour la Corse et pour la Bretagne. Cela impliquerait notamment l’officialisation des langues corse et bretonne avec enseignement obligatoire (à côté du français), possibilité de les utiliser dans la vie publique et chaines spécifiques de radio et télévision (comme cela se fait, par exemple, au Pays de Galles, dans les régions espagnoles à langues particulières et, d’une façon à peu près systématique, partout en Europe où existent des langues « régionales ». Seule la France fait exception) Des statuts spécifiques plus ou moins autonomes pourraient être envisagés pour les régions qui le souhaitent (et dans tous les cas décidés par référendum).

Tout cela devrait être fait de manière démocratique et non technocratique. Il appartient aux populations concernées de choisir leur statut (chacun a des avantages et des inconvénients : plus d’autonomie, c’est moins de cohérence nationale, mais c’est plus d’identité).

Ceci est ma contribution au débat. Ceux qui ont d’autres idées peuvent les exprimer.

Et en ce dernier jour de l’année, je formule pour l’année prochaine le vœu d’une France plus apaisée et moins dogmatique.

Yves Barelli, 31 décembre 2015

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31 octobre 2014 5 31 /10 /octobre /2014 13:13

Depuis une semaine, le projet de création d’une retenue d’eau dans le Tarn est à la une de l’actualité française. Il y a eu mort d’homme et il est en effet légitime que le pays s’en soit ému et que, autour de cet incident tragique, un débat de niveau national se soit établi.

Résumé des faits. En 2011, le conseil général (assemblée départementale dotée d’un certain nombre de compétences, limitées mais non négligeables en vertu des lois de décentralisation de 1981) du Tarn (sud de la France, près de Toulouse) a décidé de financer la création d’une retenue d’eau à usage agricole. Cette réalisation est modeste : une retenue de 1,5 millions de m3 (équivalent de 400 piscines olympiques) pour un coût de l’ordre de 8 millions d’euros, pris en charge comme cela est hélas fréquent au moyen de financements « croisés » (c’est-à-dire partagé entre plusieurs collectivités – département, communes, région – et complété par des crédits ministériels ainsi que des fonds européens). Je dis « hélas » parce que ce type de financement est à l’origine de nombreuses dérives : la collectivité qui en prend l’initiative croit faire une bonne affaire parce que son projet est en partie financé par d’autres ; cela la déresponsabilise et est source de gaspillages du fait que cette collectivité n’engagerait peut-être pas la dépense si elle était seule à la financer et que, en outre, ses économies sont illusoires car la même collectivité est appelée à cofinancer d’autres réalisations en échange ; ce système est à l’origine de nombreuses dérives en matière d’équipements pas toujours utiles et décidés souvent plus en fonction des possibles subventions reçues que de leur utilité intrinsèque.

Cette retenue d’eau a été décidée par la majorité socialiste du conseil général (mais, il semble que, en dehors des élus écologistes, l’opposition s’y soit aussi associée : lorsqu’il y a un « lobby » électoral à soigner, il y a souvent surenchère pour le séduire !) en concertation avec quelques agriculteurs influents et leur organisation professionnelle, la FNSEA (fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).

Il semble que la société chargée de la construction ait été aussi chargée de mener les études d’impact, donc a été en quelque sorte juge et partie. Comme ce projet était de faible ampleur, il semble (je dis « il semble » car je ne connais pas le dossier) que les obstacles administratifs des services de l’Etat qui auraient pu gêner le projet ont été facilement franchis et que l’enquête d’utilité publique ait été concluante.

Pourtant, le projet a immédiatement causé une vive opposition chez les défenseurs de la nature qui ont mis en avant l’importance de dégâts écologiques (13 ha de « zones humides » sacrifiés) disproportionnés au regard de l’utilité contestable du projet (la région n’est pas aride et l’utilité de la retenue n’apparait pas évidente).

L’opposition s’est organisée et des groupes se sont installés sur les lieux pour empêcher l’entreprise chargée de couper les arbres d’opérer.

Les travaux ont néanmoins commencé sous la protection des gendarmes. La tension est rapidement montée et des affrontements ont eu lieu. Des groupes de « casseurs » s’en sont pris aux gendarmes (c’est ce qui apparait sur des vidéos montrées à la télévision) sans qu’on sache très bien s’il s’agît de véritables écologistes ou seulement de marginaux décidés à en découdre pour en découdre. Les gendarmes ont parfois réagi de façon musclée (on le voit aussi sur des vidéos) sans qu’on sache vraiment si leur réaction était justifiée par les attaques violentes des casseurs ou si elle allait au-delà.

C’est dans ce contexte qu’un jeune écologiste (véritable militant et non casseur, semble-t-il) a été tué accidentellement par l’explosion d’une grenade offensive destinée à faire fuir les assaillants et non, évidement, à tuer. La grenade se serait coincée entre son sac et son dos et l’aurait directement atteint en explosant. Selon les témoignages (qui restent à vérifier), le jeune Rémi Fraisse (c’est son nom) ne faisait pas partie des assaillants, mais se serait simplement trouvé là au mauvais moment.

Après ce décès, l’affaire a pris des proportions nationales, ce qui a conduit le ministère de l’environnement à s’intéresser un peu plus au fond du dossier. Ses conclusions sont un jugement de Salomon : l’utilité du barrage n’est pas établie (en d’autres termes, il ne sert pas à grand-chose économiquement tandis que son impact négatif environnemental est, lui, plus évident), mais, puisque les travaux sont commencés (autrement dit, puisqu’on a déjà massacré la nature), autant les terminer.

Le 31 octobre, le conseil général du Tarn s’est réuni. Après avoir observé une minute de silence, il a décidé de « suspendre » les travaux, mais pas de les interrompre.

Cette affaire me parait exemplaire. C’est pourquoi, je la commente.

1/ Je n’ai pas d’opinion définitive sur le fond du dossier, mais il semble que son utilité est contestable.

Elle met en lumière l’insuffisance, souvent, dans ce genre de décision, des prévisions quant aux impacts, tous les impacts, de la réalisation. On a en effet trop tendance à privilégier les seuls intérêts économiques. On peut comprendre en cette période de chômage massif que la création d’emplois soit un objectif permanent, en l’occurrence emplois agricoles peut-être, emplois dans la construction sûrement. Mais ne raisonner, ou raisonner de manière trop privilégiée, qu’en termes d’activité économique est une dérive regrettable. Créer des emplois pour créer des emplois sans utilité globale pour la société est une faute. Dans tout projet économique, les aspects sociaux et environnementaux et l’utilité sociale devraient être davantage pris en compte.

2/ On peut se demander si le conseil général d’un département est le bon niveau pour décider de projets de ce type.

Je pense que non. D’abord parce qu’une retenue d’eau, même modeste, doit être placée dans le cadre du bassin fluvial à laquelle elle appartient. Or, le Tarn n’est pas une île, mais fait partie du bassin de la Garonne qui concerne tout le sud-ouest de la France. Au minimum, le niveau régional aurait été mieux adapté.

Mais je vais plus loin. Les lois de décentralisation ont certes permis de rapprocher un peu les décisions des citoyens. Mais est-ce vraiment davantage de démocratie quand une prise de décision est non seulement plus proche des citoyens mais aussi des groupes de pression ? Or, dans un conseil général, dans lequel les élus ruraux sont majoritaires (les cantons ruraux, moins peuplés, sont davantage représentés que les urbains car ils couvrent des surfaces plus vastes), la FNSEA, principale (mais pas la seule) organisation professionnelle agricole, constitue un groupe de pression localement très influent. Combiné au système pervers des financements croisés, cela explique que les élus se laissent facilement convaincre. Cette dérive doit être mise en rapport avec l’intensification et l’industrialisation de l’agriculture qui utilise de plus en plus des produits chimiques dangereux et qui consomme de plus en plus d’eau. Cela est malheureusement encouragé par le système agricole européen (l’agriculture est de la compétence de l’Union européenne et les Etats ont perdu, en ce domaine comme en d’autres, leur souveraineté. Restent les petits projets, comme le barrage de Sivens, de compétence locale.

Cette dérive « économiste » de l’agriculture, souvent avec la complicité des élus locaux,  est inquiétante. Pour la santé des consommateurs d’abord, mais aussi pour la nature. Ainsi, l’élevage exagéré des porcs en Bretagne a des répercussions catastrophiques. Autre exemple : le marais poitevin, réserve naturelle exceptionnelle mais aussi région touristique réputée (en symbiose, pour une fois, avec la nature) est en train de s’assécher lentement mais sûrement parce que l’agriculture en amont pompe trop d’eau dans la nappe phréatique.

Mais il y a un autre groupe de pression, pis que les syndicats agricoles. C’est celui du secteur du bâtiment et travaux publics (BTP). C’est un lobby très efficace car il allie des entreprises nationales puissantes (Bouygues, Vinci, etc) et locales (souvent liées aux élus) et des ingénieurs, fonctionnaires des directions départementales de l’équipement (DDE). Tout ce beau monde pousse pour construire tout et n’importe quoi (voyez par exemple la multiplication extravagante des ronds-points, parfois même là où il n’y a qu’une route !). Je ne dis pas qu’il y a corruption d’élus (c’est parfois le cas, mais cela reste minoritaire), mais il y a une forte pression, en partie pour le motif apparemment louable de créer des emplois (c’est ainsi que dans la plupart des départements, les élus votent d’abord une enveloppe de travaux routiers et ensuite, ensuite seulement, on commence à se demander qu’est-ce qu’on va en faire).

J’appelle tout cela, une dérive de la décentralisation.          

Ce type de décentralisation me parait en effet néfaste. On a l’aberration de collectivités régionales et locales compétentes en matière économique ou de transports et, en revanche, incompétentes dès lors qu’il s’agit de leur identité et de leur personnalité culturelle. Une telle décentralisation est un leurre et un danger. Un leurre parce qu’il s’agit de « compétences » (entendez de « dépenses ») que l’Etat s’est déchargé sur les collectivités locales pour sauvegarder la fiction qu’on augmente pas trop les impôts (nationaux), ce qui entraine une explosion d’impôts locaux et de taxes locales de toutes sortes. A quoi rime par exemple le fait de déclassifier des routes nationales pour en faire des « départementales » ? C’est ainsi que la mythique nationale 7, qui relie Paris à Nice porte maintenant une quinzaine de numéros différents, un pour chaque département traversé. Quant aux lignes régionales de chemins de fer, c’est l’occasion pour la SNCF et l’Etat de se défausser sur les régions pour les financer.

Vous me direz, qu’on paye localement ou nationalement, c’est pareil, ce sont les mêmes contribuables qui payent. Mais double objection : les bureaucraties locales grossissent démesurément et font souvent doublon entre elles et avec les administrations nationales, ce qui est source de gaspillages et ce qui empêche de placer les décisions dans le cadre d’un aménagement cohérent des territoires (cas, par exemple, de deux communes ou départements voisins qui sont mis en concurrence par un investisseur privé qui obtient ainsi des avantages fiscaux aux dépens des citoyens). En outre, il y a les communes riches et les communes pauvres. Idem pour les départements et les régions. Toute décentralisation excessive dans le domaine économique est source d’inégalités entre les citoyens qui appartiennent pourtant au même pays.

Je préfèrerais pour ma part que l’Etat reste compétent pour le fonctionnement des services publics, qui devraient être de même qualité partout et que, en revanche, les régions, en particulier celles qui ont une personnalité historique et culturelle forte, soient compétentes pour aménager certains programmes scolaires et pour mieux promouvoir leur culture ou leur patrimoine. A titre d’exemple, la quasi-totalité des collectivités régionales, départementales et communales bretonnes ont voté des résolutions pour demander qu’une plus grande place soit faite à la langue bretonne. L’Etat, compétent pour l‘enseignement mais aussi pour le fonctionnement de l’administration (y compris régionale) n’y donne pas suite. La Bretagne est donc compétente pour financer les trains de Vannes à Brest, mais pas pour la langue bretonne, pourtant considérée par les Bretons comme un patrimoine  irremplaçable et menacé. Cela vous parait normal ? A moi non. Pour revenir au barrage de Sivens, je préfèrerais que le conseil général du Tarn consacre les 8M€ à l’enseignement et à la diffusion de la langue occitane plutôt qu’à une réalisation qui détruit la nature.

Donc oui aux libertés régionales, mais non à la fausse régionalisation octroyée par Paris.                                  

3/ Quel que soit le niveau compétent pour prendre les décisions, on souhaiterait qu’elles soient prises en associant davantage les citoyens. Sous trois formes. Celle de l’association des élus locaux. Il semble que ce soit le cas pour le barrage de Sivens, même si la décision a été mauvaise. Celle de la société civile : pas seulement les organisations professionnelles, souvent juges et parties, mais aussi les associations culturelles, de défense de la nature, etc. Celle enfin des citoyens : il ne faut peut-être pas abuser des référendums d’initiative locale, mais, pour le moment, l’abus est qu’on utilise presque jamais cette possibilité. Elle serait pourtant souvent (pas toujours, c’est vrai) la solution. Ainsi, me paraitrait-il juste d’interroger les citoyens de la Loire-Atlantique sur le projet de nouvel aéroport de Notre-Dame des Landes, contesté par beaucoup. Ces citoyens le veulent-ils ou non ? Pour le moment, comme on ne les consulte pas, on n’en sait rien. Ils sont pourtant les premiers concernés.  

