Tombouctou vient d’être libérée le 28 janvier par les troupes françaises après presque un an d’occupation par des milices armées composées de fanatiques islamistes, de trafiquants sans scrupule (souvent les mêmes) et de quelques Touaregs égarés aux revendications légitimes mais bien vite marginalisés (et souvent physiquement éliminés).
La folie meurtrière de ces individus paranoïaques qui se réclament d’une religion dont ils appliquent stupidement et bestialement de supposés préceptes (la question n’est pas de savoir si leur interprétation est juste ou fausse : il n’y a pas lieu d’entrer dans un débat inopportun sur la justification ou non d’un crime pour des motifs religieux ou autres. Un crime est un crime et il faut s’y opposer. Point final. C’est vrai aujourd’hui des « djihadistes », comme ce le fut autrefois des inquisiteurs qui envoyaient les « hérétiques » au bucher. Quant à l’exercice, utile, d’exégèse des écritures saintes d’une religion, je le laisse aux adeptes de cette religion) est en opposition avec l’histoire humaniste de la cité du désert.
D’un côté, les assassinats, la terreur, les lapidations, les mutilations, les interdictions stupides de tout et n’importe quoi, pas seulement l’alcool mais aussi fumer ou écouter de la musique, l’imposition du port du voile pour les femmes et, pour les hommes, d’une tenue identique à celle portée au 7ème siècle dans le Hedjaz par les compagnons du prophète, les destructions de monuments religieux inscrits au patrimoine de l’humanité sous prétexte qu’ils seraient incompatibles avec leur conception folle de la religion, et bien d’autres signes de l’arriération mentale et de la perversité de desperados venus des quatre coins de la « oumma » (communauté des pays musulmans), mais aussi de certaines banlieues françaises où des enfants perdus suivent le chant de haine propagé complaisamment par la chaine de télévision qatari « al Jazira » (qui appartient à cette famille Al Thani qui possède le Qatar – où il n’y a jamais eu d’élection – le PSG, des palaces et des entreprises en Europe, qui construit des mosquées en Afrique, qui fournit des armes directement aux rebelles syriens et indirectement aux terroristes d’Al Qaida et qui s’ « honore » de l’ « amitié » de certains Français intéressés.
De l’autre, la civilisation brillante et humaniste qui fit au moyen-âge la splendeur et la renommée de Tombouctou. Le contraste entre ce que l’Humanité peut produire de pire et de meilleur ne pouvait trouver meilleure illustration qu’à Tombouctou.
Le scandale n’est pas seulement dans le fait que de tels cinglés aient pu s’emparer d’un haut lieu de la culture. Il est aussi dans le long délai qui a pu se passer entre l’entrée des islamistes – quelques centaines au départ - à Tombouctou et la libération de la ville par les troupes françaises. Mais, mieux vaut tard que jamais. J’avais honte d’être français. J’en suis aujourd’hui fier.
Tombouctou est un nom un peu magique qui fait rêver et qui est propulsé aujourd’hui sur le devant de l’actualité. Mais peu savaient jusqu’à hier où se trouvait exactement cette cité.
Voici donc quelques rappels géographiques et historiques, mais aussi, et cela va en étonner plus d’un, une information sur un programme de coopération d’avant-garde qui associe le nom de l’antique université Sankoré de Tombouctou à la modernité.
Tombouctou, aujourd’hui à peine peuplée de quelques milliers d’habitants, se trouve au Mali, légèrement à l’écart de la boucle du Niger à l’entrée du grand désert saharien. Cet emplacement stratégique explique son destin exceptionnel. Là aboutissaient les caravanes apportant le sel et d’autres denrées du nord et celles qui transportaient les produits du sud, en particulier l’or du pays Akan (actuel Ghana, qui s’appelait autrefois la « Côte de l’Or »). Cette cité fut longtemps fermée aux étrangers non musulmans. Il fallut attendre 1828 pour que René Caillié « découvre » ce lieu mystérieux pour les Occidentaux.
Carrefour commercial, Tombouctou devint aussi très tôt un centre intellectuel. Dès le 13ème siècle, tous les écrits des plus grands savants arabes, mais aussi des philosophes grecs de l’Antiquité, sont présents à Tombouctou qui joue un rôle de premier plan dans l’empire du Mali, puis dans celui des Songhaï. Ces Etats étaient parmi les pouvoirs politiques les plus brillants qui existaient dans l’Afrique sub-saharienne bien avant la colonisation. Ils fédéraient les ethnies, notamment bambara, peul ou songhaï qui peuplent encore aujourd’hui la vallée centrale du fleuve Niger qui constitue l’actuel Mali (l’un des Etats africains les moins artificiels dans sa configuration). Dans le même temps, les caravaniers touaregs, dont la zone d’action s’étendait à l’ensemble du Sahara, mettaient en relation ces Etats avec les pouvoirs arabo-berbères de l’Afrique du Nord et de l’Espagne.