4/ Une remarque de bon sens, en tout qui devrait être considérée comme telle par tous. Le droit de manifester sur la voie publique est un droit constitutionnel, mais il est encadré par la loi. Manifester est une chose, mener des opérations de guérilla contre les forces de l’ordre est autre chose. Manifestations pacifiques oui, violentes non. Il est inadmissible, dans un Etat démocratique, de jeter des cocktails Molotov ou même des pierres sur des policiers ou des gendarmes. Le respect de la police, garante de l’ordre républicain, est un principe de base dans un Etat démocratique.          

5/ Une dernière observation, réconfortante celle-là. En France, lorsqu’il y a mort d’homme dans un affrontement avec la police, ou dans tout autre cas, on en parle et un grand débat s’engage. C’est positif. Ceux qui critiquent facilement les forces de l’ordre devraient voyager plus ou mieux s’informer. Les grandes manifestations de 1968 ou celles de 2005, qui ont souvent pris un caractère insurrectionnel, n’ont quasiment pas fait de victimes directes (deux noyés en 1968) ; on le doit à la retenue et au professionnalisme des forces de l’ordre. Dans le tiers-monde, mais pas seulement, ce sont plusieurs dizaines, ou plus, de morts dans des circonstances similaires. Aux Etats-Unis, par exemple, les émeutes « raciales » ont fait des centaines de morts et la police continue d’y avoir la gâchette trop facile.

Tant qu’un décès suscitera de l’émoi en France, on pourra dire que notre pays reste un pays civilisé. C’est encore le cas. Cela devient une exception dans le monde.

Un bémol néanmoins à cette remarque réconfortante pour notre pays. On eut souhaité que, sitôt la nouvelle de la mort du jeune  Rémi Fraisse connue, le Président de la République, ou, au moins, le Premier Ministre, prononcent deux phrases de compassion à la télévision. On ne leur demandait pas de prendre parti, une enquête de justice est en cours, mais seulement de rendre hommage à un jeune qui, par générosité et donc de manière totalement désintéressée, a pris de son temps pour aller défendre une cause qui lui paraissait juste. Hollande et Valls ont assisté, tous les deux, aux obsèques du PDG de Total, disparu accidentellement dans un accident d’avion. Lui, était peut-être utile à l’économie (encore que Total, comme les autres multinationales, ne paye pas beaucoup d’impôts en France), mais il était tout sauf, compte-tenu de son salaire indécent, désintéressé. Il est vrai que, même la mort de soldats français (un encore hier au Mali) émeut moins qu’avant !

La France restera-t-elle encore longtemps un pays « civilisé » ?      

 

Yves Barelli, 31 décembre 2014                

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4 juin 2014 3 04 /06 /juin /2014 14:47

Le nouveau découpage régional de la France proposé (il devra être avalisé par le parlement) par le gouvernement le 3 mai a suscité un faisceau de critiques justifiées de toutes parts (voir mon texte d’hier « réforme régionale en France »).

Réforme « gadget » improvisée et sortie « du chapeau » sans aucune concertation sérieuse, ce projet pêche tant par sa méthode que par sa finalité affichée : faire des économies à tout prix (qui se révèleront certainement illusoires) au mépris des identités locales, qui devraient pourtant être valorisées car elles sont source de cohésion sociale et donc facteur de développement économique.

La question régionale (pas seulement en France) m’intéresse au plus haut point, elle me passionne même. C’est pourquoi, j’y ai réfléchi.

Avant même que le gouvernement ait sorti sa nouvelle carte des régions, je m’étais interrogé sur ce que pourrait être une proposition de redécoupage régional (je dis bien « proposition », étant entendu que les gens ne sont pas des enfants, mais des adultes et donc qu’il appartient aux citoyens concernés de décider dans quel cadre territorial ils souhaitent vivre : cette démarche d’inspiration démocratique est tout le contraire des « solutions » bureaucratiques et technocratiques).

A mes lecteurs curieux de cette question, je soumets le texte ci-dessous que j’ai écrit il y a deux mois, couchant sur le papier des idées que j’ai depuis des années. Si certaines propositions recoupent en partie celles du gouvernement, d’autres s’en écartent substantiellement. Mais surtout, la différence est de nature : quand les technocrates (et le gouvernement) parlent « économies », moi je réponds « identité » avec la conviction que, non seulement l’homme ne vit pas seulement de pain mais, qu’en outre, c’est l’identité et la cohésion sociale qui sont les meilleurs garants des constructions pérennes, consensuelles et donc fonctionnelles et sources de ces économies à tout prix qu’on prétend rechercher.

J’ajoute, mais cette problématique n’est pas l’objet de ce texte qui se limite aux limites régionales, que cette question du redécoupage devrait évidemment être replacée, ou couplée avec lui, dans le contexte plus général d’une meilleure affirmation de la démocratie qui passe par une réflexion sur l’Etat, donc de l’expression de la solidarité nationale, et son adéquation aux autres solidarités : régionales et communales (on est d’une localité, d’une région et d’un pays et, j’ajouterais, citoyen de la planète Terre).

Certains considèrent que dans le monde globalisé de 2014, les identités locales et régionales sont dépassées. Il en est même qui estiment que la nation elle-même est dépassée.

Je ne suis pas d’accord parce que, pour vivre en société, on a besoin de valeurs, de racines et d’identités partagées. J’ai personnellement vécu une bonne partie de ma vie dans une quinzaine de pays et je continue à voyager dans le monde entier. Je peux communiquer dans pas mal de langues et j’ai des amis et connaissances loin au-delà des mers. Je me sens bien à peu près partout parce que toutes les cultures ont quelque chose à nous apporter. Pourtant, je fais mienne cette réflexion, je crois de Georges Marchais : « l’internationalisme commence par le patriotisme ». Inter-nationalisme signifie entre les nations. Encore faut-il que ces nations existent et soient vivantes. Je suis en revanche d’accord avec le fait qu’il ne faut pas confondre nationalisme, souvent néfaste, et patriotisme, au contraire souhaitable. Je suis aussi d’accord avec le fait que la défense de la nation ne doit pas être exclusive. Certains sont binationaux et bi ou multiculturels. Tant mieux, c’est une richesse. D’autres, cumulent des identités qui, en quelque sorte, s’emboitent. C’est mon cas : je me définis comme Marseillais (j’y tiens : j’ai la chance d’être né dans une ville à la forte personnalité et qui a 2600 ans d’histoire derrière elle), Provençal, Occitan (la langue occitane, à laquelle je tiens et que je pratique lorsque je le peux, dont le provençal est la variante la plus prestigieuse, a été une grande langue de communication et de culture, malheureusement niée par l’Etat français) et Français (j’ai représenté la France pendant trente ans dans mon métier de diplomate et j’en suis fier). Et en plus, je suis Terrien parce que l’Humanité est une. (Je pourrais ajouter aussi que je suis européen, à condition que ce soit de l’Atlantique à l’Oural, et que je suis méditerranéen).

L’une de mes identités, la régionale, se sent concernée par la question régionale.

Alors, voici mon texte.

FRANCE : ESSAI DE REDECOUPAGE TERRITORIAL

 

I - Pourquoi un redécoupage ?

 

Jusqu’en 1789, la France était découpée en unités territoriales appelées, pour simplifier, « provinces ». La plupart d’entre elles avaient un nom et une personnalité qui sont restées jusqu’à aujourd’hui : Normandie, Bretagne, Provence, etc. La réalité était néanmoins plus complexe car des subdivisions diverses existaient en fonction des divisions militaires, fiscales, juridiques (les parlements) ou ecclésiastiques. La liste retenue, un peu conventionnelle, fait état d’une trentaine de « provinces ». Certaines sont immenses (comme la Guyenne-Gascogne), d’autres toutes petites (comté de Foix, Angoumois, etc).

 

La Révolution abolit les « provinces » et leur substitua les « départements », de tailles à peu près égales (le critère était de pouvoir atteindre le chef-lieu au maximum en une journée de cheval). Avec les ajouts postérieurs, il y a près d’une centaine de départements (hors outre-mer).

 

Après la seconde guerre mondiale, on décida, pour des raisons de commodité de regrouper les départements en « régions », une vingtaine, dont certaines correspondent aux anciennes provinces. La loi de décentralisation de 1981 entérina ce découpage et conféra tant aux régions qu’aux départements des compétences propres démocratiquement utilisées par les assemblées élues (conseils régionaux et généraux) avec un contrôle à postériori de leur gestion, le préfet n’étant plus compétent qu’en tant que représentant de l’Etat et gestionnaire des services déconcentrés de celui-ci.

 

Ce système marqua un progrès. Toutefois, au bout d’un peu plus de 30 ans de fonctionnement, ses défauts sont maintenant reconnus : 1/ Concurrence entre les services décentralisés des collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’Etat, 2/ concurrence entre les régions et les départements, les compétences uniques de chacun n’étant pas toujours définies (et même lorsque c’est le cas, les financements croisés sont source de gaspillages) 3/ S’y ajoute la complexité du système communal : communes, communautés de communes, futures « métropoles » (décidées en 2014). En outre les 36 000 communes sont réputées toutes égales alors qu’elles sont loin d’avoir toutes les mêmes moyens.

 

Les principaux reproches, finalement, adressés au découpage territorial sont sa complexité (le « millefeuille »), l’absence de hiérarchie entre les collectivités et, s’agissant, des régions, leur faiblesse due à la concurrence des départements, au trop grand nombre des régions (c’est du moins ce que l’on dit, mais ce n’est pas vraiment le problème : le nombre des régions en France est comparable à celui de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne, qui ont des populations presque équivalentes) et à l’excessive centralisation de la France).

 

II – Quels critères de redécoupage ?

 

Sans aborder la question, politique, du degré d’autonomie à accorder aux régions (la gradation va de l’Etat centralisé où les régions sont surtout des circonscriptions d’action de l’Etat, à l’Etat fédéral avec compétences décentralisées étendues), deux questions se posent : 1/ Faut-il supprimer les départements (ou, ce qui revient un peu au même, les conserver comme simples subdivisions des régions) ? 2/ Faut-il diminuer le nombre des régions en opérant des regroupements ou des redécoupages ? 3/ On peut y ajouter une question subsidiaires : en cas de redécoupage régional, est-on obligé de conserver des régions de tailles comparables ? De grandes régions seraient sans doute plus efficaces économiquement, mais des portions de régions actuelles à la forte identité, ne pourraient-elles pas, sur le modèle corse, avoir des statuts particuliers (on pense au Pays Basque français et à la Catalogne Nord, mais aussi, le cas échéant, à des entités comme la Savoie ou le Comté de Nice) ?

 

De la réponse donnée à ces trois dernières questions, découlent évidemment des scénarios de réforme différents. Je vais donner mes choix (mais on peut en imaginer d’autres).

 

1/ Les départements : certains sont artificiels (on se souvient du projet, avorté, de suppression des départements alsaciens), d’autres correspondent, au contraire, à des entités aux identités fortes et remontant souvent à l’époque romaine. La solution que je préconise est la suivante : on supprime les départements en tant que collectivités décentralisées. Sont créés à la place des circonscriptions administratives de régions dont le degré d’autonomie et la taille sont laissés à l’appréciation de chaque région. On peut imaginer que dans certaines régions des circonscriptions pouvant recouper les actuels départements seront conservées (cas, par exemple, d’entités bien identifiées comme l’Anjou, la Beauce, le Rouergue, le Gévaudan, le Quercy, etc, qui correspondent respectivement au Maine-et-Loire, à l’Eure-et-Loir, à l’Aveyron, à la Lozère et, à peu près, au Lot). Les régions choisiront de les nommer sous le nom de l’actuel département ou sous un autre nom, souvent plus ancien). Dans d’autres cas, les régions pourront choisir des circonscriptions plus petites que les actuels départements lorsque les « pays » (qui correspondent en général aux arrondissements) ont une identité reconnue (ex : le pays d’Arles, le pays d’Aix, le Pays de Montbéliard, le Pays de Grasse, etc). Les découpages existant à l’étranger pourront, le cas échéant, inspirer les responsables régionaux (« comtés » anglais, « Kreis » allemands, « comarques » d’Espagne, « powiats » de Pologne, etc.) Il n’est pas nécessaire, à cet égard, que la France ait des découpages uniformes.

 

2/ et 3/ Le Premier Ministre a avancé le chiffre d’une dizaine de régions, chiffre totalement arbitraire lancé presque à la cantonade sans, cela se voit, aucune étude préalable sérieuse, ce qui donnerait des régions en moyenne deux fois plus grandes que les actuelles. Il pense sans doute à une taille comparable à celle des grands « Länder » allemands. Ce peut être une piste. Il est toutefois important de rappeler que si l’Allemagne a quelques grandes régions, et même des très grandes, d’autres sont, en revanche, minuscules comme la Sarre, Brème ou Hambourg). Il en va de même de l’Italie où, à côté d’une Lombardie avec 10M d’habitants, on a le petit Val d’Aoste peuplé de 0,2M. On trouve les mêmes disparités en Espagne : à côté des grandes Catalogne et Andalousie, on a les petites Rioja, Cantabrie et Navarre.

 

Nous proposons en conséquence des regroupements régionaux lorsque les entités proposées ont une réelle identité (on pense évidemment à la réunification, par exemple, de la Normandie et de la Bretagne). Mais il faut se méfier des à-priori dogmatiques : des regroupements artificiels seraient contreproductifs car, sans identité minimale, la gestion de ces grandes régions ne serait qu’arbitrages permanents et paralysant entre des territoires plus petits.

 

Le fil conducteur pour les regroupements devrait être, à mon sens, de tenir compte de la réalité des anciennes provinces lorsque elles correspondaient à des territoires plus étendus que les régions actuelles (le Languedoc est un exemple), de celles des langues dites régionales (des regroupements entre anciennes terres d’oc et d’oïl ne me paraissent pas souhaitables) ou des anciennes aires dialectales françaises (une région regroupant Nord-Pas-de-Calais et tout ou partie de l’actuelle Picardie serait pertinente à cet égard. Autre remarque : on a créé les régions actuelles autour de « métropoles régionales ». Cela a un sens, mais il n’est pas sans intérêt de remarquer que ce n’est pas le choix qui a été fait dans beaucoup d’autre pays (l’Allemagne, mais aussi les Etats-Unis en sont des exemples : certains Länder ont plusieurs métropoles régionales, comme la Bavière, tandis que des aires urbaines, comme celle de Francfort, sont traversées par des frontières de Länder. Je propose en conséquence de privilégier l’identité régionale plutôt que des regroupements autour de métropoles. Il faut, en tout état de cause, éviter le dogmatisme : la solution adoptée ici peut être différente de celle choisie là-bas.

 

S’agissant de la possibilité de conférer un statut régional à des entités ayant une taille infrarégionale, je rappelle que c’est le choix qui a été fait en Allemagne, en Italie et en Espagne. L’Allemagne est un Etat fédéral, l’Espagne a des autonomies « à la carte » (degrés d’autonomie différents selon les régions) et l’Italie, à côté des régions standards, a plusieurs régions à statut particulier (Aoste, Trentin-Sud Tyrol, Frioul, Sardaigne et Sicile). Il existe un tel statut en France pour la Corse. Il me paraitrait légitime d’envisager de tels statuts pour un petit nombre d’autres entités.

 

III – Les redécoupages possibles

 

III/ 1 - Philosophie des redécoupages

 

 Dans l’hypothèse de la suppression des départements actuels, un redécoupage régional peut être envisagé sans nécessairement s’en tenir aux frontières actuelles des départements. On peut en effet envisager d’attribuer dans certains cas, une partie d’un département à une région et une autre partie à une autre. Dans la mesure du possible, il sera plus facile de conserver les limites départementales existantes pour des raisons pratiques car beaucoup de services administratifs correspondent aux départements actuels. Même si ceux-ci disparaissent, ces services, souvent subsisteront, au moins dans un premier temps. Mais, lorsque le besoin s’en fera sentir, en particulier lorsqu’il y a des identités infra-départementales fortes, on pourra modifier les frontières actuelles (exemple : la « Drôme provençale » a sans doute vocation à rejoindre la Provence et le sud de l’Oise pourrait être rattaché à l’Ile-de-France. La question peut aussi se poser pour des arrondissements comme ceux de Sens ou de Saint-Quentin). On conservera donc, si possible, au moins les limites d’arrondissements sans toutefois s’interdire des rectifications de frontières lorsque le besoin s’en fera sentir (en particulier lorsque les limites d’arrondissements sont arbitraires : exemple : le Perche ne correspond à aucun arrondissement existant). 

 

Dans tous les cas, il faudra éviter les décisions bureaucratiques. Toute réforme territoriale devra être précédée d’une période suffisamment longue de concertation associant les élus, les organisations représentatives de la société civile et la population. Le risque à éviter est celui d’affrontements politiciens stériles. C’est pourquoi il vaut mieux rechercher des consensus avant de faire entériner les redécoupages par référendum, sans quoi ces consultations populaires risqueraient d’être détournées de leur objet (comme ce fut le cas pour le référendum alsacien). On peut espérer à cet égard que les hommes politiques se détermineront davantage en fonction de l’intérêt des populations et des identités locales qu’en fonction de « fauteuils » à conserver ou à convoiter. Les élus sont utiles dans le processus de redécoupage  parce qu’ils connaissent le mieux le terroir, mais un contrôle populaire est indispensable pour éviter toute dérive. L’Etat y veillera. Mais celui-ci aussi doit être contrôlé par un collège d’experts indépendants (à définir) pour éviter, à ce niveau-là aussi, toute dérive politicienne.

 

III/2 - Les redécoupages

 

Voici les pistes qui pourraient être suivies :

 

A/ Régions du Nord et de l’Est

 

A1/ Création d’une région Nord-Picardie par regroupement de la région Nord-Pas-de-Calais, de la Somme et des arrondissements de Saint-Quentin, Laon et Vervins [s’agissant de ces deux derniers, mais aussi de celui de Château-Thierry, un rattachement à la Champagne aurait aussi sa logique. Laon pourrait aussi, comme sous l’ancien régime, être rattaché à l’Ile-de-France : les distances par rapport à Paris et Lille sont équivalentes, mais Amiens, qui conserverait une fonction universitaire et juridique, est plus proche. On s’en remettra, in fine, au vœu de leurs habitants]. La frontière entre cette région et l’Ile-de- France non seulement correspondrait aux zones d’attraction de Lille et de Paris, mais recouperait aussi la limite sous l’ancien régime entre la Picardie et le domaine royal. L’ancienne Picardie s’étendait sur une grande partie du Pas-de-Calais, ce qui va dans le sens du regroupement. De plus, linguistiquement, le parler picard, variété de français longtemps utilisée en Picardie mais aussi dans le Nord (hors Flandre) et dont le parler « chti » est l’héritier, constituait un autre trait commun aux deux régions que l’on propose de regrouper. Il y a donc une identité commune forte qui repose sur l’histoire et la sociologie.

 

Nouvelle région Nord-Picardie = 4,9M, 23 517 km2, capitale Lille (compétences déconcentrées à Amiens).

 

A2/ Création d’une région Champagne-Lorraine par regroupement de la Champagne et de la Lorraine. La Champagne actuelle est une petite région (1,4M). Sa métropole, Reims, est dans l’orbite de Paris mais une grande partie de la région (Ardennes, Haute Marne) regarde vers l’Est. Il pourrait être avantageux de relier la Champagne et la Lorraine, drainées par l’axe structurant de l’A4 et du TGV Paris-Strasbourg. La Lorraine y trouverait son compte en se renforçant et en acquérant un nom, celui de Champagne, porteur.

 

A vérifier, évidemment, si les populations concernées et leurs représentants sont d’accord. Nous ne poussons pas exagérément pour que le regroupement soit réalisé. Au-delà des traits unificateurs, il y en a d’autres qui militent pour le maintien de la séparation, en particulier l’histoire (pendant des siècles, la Champagne fit partie du royaume de France, alors que la Lorraine relevait de l’Empire germanique) mais aussi la linguistique (les variétés de français qui y étaient parlées étaient différentes). Si l’on prend en compte la Champagne historique, on constate que celle-ci s’étendait davantage vers l’ouest (partie de la Seine-et-Marne et arrondissement de Sens), ce qui justifierait aussi de conserver l’autonomie de la région afin qu’elle coopère davantage avec l’Ile-de-France. A discuter donc.     

 

Nouvelle région Champagne-Lorraine = 3,7M, 49 153 km2, capitale Metz (ou Nancy), l’ancienne Champagne conserverait des compétences propres (académie, cour d’appel, etc).

 

A3/ Compte tenu de sa particularité, il est proposé de conserver la région Alsace telle quelle. Un regroupement avec la Lorraine ne parait pas pertinent, y compris le département de la Moselle (celui-ci est certes partiellement de culture germanique, mais les dialectes parlés en Moselle Thioise et en Alsace ne sont pas les mêmes (le premier de type alémanique central, le second haut allemand).

 

Région Alsace = 1,8M, 8 280 km2, capitale Strasbourg > inchangée

 

B/ L’Ile-de-France

 

L’Ile-de-France pourrait être étendue vers le nord en incluant l’Oise et le sud de l’Aisne (pour recouper à la fois la zone d’attraction de Paris et la limite du domaine royal sous l’ancien régime), ainsi qu’à l’agglomération de Dreux. D’autres élargissements seraient des options : Beauce autour de Chartres, Gâtinais méridional (Montargis), Sénonais (qui faisait partie de la Champagne sous l’ancien régime et non de la Bourgogne). Mais nous ne militons pas en faveur de ces derniers pour ne pas exagérer l’importance de l’Ile-de-France par rapport aux régions périphériques et parce que ces zones, souvent rurales, sont sociologiquement différentes de l’agglomération parisienne.

 

Région élargie Ile-de-France = 13M, 21 000km2 (inclus : Oise, Aisne-Sud et Dreux), capitale Paris

 

C/ Régions de l’Ouest

 

C1/ Réparation d’une anomalie en réunifiant la Normandie [la région du Perche, actuellement partagée entre la Normandie, dont elle ne faisait pas partie sous l’ancien régime, pourrait être rattachée aux Pays de la Loire – elle est plus proche du Mans et de Chartres que de Caen -. Elle constituerait alors un « pays » (avec un peu plus de 0,1M) de cette région qui réunirait les deux-tiers de l’arrondissement de Mortagne-au-Perche – le 1/3 nord est normand - et celui de Nogent-le-Rotrou et la partie ouest de celui de Dreux]

 

Région Normandie = 3,3M, 28 400 km2 (sans le Perche), capitale Rouen (Caen garderait des compétences pour la Basse Normandie]

 

C2/ Autre anomalie à réparer en agrandissant la Bretagne à la Loire-Atlantique.

 

Région Bretagne = 4,4M, 34 113 km2, capitale Rennes (mais avec une partie des services installés à Nantes)

 

C3/ Charente-Poitou élargi à la Vendée (pourrait s’appeler simplement « Poitou »)

 

Nouvelle région Poitou = 2,3M, 32 530 km2, capitale Poitiers

 

C4/ Création d’une nouvelle région Pays de Loire (différente de l’ancienne) par la réunion du Maine, de l’Anjou, du Perche et de l’Orléanais moins Dreux [si l’option, préconisée, de la création d’une région « Berry-Bourbonnais-Nivernais est retenue par ses habitants]

 

Nouvelle région Pays-de-Loire = 3,9M, 31 050 km2, capitale Tours. Cette région aurait vocation à être décentralisée entre Anjou, Maine, Touraine et Orléanais. Elle pourrait aussi être nommée « Val-de-Loire » ou Ligérie ».

 

C5/ Création d’une région Berry-Bourbonnais-Nivernais. Ces trois anciennes petites provinces de l’ancien régime, qui ont chacune une personnalité propre affirmée, ont été rattachées, assez arbitrairement, aux régions voisines « Centre », « Bourgogne » et Auvergne ». Le Nivernais est une région du Val de Loire géographiquement et historiquement séparée de la Bourgogne. Le Bourbonnais, terre de transition entre oïl et oc, n’a jamais fait partie dans son histoire de l’Auvergne. Le Berry, formé du Cher et de l’Indre, est en retrait par rapport au Val-de-Loire et sa capitale, Bourges, a joué un rôle historique propre. Dans le cas où l’Allier voudrait rester avec l’Auvergne (Clermont est un peu plus proche que Bourges), la création de la région n’aurait plus d’objet (dans ce cas, on ne toucherait pas aux limites actuelles : Berry avec les pays de la Loire, Nièvre avec la Bourgogne. Nous proposons en conséquence cette région sous réserve de consensus.  

 

Région Berry-Bourbonnais-Nivernais = 1M, 28 183 km2 (un nom plus concis pourrait être retenu, par exemple « Cœur de France », en référence à la fois à la situation géographique et à Jacques Cœur, personnage historique de Bourges)

 

D/ Régions du Centre-Est

 

D1/ Regroupement des régions « Bourgogne » et « Franche-Comté ». Ces régions étaient liées au moyen-âge, l’une était le « comté » et l’autre le « duché », tous les deux de « Bourgogne ». Elles connurent néanmoins ensuite des destins différents, la Bourgogne proprement dite ayant rejoint tôt le royaume de France alors que la Franche-Comté resta longtemps à l’écart. Sociologiquement, la Franche-Comté reste très liée à la Suisse et à l’Est de la France tandis que la Bourgogne, sur l’axe Paris-Lyon, regarde plus à l’Ouest et au Sud (c’est déjà une terre d’art roman). En regroupant ces deux petites régions, on aurait une entité ayant plus de consistance. Reste à voir ce qu’en pensent les intéressés. Nous proposons donc cette union sous toute réserve. Dans le cas où le Berry, le Bourbonnais et le Nivernais formeraient une nouvelle région, ce dernier (département de la Nièvre) serait ôté à la Bourgogne.

 

Région Bourgogne-Franche-Comté = 2,6M, 40 967 km2 (hors Nivernais), capitale Dijon (Besançon conserverait des fonctions importantes) (le nom pourrait être « Bourgogne-Franche-Comté » ou simplement « Bourgogne »)

 

D2/ Redéfinition de la région Rhône-Alpes. Celle-ci est composite : elle a été formée par la réunion du Lyonnais, du Dauphiné, de la Savoie et deux terres d’oc, la Drôme et l’Ardèche. Il pourrait être demandé aux habitants de ces deux départements s’ils veulent rester rhônalpins ou s’ils désirent rejoindre, pour les premiers, la Provence et pour les seconds, le Languedoc. Pour des raisons pratiques et parce qu’une identité rhônalpine s’est créée, nous proposons le statu quo sauf pour l’extrême-sud de la Drôme, qui s’identifie comme la « Drôme provençale » (arrondissement de Nyons, qui comprend notamment Montélimar)qui pourrait rejoindre la Provence. [En sens inverse, il n’est pas inconcevable d’envisager un rattachement des Hautes-Alpes, terre d’oc mais historiquement part du Dauphiné, à Rhône-Alpes. Nous ne sommes toutefois pas favorables à cette jonction qui romprait l’unité des Alpes du Sud. Ce sera aux locaux de choisir]. S’agissant de la Savoie, notre préférence va à sa sortie de Rhône-Alpes (voir infra).

 

Région Rhône-Alpes = 5M, 30 924 km2 (après soustraction de la Savoie et de la Drôme provençale), capitale Lyon (Grenoble a également des compétences propres).

 

D3/ Création d’une région Savoie. Compte tenu de sa particularité historique et culturelle et de la demande exprimée par certains représentants de cette entité, nous sommes favorables à la création d’une région Savoie.

 

Région Savoie = 1,1M, 10 416 km2

 

E/ Régions du Sud

 

E1/ Réunion de l’Auvergne et du Limousin. Ces deux petites régions, qui forment l’extrémité septentrionale des terres d’oc, gagneraient sans doute à en former une plus grande. Les identités, fortes, de chacune seraient valorisées à travers le nom de la nouvelle région et par la conservation de certaines compétences (académies, cour d’appel, etc) dans chacune d’elle. Si une région Berry-Bourbonnais-Nivernais était créée, l’Allier serait détaché de la nouvelle région Auvergne-Limousin. Un détachement de l’arrondissement d’Yssingeaux pour le rattacher à Rhône-Alpes ne serait pas illogique compte tenu de la proximité de Saint-Etienne. Nous n’y sommes pas favorables pour préserver l’unité du Velay. On peut en outre envisager l’hypothèse d’une région « Massif central » par agrégation aux deux entités du nord du massif, celles du sud : Périgord, Quercy, Rouergue et Gévaudan. Géographiquement, cela est séduisant mais la juxtaposition de vastes terres peu peuplées, montagneuses, rurales et pauvres, ne ferait pas une région forte (on pense par exemple au budget « routes »), d’autant que le sud du massif regarde vers les régions du Sud. Il y aurait sans doute un problème de cohésion. Sans rejeter frontalement un tel projet, nous n’y sommes pas favorables.

 

Région Auvergne-Limousin = 1,7M, 35 615 km2, (diminuée de l’Allier) capitale Clermont-Ferrand  (Limoges conserverait des compétences propres).

 

E2/ Création d’une région « Occitanie ». Le Languedoc était une grande entité historique à la forte personnalité. Sa division entre « Midi-Pyrénées » et « Languedoc-Roussillon » l’a affaibli. L’ancienne entité de Gascogne, à la forte personnalité historique et linguistique, est écartelée entre « Aquitaine » et « Midi-Pyrénées ». Toulouse, qui régna sur un Etat indépendant, le Comté de Toulouse, qui s’étendait à peu près sur Midi-Pyrénées et le Bas Languedoc, est une ville fédératrice des terres entre océan et Méditerranée. Elle reste le grand foyer de la civilisation occitane. Ceci nous conduit à, proposer la création d’une vaste région « Occitanie » réunissant les trois régions actuelles du Grand Sud-Ouest français. Ses composantes seraient le Languedoc, la Guyenne et la Gascogne. Dans le cas où les Aquitains ne se laisseraient pas convaincre d’adhérer à la nouvelle région, la question de l’appartenance du Gers, des Hautes-Pyrénées, du Comminges et du Couserans, parties de l’ancienne Gascogne, se poserait. Ces terres, actuellement midi-pyrénéennes, pourraient vouloir rejoindre l’Aquitaine. Trois petites régions à la forte identité et dont deux pourraient avoir un statut spécial se retireraient de cet ensemble : le Pays Basque Nord, la Catalogne Nord et le Béarn.

 

Nouvelle région Occitanie = 7,4M, 112 271 km2, capitale Toulouse (Bordeaux et Montpellier conserveraient des compétences étendues). Cette région, désormais la plus vaste de France, mais pas la plus peuplée, serait un peu plus grande que l’Andalousie et légèrement moins peuplée qu’elle. Elle n’est donc pas démesurée.

 

E3/ Création de régions « Euskadi-Nord », « Béarn » et « Catalogne-Nord ». Le Pays Basque et la Catalogne (dont les plus grandes parties sont en Espagne) ont une langue, une culture, une histoire et une sociologie propres. Ces régions devraient être dotées de statuts particuliers sur le modèle corse. Le Béarn fut un royaume  et a une personnalité linguistique spécifique.

 

Région Euskadi-Nord = 0,3M, 2 270 km2, capitale Bayonne.

 

Région Béarn = 0,4M, 5 375 km2, capitale Pau

 

Région Catalogne-Nord = 0,4M, 4 000 km2, capitale Perpignan (déduction faite de la petite région des Fenouillèdes – 28 communes, 10 000 habitants, zone occitane qui n’a jamais été catalane. Cette zone devrait donc être incorporée au département de l’Aude et à l’Occitanie).               

   

E4/ Redéfinition de la région Provence. Si le Comté de Nice décide de se séparer de la Provence et si la Drôme provençale décide de l’incorporer, les dimensions de la Provence seront modifiées.

 

Région Provence = 4,6M, 30 592 km2 (avec Nyons et sans Nice), capitale Marseille (la capitale pourrait être rétablie à Aix-en-Provence si les autorités régionales le décidaient). Dans tous les cas, le seul nom de « Provence » devrait être retenu à la place de « Provence-Alpes-Côte d’Azur » et de son sigle barbare PACA.

 

E5/ Création d’une région « Comté de Nice ». Cette entité historique a une identité forte qui justifie la création d’une région à part entière. Nous ne sommes pas favorables à une région Côte d’Azur qui comprendrait l’ensemble des Alpes-Maritimes. Le Pays de Grasse (à l’ouest du fleuve Var) a toujours été provençal et, s’il est lié à Nice, il l’est aussi au reste de la Provence. Compte tenu de la réalité métropolitaine Nice-Cannes-Antibes, une coopération spécifique entre le Comté de Nice et le Pays de Grasse pourrait être conservée à travers des instruments adéquats.

 

Région « Comté de Nice » = 0,5M, 3067 km2, capitale Nice

 

E6/ La Corse resterait inchangée : Région Corse = 0,3M, 8 680 km, capitale Ajaccio.

 

XXX

 

Conclusion

 

La France est en crise. Elle a besoin de retrouver une identité forte. Des régions fortes et mettant en valeur leurs personnalités sont susceptibles de resserrer un lien social  sensiblement distendu en France. Pas plus qu’une Bavière forte n’est un danger pour la cohésion de l’Allemagne, des régions fortes et bien identifiées seront une contribution à la cohésion et à la force de notre pays.

 

Il ne faut pourtant pas se tromper d’objectif. Seules des régions bien identifiées dans lesquelles les citoyens se retrouvent fonctionneront. Les économies d’échelle à tout prix, avec une vision purement bureaucratique et comptable, peuvent se révéler finalement très coûteuses si elles ne correspondent pas à des réalités sociologiques. Créer artificiellement des régions vastes et peuplées risquerait, dans beaucoup de cas, d’aboutir à des régions qui, en dépit des apparences, se révèleraient plus faibles que des régions aux dimensions moins ambitieuses. 

 

C’est pourquoi, atteindre une taille supposée « critique » et standard ne devrait pas être l’objectif unique du redécoupage des régions. Au contraire, créer des identités fortes devrait être l’objectif recherché. Les grands pays comparables au nôtre qui nous entourent (Allemagne, Espagne, Italie. Le cas de l’Angleterre, plus petite et moins décentralisée, est différent) montrent qu’on peut faire coexister harmonieusement des régions vastes et très peuplées et d’autres très petites. A titre d’exemple, le Val d’Aoste est minuscule mais il a une identité forte. On a décidé en conséquence en Italie qu’il pourrait être une région, ce qui ne l’empêche pas pour toutes sortes de cas pratiques d’être étroitement associé au Piémont. On pourrait aussi citer les exemples de la Sarre ou de la petite Rioja.

 

Nous devrions nous inspirer de ces solutions pour nos propres régions : pas de taille uniforme, pas non plus d’organisation standardisée. Les cas particuliers existent, il ne faut pas les ignorer. Quant à l’organisation interne des régions (après suppression des départements, certaines régions voudront conserver leurs territoires comme subdivisions de la région, d’autres préfèreront s’appuyer sur les « pays »), à chacune de trouver la meilleure solution. L’unité de la République ne signifie pas nécessairement uniformité. On peut être uni dans la diversité.

 

Le nouveau découpage de la France proposé supra nous parait le plus adéquat. Il n’est toutefois pas le seul possible. Toute solution devra, de toute façon, être trouvée après concertation des populations et de leurs représentants.

 

Dans le cas où le découpage proposé serait choisi, les régions françaises seraient en moyenne d’une taille comparable à celle de nos principaux partenaires européens. Après « écrêtement » de la liste des régions (pour éviter les biais statistiques, on écarte les trois régions les plus peuplées et les trois régions les moins peuplées), on aurait les chiffres suivants (population moyenne de chaque région) : France avant réforme (régions actuelles) = 2,3M, France après réforme = 2,6M, Allemagne = 3,8M, Italie=2,8M et Espagne=2,2M. Ce chiffre moyen de 2,6M donne toutefois une idée insuffisante de la nouvelle réalité : si la réforme est adoptée, à côté de petites régions, la France disposerait de quelques grosses « locomotives » régionales, vastes, peuplées, cohérentes et à l’identité forte (Ile-de-France, Nord-Picardie, Champagne-Lorraine, Normandie, Bretagne, Pays-de-Loire, Bourgogne-Franche-Comté, Rhône-Alpes, Occitanie, Provence) susceptibles d’entrainer dans leur sillages des régions plus petites (mais fortes de leur identité).

 

Comme dans d’autres pays (Italie ou Espagne par exemple), des régions dérogatoires du droit commun pourraient coexister à côté de régions plus « ordinaires ». Cela est déjà le cas pour la Corse. Le Pays Basque et la Catalogne-Nord devraient, eux aussi obtenir un statut spécial. Il ne serait pas inconcevable que d’autres régions à l’identité forte puissent obtenir un peu plus de compétences, notamment en matière culturelle et linguistique. On pense à cet égard à l’Alsace, la Bretagne, l’Occitanie, le Béarn, la Provence, Nice et la Savoie, peut-être aussi la Normandie. Tout cas spécifique doit être traité à l’aune des particularités vécues par les citoyens des régions concernées. (Yves Barelli, 24 avril 2014)

 

                                                           Yves Barelli, 4 juin 2014        

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3 juin 2014 2 03 /06 /juin /2014 23:53

Je suis effaré par la manière employée par le président Hollande et son gouvernement pour lancer « sa » réforme régionale et ai les plus grandes appréhensions quant à la suite.

1/ Dans un grand pays comme la France, le cadre régional est important car il s’agit d’un échelon indispensable du fonctionnement des institutions démocratiques et parce que les régions constituent le cadre des identités culturelles, historiques et, pour certaines d’entre elles, linguistiques, des habitants de notre pays. De nombreuses régions se sont formées il y a plus de mille ans ; avec la commune et la France elle-même, elles constituent pour la plupart des Français, l’une des références autour desquelles les personnalités collectives se forment. Etre Breton, Provençal, Normand ou Alsacien, cela veut dire quelque chose et toute remise en cause de cette identité est vécue comme une agression.

2/ Faire une réforme régionale sans concertation, sans préparation, sans consultation des intéressés, dessiner une nouvelle carte de France en changeant les frontières régionales depuis Paris et en mettant la dernière main au découpage en catimini sur un coin de table du bureau du président de la république, c’est une agression et un mépris des « provinciaux », c’est prendre les Français pour des enfants en leur indiquant, comme pour un jour de rentrée scolaire, dans quelle classe on les a mis. Ce n’est digne ni d’un grand pays ni d’un homme politique digne de ce nom.  

C’est pourtant ce que viennent de faire Hollande et ses ministres. Avant-hier, par exemple, on envisageait (sans rien demander à personne) encore de rattacher la Picardie au Nord-Pas-Calais, le Poitou à l’Aquitaine ou de réunifier la Bretagne (revendication des Bretons depuis plus d’un demi-siècle). Hier soir, on ne sait pourquoi, apparemment par une sorte de caprice (en fait pour contenter quelques amis du président un peu plus influents que d’autres), on a de décidé in extrémis que, finalement, la Picardie irait avec la Champagne, que le Poitou serait unifié au Limousin et au Centre et que, ma foi, comme on veut conserver cette région artificielle des « Pays de Loire » pour faire plaisir à l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault, alors la Bretagne ne serait plus réunifiée.

Mais où est-on ? Quelle est ce royaume où le monarque peut tout se permettre ? Même dans la France des rois absolus, Louis XIV respectait les autonomies régionales. Ce n’est apparemment pas le cas de Hollande. Même la région où il a fait toute sa carrière politique, le Limousin, qu’il a complètement oublié depuis qu’il vit dans son bunker de l’Elysée, n’a droit à aucun égard : cette pauvre région de l’ouest du massif central, malgré une personnalité forte qui remonte au moins au 13ème siècle (c’est cette région qui a donné les plus grands troubadours occitans avec un rayonnement tel que, encore aujourd’hui, le catalan parlé à Alicante est nommé « llemosi »), semble être condamnée, telle une girouette, à tourner comme une toupie avant de s’arrêter on ne sait où. Comme il faut absolument diminuer le nombre des régions (il y en a actuellement 22, ce qui est tout à fait comparable aux pays européens de même taille, Allemagne, Italie ou Espagne), on a d’abord lancé le chiffre rond de 10 « grandes » régions, sans même jeter un coup d’œil sur une carte, avant de transiger à un peu plus (14 désormais). Alors, il a fallu « marier » le petit Limousin : on a d’abord pensé à faire une région commune avec l’Auvergne (ce qui aurait été un moindre mal), puis on a envisagé un rattachement à l’Aquitaine (après tout, pourquoi pas ? On aurait reconstitué le grand duché aquitain médiéval, celui à la cour duquel se produisaient les troubadours), mais, finalement, hier soir, dans le bureau de Français Hollande, on a opté pour un mariage è trois (encore mieux que le « mariage pour tous » !) avec le Poitou et le « Centre ». Comment s’appellera la nouvelle région ? Quelle en sera sa capitale ? Apparemment, Hollande ne s’est pas encore posé la question. Il va sans doute demander à Manuel Valls de sortir tout ça de son chapeau.

Ce serait comique s’il ne s’agissait pas du sort de millions de gens.

3/ Les nouvelles régions ne sont certes pas toutes aussi absurdes que ce Poitou-Limousin-Centre ou cette Champagne-Picardie. Réunir Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ou Bourgogne et Franche-Comté a sa logique, y compris historique. Mais je ne veux même pas commenter les choix qui ont été faits. On aurait pu aboutir à certains de ces choix si on avait procédé de façon démocratique, en consultant, les élus, les habitants et leurs représentants non politiques (associations culturelles, etc). Mais ce n’est pas le cas.

4/ La seule justification mise en avant pour cette réforme est le souci de « faire des économies ». On en est là en France : il faut faire des économies partout afin de contenter les bureaucrates de Bruxelles qui « nous imposent » (en fait que notre pays, par faiblesse et dogmatisme, accepte) de couper dans les dépenses publiques.

Alors, on diminue le nombre des régions. Mais pourquoi s’arrêter à quatorze ? Pourquoi pas quatre ou cinq « super-régions » (nord, ouest, est, sud, centre : ce serait tellement plus facile !). Et pourquoi pas une seule, la France ? Il est vrai que, dans l’esprit de certains, nous sommes devenus une région de l’Europe. Au moins avec 65 millions d’habitants, nous serions la région européenne la plus peuplée. Mieux que les 17 millions de résidents de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie ! Monsieur Hollande, pourquoi n’y avez-vous pas pensé?

Comme souvent en pareil cas, on cite les chiffres les plus farfelus. Avec 14 régions, il y aurait moins de dépenses, moins de fonctionnaires qu’avec 22. C’est dans le même but de faire des économies qu’on envisage aussi de supprimer les départements (je n’y serais pas hostile mais pas pour des raisons budgétaires).

Mais ceci est un leurre, une illusion pure et simple. Les dépenses d’aide sociale représentent en moyenne 60% des budgets des départements. Si on supprime les départements, va-t-on supprimer l’aide sociale ? Non, bien sûr. Alors les régions, ou l’Etat devront les prendre en charge. Où sont les économies ? Les régions financent les lycées, les lignes ferroviaires régionales, etc. Dépensera-t-on moins d’argent pour les lycées dans une région Poitou-Limousin-Centre que dans la somme des trois régions actuelles ? Evidemment non.

Les sources actuelles de gaspillage (qui globalement représentent des sommes modestes) sont surtout dues à la cohabitation d’administrations régionales ou départementales et des services déconcentrés de l’Etat. Cela n’a rien à voir avec le nombre de régions. Avec 14 régions au lieu de 22, le problème sera le même. Quant aux départements, qui, sans doute, seraient plus fonctionnels si on en faisait des services déconcentrés des régions, pour le moment, on n’y touche pas. Il faudrait en effet réformer la constitution, soit avec la majorité des 3/5 des parlementaires (mais, dans l’état de déliquescence du pouvoir hollandais, une telle majorité serait problématique, y compris chez les élus socialistes), soit soumettre la réforme à référendum (mais le pouvoir est si impopulaire qu’on peut être sûr que les électeurs voteraient de toute façon non sans même lire la question). Alors, on renvoie l’éventuelle suppression des départements à 2020. D’ici là, on peut penser que les socialistes ne seront plus au pouvoir. C’est du moins ce que la plupart des Français espèrent.

A supposer que cette réforme régionale entre dans les faits, croit-on vraiment qu’on diminuera le nombre des fonctionnaires régionaux ? On peut parier que les nouvelles régions prendront soin de conserver dans les capitales régionales déchues de nombreux services administratifs. Poitiers ne sera peut-être plus la capitale d’une « petite » région, mais cette ville conservera à coup sûr une partie des services de la « grande » région et conservera tous les services déconcentrés de l’Etat : rectorat, cour d’appel et même, en prime, une station régionale de FR3. Non seulement, il n’y aura pas moins de fonctionnaires, mais ils seront sans doute obligés de faire davantage de déplacements entre les services délocalisés.  

5/ Bref, cette réforme est à l’image de l’ensemble de l’action du gouvernement de Hollande, une incohérence doublée d’un amateurisme et d’un mépris pour le peuple.

J’aurai sans doute l’occasion de développer dans un texte ultérieur ce que pourrait être une véritable réforme régionale en France.

J’en donne quelques éléments centraux :

a/ Les gens ont besoin de racines, d’identités, de points de repères permanents (ou au moins durables). Des régions fondées sur l’identité partagée sont un élément essentiel de la cohésion de la société. Plus encore dans cette période d’incertitude économique que nous vivons. Créer des collectivités locales et régionales en fonction de seuls critères comptables est non seulement illusoire (voir plus haut : il y a des soit disant économies qui n’en sont pas), mais contreproductif. Si la région que l’on dessine est artificielle, les gens ne s’y reconnaissent pas et cela ne marche pas. Il faut un minimum de patrimoine partagé, un minimum d’identité commune pour que cela fonctionne. Si ce n’est pas le cas, on aura au niveau régional exactement ce qu’on a au niveau de l’Europe : des discussions sans fin pour prendre les décisions, chacun (pays pour l’Europe, département au niveau régional) n’étant préoccupé que par le soucis de tirer le maximum d’avantages.

b/ Deux régions faibles « mariées » ne font pas une région puissante. La France est un pays très centralisé dans lequel les compétences régionales sont réduites, tant à cause du haut, l’Etat, que du bas, les départements. Le budget moyen d’un Land allemand est de 4000€ par habitant, soit dix fois plus que celui d’une région française (400€). Le budget de la Catalogne est à lui tout seul supérieur à celui des 22 régions françaises réunies. 14 régions en France au lieu de 22, cela n’augmentera pas d’un centime leur budget par habitant.

c/ La question n’est donc pas celle de la taille moyenne des régions françaises, mais leurs compétences et leur cohésion.

A cet égard, l’argument souvent mis en avant de la nécessité de régions « à taille européenne » est totalement absurde. Chez tous nos voisins, les régions sont de tailles très dissemblables. La Bavière a 12 millions d’habitants, mais la Sarre moins d’un million ; la Lombardie dépasse 10 millions, mais le Val d’Aoste a moins de 200 000 habitants ; l’Andalousie est peuplée de 8 millions d’habitants, la Rioja de seulement 300 000. Si on considère les superficies, les différences dans chacun de ces trois pays sont plus grandes encore. Que gagnerait la Sarre à être incorporée de force à la Rhénanie-Palatinat ? Rien, mais les deux, certainement y perdraient.  

Arrêtons avec cette idée saugrenue, qui n’existe qu’en France, de taille régionale « critique ». Une petite région à la forte personnalité, et donc avec un sentiment régional fort, fonctionne beaucoup mieux qu’une grande région sans âme où s’exercent constamment des forces centripètes.

C’est d’ailleurs exactement pareil, avec les Etats souverains. Que je sache, la Suisse et le Luxembourg ne sont malheureux, surtout comparés à la « grande » France. Mais si on interrogeait quelques esprits tordus de Paris, on en trouverait sans doute quelques-uns pensant que la Suisse est trop petite et qu’il faut la rattacher à la France (ou à l’Allemagne, au choix : à décider peut-être dans le bureau de Monsieur Barroso). Napoléon y avait pensé.

L’Alsace est l’une des régions les plus petites mais aussi les plus riches de France. Comme on a décidé de la marier à la Lorraine, région en crise, on peut avoir des craintes sur la pérennité de sa richesse !         

d/ La manie française de l’uniformité tue toute initiative locale et lamine les identités, qui sont pourtant un puissant facteur de cohésion sociale et de développement économique. Certaines régions ont des identités plus fortes que d’autres et aspirent davantage que d’autres à s’auto-administrer.

Cela est mieux compris chez nos voisins que chez nous. L’Allemagne est un Etat fédéral où, en conséquence, les Länder ont des prérogatives importantes, pas tant d’ailleurs en matière de fiscalité (les Länder allemands reçoivent, pour l’essentiel, des dotations de l’Etat fédéral, compétent pour la perception de presque tous les impôts, ce qui est une garantie d’égalité entre les citoyens) que de culture, d’éducation, de transports, etc.

L’Italie et l’Espagne sont des Etats unitaires mais avec des autonomies régionales variables. En Espagne, chaque « communauté autonome » (région) a sa propre constitution qui prévoit des compétences plus ou moins grandes (la Catalogne a beaucoup plus de compétences, par exemple, que l’Estrémadure). En Italie, à côté des régions à statut ordinaire, il y a cinq régions à statut spécial (Val d’Aoste, Sud-Tyrol, Frioul, Sardaigne et Sicile).

En France, la Corse est la seule région à avoir un statut spécial. Il me paraitrait normal que les régions à personnalité culturelle et historique forte puissent jouir de prérogatives supérieures aux régions moins typées. Cela devrait concerner, à mon sens, des régions comme la Bretagne, l’Alsace mais aussi des entités qui, parce qu’elles sont plus petites, ne constituent pas des régions. Je pense au Pays Basque-Nord, à la Catalogne-Nord, mais aussi, peut-être (à voir avec les intéressés), le Béarn, la Savoie ou le Comté de Nice. Ces cinq petites régions seraient néanmoins plus vastes et plus peuplées que les régions italiennes ou espagnoles les plus petites.   

Avec la pseudo-réforme gadget qu’on nous propose (ou plutôt qu’on va tenter de nous imposer ; mais ce pouvoir est si faible qu’on peut espérer que cette réforme ne voit pas le jour, du moins sous cette forme), nous sommes loin, très loin de ces idées qui me paraissent d’autant plus raisonnables qu’elles sont appliquées avec succès au-delà de nos frontières.

On peut d’ailleurs se demander si le gouvernement croit vraiment à sa réforme. Elle est si précipitée qu’on peut penser qu’elle n’a pas été vraiment préparée. Nos dirigeants (mais cela est vrai tant pour le PS que pour l’UMP) sont si détachés des réalités du terrain, si enfermés dans leurs citadelles parisiennes que la vie des gens ordinaires, dans leurs terroirs auxquels ils sont légitimement attachés, est complètement étrangère à leur univers mental.

Et lorsqu’ils parlent terrain, ce n’est presque toujours que pour s’accrocher aux fauteuils des postes qu’ils occupent, ou voudraient occuper. On dit ainsi que certaines frontières absurdes des régions dessinées dans le bureau de Hollande ne sont dues qu’au « lobbying » de quelques barons de la Hollandie. Ayrault tenait à ses Pays de Loire : ils les a gardés, Le Driant (ministre de la défense, l’un des rares populaires) voulait conserver « sa » Bretagne, même amputée de Nantes, et Ségolène Royal, pensant peut-être à une reconversion future, voulait cette super-région d’Orléans à La Rochelle : c’est fait. Quant à Martine Aubry, « baronne » du Nord et ennemie intime de Hollande, on l’a privée de Picardie. Le roi a parlé !

Décidément, cette fin de règne de Hollande est pathétique. Allons-nous encore continuer pendant trois ans à être la risée du monde ?

Les Français ont sanctionné Hollande aux municipales de mars. Leçon non retenue. Ils ont recommencé pour les européennes. On continue comme si de rien n’était. La crise économique et, surtout, morale de la France s’amplifie. Le chômage continue son inexorable montée, la délinquance explose, de plus en plus de Français renoncent à se faire soigner parce qu’ils n’ont plus d’argent (avec une médecine en principe gratuite, du moins remboursée, mais de plus en plus mal).

Pour seule réponse, après le « mariage pour tous », Hollande tente une autre diversion avec une réforme régionale bidon.

Ce n’est pas glorieux.

Ce mépris du peuple ne pourra pas être éternel.

                                                                                                              Yves Barelli, 3 juin 2014                      

                    

 

                   

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16 janvier 2014 4 16 /01 /janvier /2014 18:01

Dans sa conférence de presse du 14 janvier, le président Hollande a fait part de son intention de simplifier le « millefeuille » territorial français en diminuant le nombre des régions, en transférant une partie des compétences des départements aux « métropoles » et en clarifiant les compétences des divers niveaux de collectivités territoriales.

Sur le moment, les 600 journalistes présents à l’Elysée ont peu réagi à ces déclarations. Ce n’est pas étonnant compte tenu de la forte centralisation de la France. Pour nombre de médias dits « nationaux », en fait parisiens, il s’agit là d’un sujet mineur, en tout cas bien moins important et urgent que les questions du moment, en l’occurrence la crise économique, et donc l’emploi, et même la vie privée du président (au centre de l’actualité, bien que cela intéresse peu les Français, comme le montrent les sondages, depuis la révélation la semaine dernière par un « journal » - si on peut appeler ainsi la « presse de caniveau »  - sur une aventure féminine supposée du président).

Ce n’est que depuis le lendemain de la conférence que les commentateurs se sont emparés du sujet.

Quelques déclarations de personnalités proches du président apportent quelques éclairages sur les intentions du gouvernement. Hier 15 janvier, M. Mandon, député PS chargé, avec d’autres parlementaires, par le gouvernement de réfléchir à la question, a estimé que l’on pourrait réduire le nombre des régions françaises de 22 à 15. Ce matin, Madame Lebranchu, « ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique » (ouf !) n’a pas repris à son compte ce nombre, mais a donné les grandes lignes de ce qui pourrait être un projet de loi, à savoir favoriser les regroupements non seulement de régions mais aussi de collectivités de niveau inférieur et surtout mieux préciser les compétences des unes et des autres. Des incitations financières seraient données aux collectivités jouant le jeu et au contraire des pénalités seraient infligées à celles qui trainent les pieds. En outre, on éviterait désormais les compétences générales des divers niveaux de collectivités en attribuant ces compétences de manière plus précise et donc limitative.

Ces déclarations appellent de ma part les commentaires suivants :

1/ Le système territorial français actuel est si compliqué que même les « spécialistes » ne s’y retrouvent pas. Les citoyens, quant à eux, sont souvent complètement perdus.

Résumons le système actuel.  

La France est un Etat unitaire, c’est-à-dire que les compétences générales appartiennent à l’Etat. Celui-ci a des relais locaux, les préfectures et tous les services déconcentrés de l’Etat. Ainsi, le préfet (représentant de l’Etat dans le département), même s’il a, comme tout haut fonctionnaire, un certain pouvoir d’appréciation pour ses décisions, est là pour appliquer les instructions du gouvernement.

Jusqu’en 1981, le préfet avait un pouvoir de tutelle sur les collectivités territoriales (communes, départements  et ce qu’on nommait alors les établissements publics régionaux). Toute décision d’un maire ou d’un conseil général (assemblée départementale) devait être approuvée par le préfet pour être exécutoire.

En 1981, les lois Defferre (maire de Marseille et ministre de l’intérieur d’alors, sous la présidence de François Mitterrand) ont créé la « décentralisation », c’est-à-dire une certaine autonomie des communes, des départements et des régions (désormais collectivités territoriales à part entière). Ce fut une révolution. Désormais, et c’est le système actuel, une collectivité peut prendre des décisions sans attendre l’approbation du préfet, mais cela doit se faire dans le cadre de la loi qui définit son domaine de compétences. Si la collectivité va au-delà de ses compétences, sa décision est cassée par la juridiction administrative à la demande de l’Etat. Exemple : si une collectivité veut modifier les programmes scolaires, cela n’est pas possible parce qu’elle n’en a pas le droit. Elle est compétente pour la construction et l’entretien des écoles, pour les cantines, elle peut subventionner et même faire cadeau des manuels scolaires et du matériel informatique ou autre, elle peut même s’occuper d’activités extra-scolaires, mais elle ne peut interférer dans les programmes scolaires, pas plus que dans le recrutement et la carrière des enseignants.

Les lois de décentralisation ont fixé quelques compétences de base pour chaque catégorie de collectivité mais sont restées assez imprécises sur la répartition des compétences entre collectivités. Exemple : l’action économique décentralisée est, dans les limites de la loi, mais aussi des règles européennes, de la compétence générale des régions. Toutefois, les départements et les communes peuvent également mener des actions dans ce domaine. Il y a souvent des actions conjointes sous l’autorité théorique du « chef de file » légalement compétent (la région, par exemple, pour l’économie), ce qui entraine des financements « croisés » (la collectivité finance une partie d’un programme dont elle n’est pas « chef de file ». A charge de revanche).

Ce système est horriblement compliqué et source de gaspillages. Toutes les collectivités d’une certaine importance se dotent de services administratifs qui s’occupent en fait de tout. Pour rester dans l’exemple de l’économie, dans une même région, on aura les services économiques de l’Etat, ceux de la région, du département, mais aussi des « communautés urbaines » et des grandes communes. Par exemple, qui s’occupe d’économie à Marseille ? Tout le monde : ville, conseil général, conseil régional, préfecture, directions départementales des ministères concernés mais aussi communauté urbaine, chambre de commerce (représente les intérêts économiques mais les collectivités sont partie prenante), établissements publics spécialisés (« Grand Port de Marseille-Provence », « EuroMéditerranée » : dépendent de l’Etat, mais avec participation des collectivités) et, bientôt (car on va créer un nouvel échelon), « métropole Aix-Marseille-Provence ».

2/ Non seulement les compétences ne sont pas suffisamment précisées, mais on crée des échelons nouveaux sans jamais supprimer les anciens.

La commune est l’échelon de base. Toutefois pour Paris, Lyon et Marseille, il y a des municipalités d’arrondissement (20 à Paris, 10 à Lyon) ou de secteur (8 à Marseille, chacun regroupant deux arrondissements). La répartition des compétences entre municipalité centrale et d’arrondissement n’est pas toujours claire.

Encore moins claire est celle qui résulte des regroupements des communes (dont le nombre en France – 36 000 – est très nettement supérieur à ceux de pays comparables ; toutefois, la taille des communes est, pour des raisons historiques, variable selon les départements : plus élevé au nord qu’au sud). Les regroupements prennent plusieurs formes allant de la simple coopération (« syndicats intercommunaux », compétents pour un domaine particulier, par exemple les transports ou l’enlèvement des ordures ménagères) à la « communauté urbaine » à compétence étendue (par exemple, le « Grand Lyon » a davantage de compétences que la ville de Lyon).

Pour la dizaine d’agglomérations les plus importantes, le gouvernement vient de décider du principe de la création de « métropoles », plus étendues que les communautés urbaines, mais sans que celles-ci soient, en général, supprimées.

Lorsque les régions ont été créées, d’abord comme simples regroupements administratifs après la seconde guerre mondiale, puis collectivités de plein exercice en 1981, d’aucuns s’attendaient à ce que le département fut appelé à terme à disparaitre (le département avait été créé par la Révolution française pour remplacer les anciennes « provinces », qui correspondaient à peu près aux régions actuelles), mais il n’en fut rien. Les institutions se partagent des compétences avec les ambiguïtés  évoquées plus haut.

Si on ajoute les compétences concédées par l’Etat à l’Union européenne, on comprend que le citoyen de base (mais aussi les institutions économiques, culturelles ou associatives) a les plus grandes difficultés pour savoir qui fait quoi et à qui s’adresser pour ses démarches administratives.

Cela est source de perte de temps, de frustrations et gaspillages. Je prendrai un exemple simple. Argenteuil et Bezons sont deux grosses communes (respectivement 100 000 et 30 000 habitants) de la banlieue parisienne. Elles ont décidé de former une « communauté urbaine » : résultat, à côté des deux « hôtels de ville », on a désormais un troisième bâtiment, l’ « hôtel d’agglomération ». Les services communs ne se substituent que partiellement aux services communaux qui subsistent, ce qui ne permet que des économies dérisoires, quand cela n’engendre pas, au contraire, des dépenses supplémentaires du fait d’une bureaucratie accrue (plus on s’éloigne du citoyen, plus c’est compliqué), mais aussi (je n’insisterai pas là-dessus pour éviter la démagogie) de l’augmentation substantielle des indemnités des élus ayant désormais une double casquette (même dans les communautés réunissant de nombreuses communes, chaque maire est presque automatiquement au moins vice-président de la communauté avec la rémunération qui va avec). Autre conséquence : on ne sait plus où s’adresser. On avait déjà le département, la région, la préfecture et quelques autres « guichets ». Un de plus !

3/ On ne peut donc que souscrire à la volonté gouvernementale de simplifier le système.

Reste à savoir, ce qu’on va faire et pourquoi on va le faire.

L’insistance mise par le président de la République, son gouvernement e la majorité des commentateurs sur la nécessité de faire des économies peut faire craindre le pire. Si l’objectif est purement comptable, on est dans le schéma technocratique pur. Dix régions « fortes », de « taille européenne », comme on dit, au lieu de 22, quel intérêt ? Deux régions pauvres ensemble font-elles une région riche ? C’est confondre collectivité territoriale et entreprise à vocation économique et commerciale (même dans ce cas, les fusions d’entreprises ne sont pas toujours des réussites). C’est oublier qu’une région, mais aussi une commune (et parfois, mais pas toujours, un département), cela correspond à une communauté humaine fondée sur l’histoire, la culture et un certain nombre de valeurs ou de références partagées.

Je souhaiterais que dans le souci de réduire le nombre de régions, on n’oublie pas un élément qui est essentiel au « vivre ensemble », c’est celui de l’identité. L’identité, c’est ce que les gens ont en commun. Ce sont leurs racines, leurs références. Cet élément, d’ordre culturel et non pas économique, est important tant pour la convivialité (les populations déracinées qui ont perdu toute valeur commune sont celles qui sont les plus touchées par la délinquance) que pour le développement économique (c’est lorsqu’on a quelque chose en commun qu’on peut le mieux entreprendre en commun). L’utilisation spontanée de la référence régionale dans les noms de sociétés, d’établissements, de médias ou dans les discours montre que cela correspond à un besoin ressenti. Dans ces conditions, des regroupements trop larges risquent d’être contreproductifs. A vouloir créer des régions « fortes », on risque au contraire de les affaiblir.

4/ Ce qui précède ne doit pas conduire à l’immobilisme. S’il existe des régions qui correspondent à des entités vieilles de plusieurs siècles, d’autres sont plus artificielles.

A mon sens, il est évident qu’il faut regrouper les régions de « Basse Normandie » et « Haute Normandie », qui ne correspondent à rien. La Normandie existe depuis plus de dix siècles, elle a une identité forte, elle a même un drapeau. Il faut la réunifier. De même, la Loire-Atlantique est bretonne et il est urgent de l’incorporer à la région Bretagne, à l’identité particulièrement évidente. Cela, évidemment sous réserve de l’accord des intéressés.                                            

Des petites régions historiques, actuellement dispersées mais ayant suffisamment de points communs pour aspirer à vivre ensemble, pourraient être regroupées, si elles le souhaitent. Je pense aux régions de la vallée de la Loire (Anjou, Maine, Touraine,  Orléanais, Berry, peut-être Poitou), actuellement dispersées sur trois « régions »). Le regroupement du Nord-Pas de Calais et de la Picardie aurait aussi sa logique, une bonne partie des « Ch’ti » étant historiquement Picards. Pourquoi ne pas envisager aussi la réunification du Languedoc, partagé aussi entre deux régions ?

5/ Toutefois, les mouvements inverses aux regroupements ne devraient pas être écartés à priori.

Pour justifier les seuls regroupements, on cite souvent l’exemple allemand. On voit que ceux qui le font ne connaissent pas l’Allemagne. Ce pays a quelques gros « Länder », mais à côté d’eux, il en a aussi de très petits. La Sarre, pas plus grande qu’un département français, est un « Land » (« Länder » est en allemand le pluriel de « Land »=pays) à elle toute seule. Berlin, Brème et Hambourg sont à la fois ville et Land. L’Italie et l’Espagne sont deux autres exemples d’Etats ayant à la fois de très grosses régions et d’autres qui sont minuscules. C’est une question d’histoire et d’identités.

De même que la Corse (à peine 200 000 habitants) est une région, il me semble que le Pays basque français et la Catalogne française, compte tenu de leur particularisme et de leur identité forte, pourraient être des régions à part entière ou, au minimum, des parties à statut spécifique de régions plus vastes.

6/ Faut-il supprimer les départements ? Je répondrais à priori plutôt oui. Mais cela devrait surtout dépendre des considérations locales et, là aussi, de l’histoire et de l’identité. Dans certaines régions, les départements sont artificiels. C’est par exemple le cas en Bretagne ou en Normandie. Dans d’autres, ils correspondent à des entités qui remontent souvent à l’époque romaine et qui sont bien ancrés dans le ressenti populaire. Par exemple dans le sud du massif central : Gévaudan (Lozère), Rouergue (Aveyron), Quercy (Lot), Périgord (Dordogne), etc.

La solution devrait soit, là où cela serait souhaité, de supprimer les départements en les remplaçant par de simples circonscriptions de régions, soit de les conserver, mais avec un statut complémentaire (et non concurrent comme aujourd’hui) à la région, comme cela est le cas par exemple en Italie et en Espagne.      

7/ Les regroupements de communes devraient également être considérés au cas par cas et non selon des critères purement technocratiques.

Dans le cas d’agglomérations bien constituées avec un centre-ville unique, l’incorporation des banlieues proches à la ville centre pourrait être une meilleure solution que la constitution de « communautés urbaines » lourdes. Quant aux « métropoles » aussi vastes que des départements, la disparition du département sur le même territoire est une évidence. Il semble qu’on s’oriente vers cette solution. Mais plutôt que de compétences métropolitaines trop étendues, il vaudrait mieux, à mon sens, renforcer les régions. Ceux qui citent la référence allemande à tort et à travers devraient remarquer que c’est le schéma adopté outre-Rhin.

Encore faut-il que les métropoles correspondent à une identité vécue. Je ne suis évidemment pas hostile à une coopération entre Aix-en-Provence et Marseille, mais, d’une part ces villes ont des poids propres importants (la commune de Marseille est trois fois plus grande que celle de Paris et ses « banlieues » ont toujours fait partie de sa commune), d’autre part elles ont des identités et des sociologies suffisamment distinctes pour qu’Aix (qui fut la capitale de la Provence) ne soit pas considérée comme une simple « banlieue » de Marseille.

8/ Dernière remarque, et non des moindres. L’organisation territoriale, qui est celle des pouvoirs publics, est une composante essentielle de la démocratie. Vouloir faire une réforme seulement d’ « en-haut » est contraire à la démocratie. Forcer la main aux intéressés par des incitations ou des pénalités financières est les prendre pour des irresponsables et des incapables de s’autogouverner. C’est évidemment les infantiliser et les déresponsabiliser.

La constitution prévoit que l’organisation territoriale est du domaine de l’Etat. La création de nouvelles collectivités ou leur suppression peut donc se faire par la seule loi. Mais ce serait peu conforme à la démocratie (c’est le chemin que l’on prend pour les « métropoles » pour lesquelles ni les populations ni les élus n’ont le droit de décider. Celle de Marseille va ainsi se faire malgré l’opposition de la plupart des maires concernés).

En revanche, les regroupements de communes ou de régions doivent être approuvés par référendum local. On se heurte alors à deux obstacles. Le premier vient des élus, rarement spontanément favorables car on leur demande de saborder leurs « fiefs » électoraux. Le second vient du scepticisme des populations. Elles sont frappées de plein fouet pour le chômage et la baisse du pouvoir d’achat. Beaucoup ont dû aller habiter de plus en plus loin pour des raisons professionnelles. D’autres sont d’origine immigrée. Aussi, pour les uns, la question régionale ou locale est vue souvent comme secondaire. Toute tentative de réforme d’initiative gouvernementale ou locale peut être vue, aussi, comme une manœuvre politique. Pour d’autres, venus habiter telle région ou telle commune par hasard personnel ou professionnel, cette question les laisse totalement de marbre. Seul l’aspect fiscal les intéresse. Après réforme, vais-je payer plus ou moins d’impôts ? Ils sont d’ailleurs souvent persuadés qu’on cherche à les faire encore davantage passer à la caisse.

C’est ce qui explique que les référendums d’origine locale sont loin d’être gagnés d’avance, même si la cause est juste. C’est ce qui s’est passé au printemps dernier en Alsace (voir mon article du 6 avril 2013 : « oui au regroupement des collectivités alsaciennes ») où peu de gens se sont déplacés et où une majorité relative s’est opposée, pour des raisons variées dont certaines n’avaient aucun rapport avec la question posée, à la fusion des deux départements et de la région.                   

Il est clair, en conclusion, que cette question territoriale est liée à la situation du pays et au type de société que nous voulons. La France a besoin de reprendre confiance en elle. Elle a besoin de mieux se fixer des objectifs et des valeurs communes.

Mieux adapter son cadre territorial devrait être un élément important du vivre ensemble. Poser la question de la réforme territoriale uniquement en termes d’objectifs comptables et budgétaires, n’est évidemment pas la meilleure manière d’y parvenir.              

 

      Yves Barelli, 16 janvier 2014

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6 avril 2013 6 06 /04 /avril /2013 17:06

Les Alsaciens voteront le 7 avril sur le regroupement éventuel des collectivités de leur région, à savoir le conseil régional d’Alsace et les deux conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Cette manifestation de démocratie locale doit être saluée. D’abord parce qu’elle a lieu, fait hélas tout à fait exceptionnel en France. On le doit à une loi de 1994 qui avait introduit cette possibilité de consultation populaire, purement indicative pour le législateur et fortement encadrée par des conditions rigoureuses difficiles à réunir. Ensuite, parce qu’elle ouvre des perspectives intéressantes, pas seulement pour l’Alsace mais aussi pour d’autres régions de l’hexagone.

 Selon les sondages, une majorité de votants devrait se prononcer pour la fusion des assemblées et administrations régionales et départementales (la décision finale est de la prérogative du parlement, les régions françaises n’étant pas libres de s’auto-administrer). Il n’est toutefois pas sûr que le quorum (50% de votants et un oui rassemblant 25% des électeurs inscrits) soit atteint. La participation risque en effet d’être faible dans ce type de consultation, inédit et sans enjeu politique. De plus, face à la crise économique, beaucoup se sentent davantage concernés par la montée du chômage et la baisse du pouvoir d’achat que par les questions de gouvernance locale qu’ils ont, souvent, du mal à comprendre. Les récentes « affaires », en particulier celle de Jérôme Cahuzac, ex ministre du budget, qui avait effrontément menti devant la représentation nationale sur l’existence, avérée par la suite, d’un compte en Suisse probablement alimenté par un blanchiment de gains illicites (voir mon article dans ce blog), mais aussi d’autres qui ont touché l’ancienne majorité, peuvent, en jetant une suspicion sur l’ensemble de la classe politique, détourner des urnes une fraction accrue de l’électorat.

Espérons que les Alsaciens se déplaceront suffisamment nombreux pour approuver ce changement de la carte administrative de la France.

Il n’est pas inintéressant, au passage, de voir quelles sont les forces politiques pour et les contre. L’UMP (droite) est favorable. Le fait qu’elle gère la région (toutes les autres, sauf la Corse, où c’est plus compliqué, sont à majorité socialiste) n’y est sans doute pas étranger ;  la droite française est loin, en effet, d’être « régionaliste ». Pour la raison inverse, le PS, qui ne veut pas renforcer localement la droite, est réservé. Ce n’est pas non plus un « régionaliste » militant, c’est le moins qu’on puisse dire. Les Verts, qui souhaiteraient une dissolution de la France et de ses départements dans l’Europe unie, sont favorables, tandis que le Front de Gauche et le Front National, pour des raisons différentes (le premier, contre tout particularisme alsacien, à ses yeux à tendance cléricale et « réactionnaire », le second parce que cela « affaiblit » la France, rien de moins !) sont hostiles (ils ne sont toutefois pas vraiment suivis par les militants locaux).

Tout cela en dit long sur la conception de la démocratie locale des élites parisiennes, plus enclines aux calculs bassement politiques ou aux affirmations dogmatiques qu’à prendre en considération les aspirations des « ploucs » de province.       

Un système administratif inadapté

Qu’en est-il actuellement ?

Les anciennes provinces ont été supprimées par la Révolution de 1789. Elles correspondaient à des identités parfois fortes (Alsace, Bretagne, Provence, etc). Elles ont été remplacées par des départements plus petits dessinés pour que les citoyens puissent se rendre à cheval au chef-lieu en moins d’une journée. Ces départements, dans certains cas, restent des entités abstraites et artificielles. C’est le cas en Alsace. Dans d’autres, ils correspondent à des réalités anciennes (des sous-régions ou des mini-provinces, telles le Périgord, le Quercy ou la Touraine, mais dont les noms ont été changés) ou ont réussi à créer de véritables identités locales. Grosso modo, c’est à peu près aujourd’hui moitié-moitié. Supprimer les départements d’un trait de plume, comme on les a créés, n’est donc pas aussi simple qu’il peut y paraitre.

C’est cette légitimité souvent réelle des départements, mais aussi les réticences de type jacobin (on se méfie de régions trop fortes), qui ont fait que les départements ont été conservés lorsqu’on a créé dans les années 1960 les « régions », d’abord, simples groupements administratifs, puis véritables collectivités. Certaines de ces régions sont de pures fictions technocratiques (comme par exemple les « Pays-de-Loire », formés d’une partie de la Bretagne historique, du Poitou historique, de l’Anjou et du Maine) et d’autres des reconstitutions, approximatives, des anciennes provinces.

La grande réforme de « régionalisation » de 1981, souvent connue sous le nom de « lois Defferre », du nom du maire de Marseille et ministre de l’intérieur de François Mitterrand, a constitué une sorte de révolution dans une France si centralisée depuis 1789 qu’elle n’avait pas d’équivalent dans les grandes démocraties européennes. Comparée aux autonomies régionales allemandes, espagnoles et même italiennes, cette décentralisation à la française était, et reste, bien timide, mais elle marqua un progrès historique.

Aujourd’hui, le système administratif français est devenu inadapté.

Trois critiques, parfois contradictoires, lui sont adressées :

D’abord, les régions ont des compétences et des moyens très réduits. Sans même parler de la Catalogne ou de la Bavière, qui disposent de compétences quasi étatiques, les régions françaises, même les plus peuplées et les plus « riches », ont peu de prérogatives, comparées par exemple à leurs homologues italiennes. Elles n’ont aucun pouvoir « régalien » (police, douanes, impôts, etc). Ce n’est pas plus mal. Mais elles n’ont même pas de compétences fortes dans le domaine culturel ou linguistique. Cela est scandaleux. Ainsi, le conseil régional de Bretagne, mais aussi tous les conseils généraux (assemblées départementales) et quasiment tous les conseils municipaux bretons, ont voté des « vœux » pour donner à la langue bretonne un statut officiel et une place dans l’enseignement moins ridicule qu’aujourd’hui. Ces « vœux » ne sont, en vertu de la loi actuelle, que des vœux. Ils n’ont jamais été pris en considération.

Les véritables régionalistes, dont je suis, estiment que le rôle des régions devrait être en premier lieu de défendre et promouvoir les identités régionales qui, loin d’être une menace pour l’identité nationale, la complètent et la renforcent. Etre fier de son ancrage régional culturel et historique, c’est se sentir bien là où l’on vit et donc bien d’être Français. Ces identités restent fortes, mais elles n’ont pas de traduction institutionnelle. Si le rôle des régions est seulement d’ajouter un échelon administratif supplémentaire avec tous les doublons (régions-départements) et même « triplés » (Etat-région-département), voire plus (administrations communales et intercommunales), qui en découlent, cela ne sert à rien. Autant être directement « géré » par les administrations d’Etat. C’est plus simple et plus équitable (on ne voit pas ce que la démocratie gagne à avoir des taux différenciés de taxes locales diverses qui entrainent des inégalités entre citoyens, ceux des régions les plus pauvres étant souvent appelés à payer les taxes les plus lourdes pour compenser des recettes plus automatiques insuffisantes).

C’est le deuxième reproche, qui peut paraitre contradictoire avec le premier. L’autonomie locale et régionale peut être source de confusion et d’inégalités, sans même parler des risques de clientélisme et donc de favoritisme. Les régionalistes souhaitent de véritables régions responsables et appuyées sur des personnalités qui correspondent réellement au ressenti des populations. Mais, même pour ces régions, on ne concède actuellement, en guise de « libertés locales », que des prérogatives dérisoires par ailleurs sources d’inégalités. Ceci est vrai pour tous les échelons administratifs, pas seulement les régions. Ainsi, dans la région parisienne, l’impôt sur les transactions immobilières est deux fois plus élevé dans le département le plus pauvre, celui de la Seine-Saint-Denis, que dans le plus riche, les Hauts-de-Seine. A Marseille, ville « pauvre », la taxe d’habitation et la taxe foncière (impôts assis sur le logement), mais aussi le ticket de métro, sont très sensiblement supérieurs à ceux de Paris, où la collectivité est assurée de rentrées fiscales importantes grâce aux prix au mètre carré faramineux atteints par l’immobilier. Cette inégalité se retrouve aussi dans la qualité des écoles et collèges construits mais aussi dans les montants de l’aide sociale, les collectivités les plus riches pouvant se montrer les plus généreuses envers leurs « pauvres », relativement moins nombreux. Cela est évidemment antinomique avec le principe républicain de l’égalité de tous devant la loi.

On ne peut corriger ces inégalités que par un retour à davantage d’administration d’Etat pour tout ce qui est prestation identique sur l‘ensemble du territoire national (la multiplication, par exemple, des polices municipales pour pallier le manque de moyens de la police nationale ne me parait pas souhaitable).

Si je suis favorable au retour à la responsabilité de l’Etat (on peut « déconcentrer «  les décisions sans nécessairement multiplier les organes de décisions) pour les services publics à vocation nationale actuellement concédés, ou imposés, aux régions, départements et communes (parfois malgré ces collectivités sur lesquelles l’Etat se décharge de ses responsabilités seulement pour faire croire qu’il fait des économies), je suis en revanche fortement partisan de davantage d’autonomie pour tout ce qui tient aux personnalités régionales ou locales. Une compétence de la région pour, par exemple, les programmes scolaires d’histoire, de géographie, de langues, voire de sciences de la vie et de la terre (la faune et la flore ne sont pas les mêmes en climats océanique, méditerranéen ou de montagne). Un recrutement régional des enseignants et des fonctionnaires territoriaux éviterait les aberrations actuelles : un prof qui débarque à l’autre bout de l’hexagone dont il ne connait rien et qui enseigne mal parce qu’il se sent puni d’avoir été envoyé là et qu’il s’adresse à des élèves culturellement très éloignés de lui. En revanche, que, comme c’est le cas actuel, la région finance la construction et le fonctionnement des lycées, le département les collèges et les communes les écoles primaires, n’apporte rien au citoyen et est source de gaspillages. Ainsi, lorsqu’une école, un collège et un lycée sont côte à côte, cas fréquent, la gestion des cantines mais aussi celle des ramassages scolaires sont totalement séparés. Dans l’agglomération parisienne, on change souvent de commune, mais aussi de département, d’un côté à l’autre d’une même rue. Cas concret (que je connais bien) de deux lycéens fréquentant le même lycée (le plus proche du domicile de chacun) mais habitant de part et d’autre de la limite entre une commune relevant des Yvelines et une autre du Val d’Oise. Il faut bien des limites, c’est vrai ! Mais que la prise en charge des frais de transport scolaire ne soit pas la même entre les deux départements considérés ne me parait pas normal (le département le plus riche étant le plus généreux). Quant au lycéen qui habite un département et est scolarisé dans le département voisin, bonjour les formalités administratives interminables !

Une autre solution pour corriger les inégalités serait d’établir une péréquation entre ressources des collectivités, ce qui existe déjà partiellement. Mais si tout le monde a droit exactement aux mêmes prestations, autant les organiser de manière centralisée et donc plus cohérente. Ainsi une entreprise nationale des transports urbains pourrait-elle, sans doute, acheter les matériels à meilleur compte qu’une multitude d’entreprises dispersées. De plus, pour l’usager, avoir des titres de transport valables sur l’ensemble du territoire national serait plus pratique.

Le « millefeuille » administratif français actuel est incompréhensible

Le troisième reproche, qui découle des deux premiers, c’est l’existence du « millefeuilles » administratif actuel, parfaitement incompréhensible pour le citoyen, même bien informé des subtilités de l’administration de notre pays.

Considérons n’importe quelle ville, grande ou petite, ou village. A la base, on a la commune (50 habitants ou 2 millions, toutes fonctionnant selon le même schéma et les mêmes prérogatives, sauf quand une partie de celles-ci sont déléguées à une autre instance : pas simple !), compétente pour certaines fonctions de police (par exemple l’établissement d’un sens unique dans une rue, dans la mesure où la voie n’est ni nationale ni départementale), pour les écoles primaires et pour tout un ensemble de fonctions proches des citoyens. A Paris, Lyon et Marseille, il existe un autre échelon, l’ « arrondissement municipal », qui est une partie de la commune avec son maire (à Marseille, maire de « secteur », en général deux arrondissements : pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ! – il y a une explication : quand ils ont été créés par Gaston Defferre – celui des lois de décentralisation -, c’était pour mieux gagner les élections ; depuis, on les a gardés car, en France, quand on crée une administration ou un niveau de « démocratie », il est rare qu’on supprime ceux qu’ils remplacent), son conseil municipal, son administration et ses compétences particulières.

Au-dessus de la commune, la « communauté de communes », lorsqu’elle existe (cas de plus en plus fréquent), compétente par exemple pour le ramassage des ordures et, souvent mais pas toujours, pour les transports urbains. L’exécutif de ces « communautés » est constitué de délégués des conseils municipaux (qui se voient attribuer des indemnités supplémentaires). Il s’agit donc d’une démocratie au deuxième degré, plus éloignée des citoyens. Les résultats sont souvent aberrants. Ainsi la « communauté de communes de Marseille-Provence » inclue des communes très éloignées de Marseille mais en exclue d’autres plus proches. Nul n’est capable d’en citer les limites. Autre exemple à la limite du grotesque : Argenteuil et Bezons, villes de l’agglomération parisienne, dans le val d’Oise, ont formé à elles deux une « communauté de communes » à laquelle elles ont confié le ramassage des ordures et la supervision de quelques lignes locales d’autobus confiées au privé (qui complètent le réseau de base de la RATP - transports parisiens -) mais sur lesquels on a peint en grand (et sans doute à grands frais) « communauté d’agglomération d’Argenteuil-Bezons ». Désormais, en plus des hôtels de ville de ces deux localités, on a édifié un « hôtel de communauté ». Au lieu d’économies d’échelle, la création de cet OVNI se traduit par des dépenses supplémentaires et beaucoup de confusion.

Etage au-dessus du millefeuille, le département. A Marseille et à Lyon, et dans quelques autres grandes agglomérations, le département est à peine plus vaste et peuplé que la « communauté ». Il n’empêche : exécutifs différents, administrations spécifiques, budgets séparés.

Enfin, la région qui, on l’a vu plus haut, n’a pas remplacé le département.

Et puis, évidemment l’Etat, auquel s’ajoute depuis quelques années, l’Union européenne, « compétente » pour pas mal de décisions, sans d’ailleurs qu’on ait jamais demandé aux citoyens des pays-membres s’ils étaient d’accord pour ces abandons de souveraineté.    

Chaque niveau a ses propres compétences (il est souvent difficile de tracer les frontières), son propre exécutif et ses propres fonctionnaires. Savoir exactement à qui s’adresser pour ce qui concerne la vie de tous les jours du citoyen relève souvent du jeu de piste car tous les échelons ont leur administration particulière, leur directeur et leur élu délégué à  l’économie, l’action sociale, l’éducation, la culture, les routes, etc. Dans ce pays, demander une « aide » ou une subvention est compliqué. Ce ne sont pas nécessairement les plus nécessiteux qui les obtiennent mais les plus rompus aux arcanes de l’administration.

Pis, nos élus ont imaginé les financements « croisés ». Qu’es aquó ? Ce sont des  financements partagés, souvent sur une base de réciprocité : « je prends en charge une partie de ta dépense, tu me finances partiellement la mienne ». Ce système, source de confusion, déresponsabilise la collectivité en principe compétente. Prenons l’aménagement d’une piste cyclable dans une rue de ville. Cela relève en principe de la ville. Mais, le maire va solliciter des participations au financement. On fait alors une réunion entre fonctionnaires  des divers niveaux concernés (souvent plus d’une dizaine) qui examinent, d’abord s’ils sont d’accord avec le projet (qui correspond ou non à leurs propres priorités et possibilités budgétaires) et s’il existe une ligne budgétaire adéquate dans leur propre action. Ainsi, la communauté de communes, le département (parfois plusieurs), la région, tel ou tel ministère (en l’occurrence, économie, transports, environnement, équipement, etc), voire l’ « Europe » (sur des lignes budgétaires diverses), vont accepter de financer une partie de la dépense. Dans tous les cas, toutes ces administrations devront instruire le dossier (même si la dépense, pour certaines, est minime) et toutes les collectivités concernées devront prendre une « délibération » en bonne et due forme. On imagine les gaspillages de temps, et donc d’argent, que cela entraîne, la longueur des formalités administratives, mais aussi, dans beaucoup de cas, la gabegie qui en résulte. Le maire (j’ai plusieurs cas concrets en tête) va pouvoir se vanter devant ses administrés d’avoir été efficace et économe des deniers locaux : « j’ai obtenu des financements à hauteur – par exemple – de 60% du financement de « ma » piste cyclable ». Sous-entendu, « je suis un bon et j’ai de l’influence ». Mais que cette piste soit utile ou non est une question qu’on n’a même plus le temps de se poser (il fallait « saisir l’opportunité » des financements extérieurs). Souvent, si la collectivité devrait prendre en charge la totalité de la dépense, on serait plus regardant avant de l’engager. C’est donc une source de gaspillage, d’autant que les économies pour le budget local sont purement illusoires : ce sont les mêmes contribuables, in fine, qui payent.

Et les citoyens dans tout cela ? Ils ont de moins en moins droit au chapitre !

Il est clair en conséquence que la France nécessite une bonne réflexion d’ensemble sur son administration. Le but devrait être non de faire des économies à tout prix (c’est dans l’air du temps : on rogne sur tout) mais de prendre des décisions plus rationnelles et de faire que les citoyens se sentent plus concernés.

Savoir que c’est la commune, la communauté de communes, le département, la région ou l’Etat (j’exclue l’Union européenne, les lecteurs de ce blog savent ce que j’en pense) qui finance les écoles, les hôpitaux, les routes et les pistes cyclables, franchement les citoyens s’en fichent. Et ils s’en fichent d’autant plus qu’ils ont la conviction qu’ils ne sont jamais réellement associés aux décisions. Ils pensent, à tort ou à raison, et hélas, souvent à raison, qu’ils sont des « sujets » et non des citoyens parce qu’ils sont gouvernés par des élus professionnalisés de plus en plus éloignés des citoyens (être maire est devenu un « métier ») et des technocrates gérant les « collectivités » comme des entreprises. Les élections consistent à accorder des chèques en blanc pour 5 ou 6 ans et les dirigeants aux egos démesurés se font élire, par de moins en moins de votants, grâce à des campagnes de communications montées par des professionnels plutôt que sur de véritables projets politiques.

Une simplification de la gouvernance locale serait de nature à la rapprocher des citoyens. Laissons, par principe, à l’Etat et à ses représentants régionaux et locaux,  non seulement les compétences « régaliennes » (défense, finances, etc) mais aussi tout ce qui est d’intérêt national. La santé, l’éducation (sauf exception justifiée : voir infra) ou les grands axes routiers, par exemple, entrent dans cette catégorie. Il en va de la cohérence (on a tronçonné, ainsi, l’ancienne route nationale 7, de Paris à Nice, en une quinzaine de routes départementales. C’est ridicule). Il en va aussi de l’égalité entre les citoyens. Tous ont droit également à l’éducation, aux soins, aux transports et aux routes.

Une véritable régionalisation pour les régions à forte personnalité historique et culturelle                                                               

Il convient, en revanche, de laisser aux échelons régionaux et locaux ce qui est spécifique ou ce qui correspond à des identités fortes.

Il existe des « régions », qui sont souvent de véritables « nations », qui ont des identités qui ont été forgées par plusieurs siècles d’histoire. L’Alsace, la Bretagne, la Provence ou la Corse ne devraient pas être de simples entités administratives. Ce sont des Nations historiques (la Bretagne, la Provence ou le Béarn, autrefois indépendants, ont été incorporés à la France sur la base d’une union conservant, en principe, les spécificités locales ; on sait ce qu’il en est advenu) avec leur propre culture, souvent leur propre langue. Ces spécificités ne sont pas en opposition avec la France. Elles y participent, complètent la personnalité nationale et la renforcent. Comme la Bavière ou la Sicile, elles devraient être dotées de compétences étendues et spécifiques. Le modèle des « communautés autonomes » espagnoles me parait valable pour la France. En Espagne, chaque « communauté » (c’est-à-dire région) a des compétences proportionnelles à sa personnalité culturelle et historique. C’est le cas aussi des 5 régions à statut particulier d’Italie. Si la Bretagne veut donner un statut officiel au breton, elle devrait en avoir le droit, comme l’ont fait pour leurs langues d’autres régions européennes.

La véritable régionalisation que j’appelle de mes vœux devrait impliquer non seulement des compétences « à la carte » mais aussi un remodelage de certaines régions selon les choix des citoyens.

Réorganiser les régions en associant les citoyens à la réforme

Le remodelage concerne le nombre et les limites des régions. Il ne s’agit pas de créer des régions « à taille européenne ». Cela ne veut rien dire : il y a moins de Länder en Allemagne que de régions en France, mais si certains sont immenses d’autres sont minuscules (la Sarre est plus petite que la Moselle et Hambourg et Brème, simples villes, sont aussi des Länder). Idem en Italie (le petit Val d’Aoste est une région) ou en Espagne (la « Rioja » est plus petite qu’un département français alors que l’Andalousie est immense).

Dans ces conditions, la réunification de la Bretagne, de la Normandie ou de l’Occitanie (du moins sa partie centrale) seraient envisageables, comme seraient envisageables des petites régions à statut particulier pour le Pays Basque français et la Catalogne Nord.

Le remodelage concerne aussi l’organisation interne des régions. Le principe de l’incorporation des départements dans les régions en tant que simples subdivisions administratives devrait être la règle, du moins si les citoyens de la région le souhaitent. Cela est la réalité en Italie et en Espagne, où les administrations des « provinces » sont incorporées à celles des régions ou communautés autonomes. Le projet de l’ancienne majorité, en France, de faire élire des conseillers chargés de siéger en même temps dans les assemblées régionales et départementales, allait dans le bon sens. Il est dommage que le président Hollande ait combattu ce projet.

Dans les régions qui le souhaitent, comme cela semble le cas en Alsace, la suppression des départements pourrait être actée. La remise au goût du jour des « pays », qui correspondent à peu près aux arrondissements départementaux (le plus souvent 3 ou 4 par département), sans que cela entraîne la création de nouvelles administrations concurrentes aux actuelles, pourrait être une solution car ces « pays » sont plus proches des citoyens. Ce type de subdivision infrarégionale existe dans plusieurs pays : les « contés » américains et britanniques, les « Kreis » allemands, les « okres » tchèques, les « powiat » polonais, les projets de revitalisation des « comarcas « espagnoles, et quelques autres du même genre. Cette solution a ma préférence.

L’initiative alsacienne est un bon début.

Certains diront qu’il y a des réformes plus urgentes à faire et que ce type de préoccupation détourne de ce qui devrait être la priorité des priorités, la lutte contre le chômage. Mais avec de tels raisonnements, on ne ferait jamais rien. L’homme ne vit pas seulement de pain, même si le pain est indispensable. Avoir des racines, des identités, des valeurs, c’est important aussi.

La démocratie locale et l’attachement à son ancrage régional sont non seulement souhaitables dans l’absolu, mais, même d’un point de vue purement utilitaire de lutte contre le chômage, elles peuvent être utiles. Le développement économique est souvent lié aux soubassements culturels. D’autres phénomènes ont aussi un lien avec lui. La hausse de la délinquance, des incivilités et l’incapacité de nombre de nos concitoyens à accepter la moindre discipline collective, ce qu’on appelle le « civisme », (cela concerne les « jeunes » des banlieues populaires mais aussi les candidats à l’exil fiscal des  quartiers plus huppés, sans même parler des hommes politiques qui mentent cyniquement devant la représentation nationale) ont aussi à voir avec la perte des identités.

Pour toutes ces raisons, si j’étais Alsacien, je voterais oui au regroupement des collectivités de la région.

                                                                                  Yves Barelli, 6 avril 2013                         

 

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