L’âge d’or de Tombouctou se situe au 16ème siècle. La cité compte alors de nombreuses mosquées, 180 écoles coraniques et jusqu’à 25 000 étudiants dans son université Sankoré. De nombreux savants et des écrivains viennent s’y installer depuis l’ensemble du monde arabo-musulman.
L’intellectuel local le plus célèbre fut Ahmed Baba. Né en 1556, il reçoit l’enseignement des plus grands savants de Tombouctou. Lorsque les Marocains s’emparent de la ville, Baba est emmené à Marrakech où pendant douze ans il exerce une grande influence ; il y écrit 29 des 58 ouvrages qu’il a rédigés au cours de sa vie. De retour à Tombouctou en 1607, il consacra les 20 dernières années de sa vie à l’enseignement et à la rédaction de « fatwas » (préceptes religieux tirés de l’interprétation des textes saints).
Par la suite, Tombouctou tomba en déclin et, partiellement, en ruines. Les conflits locaux avaient désorganisé le commerce transsaharien et la colonisation du littoral guinéen avait dévié le commerce de l’or vers la voie maritime. René Caillié ne put être que déçu en découvrant une bourgade modeste.
Le « centre culturel Ahmed Baba » de Tombouctou est dédié aujourd’hui à la récupération et à la restauration des manuscrits anciens dont le plus vieux date de 1241. Il en détient 15 000 et on estime que beaucoup plus dorment, mal conservés, dans des coffres chez des particuliers (j’en ai vu). Ces manuscrits sont pour la plupart écrits en arabe ; certains, en caractères également arabes, sont rédigés en langues africaines, songhaï et peul en particulier. Les ouvrages traitent de religion, mais aussi de philosophie, d’astronomie, de mathématiques, d’anatomie et d’autres sciences. Ils ont une réelle importance non seulement pour le Mali mais pour l’ensemble du monde arabe. Cela a notamment justifié que Tombouctou ait été inscrite sur la liste du patrimoine de l’humanité de l’UNESCO.
C’est à ces trésors que les fous islamistes s’en sont pris. On espère que les destructions n’ont pas été trop importantes (au moment où j’écris ces lignes, j’apprends que les islamistes ont mis le feu, avant de partir, à ce qui est présenté comme « la » bibliothèque de Tombouctou, brulant des manuscrits. Je ne sais s’il s’agit du centre Ahmed Baba. Ce serait dramatique). On connaitra sans doute dans les jours à venir les actes d’héroïsme de personnes ayant caché au péril de leur vie ces témoignages du passé et de la culture. Quand il entendait le mot « culture », Himler sortait son révolver. Les islamistes, eux, sortent couteaux et kalachnikov, récupérées, oh ironie, en Libye après la « libération » du pays par les mêmes troupes françaises (décidément l’héritage de Sarkozy est lourd. Mais celui-là, les socialistes ont du mal à le dénoncer car ils se sont bêtement associés à l’invasion de la Libye).
Le caractère symbolique de la pérennité de la culture africaine est illustré par le nom « Sankoré », la fameuse mosquée-université de Tombouctou.
C’est pourquoi le terme de « Sankoré » a été repris pour l’attribuer à un portail informatique qui se propose de mettre en rapport les enseignants africains par l’intermédiaire d’une université numérique virtuelle.
J’ai eu la chance d’être associé à ce projet porté il y a quelques années par le Fonds Mondial de Solidarité Numérique et son président, l’ancien ministre français Alain Madelin, en compagnie duquel je me suis rendu pour la première fois à Bamako pour préparer une conférence internationale, intitulée « la solidarité numérique au service de l’enseignement et du développement », qui s’est tenu dans la capitale malienne le 27 janvier 2009 et au cours de laquelle a notamment été lancé officiellement le portail informatique Sankoré.
Le projet Sankoré a par la suite pris de l’ampleur. De simple site sur internet, il est devenu un programme cohérent de coopération. En 2010, la Délégation Interministérielle (française) à l’Education Numérique en Afrique (DIENA) a été créée. Elle est dotée d’un budget de 50M€ sur cinq ans placé auprès du ministère des affaires étrangères. Le professeur Albert Claude Benhamou en est le délégué interministériel et il m’est revenu d’en diriger la partie diplomatique, qui consiste notamment à assurer la liaison avec nos ambassades et les gouvernements africains.
Ce programme de coopération est original. Il s’agit de fournir à nos amis africains et selon des modalités qui sont arrêtées en coopération avec eux (la « coopération », pour être efficace – il y a malheureusement trop de programmes qui ne servent à rien, si ce n’est à engraisser quelques entreprises et bureaux d’études -, doit évidemment être un flux dans les deux sens, et, en l’occurrence cette expérience africaine est utile en France même), un système cohérent d’éducation numérique.
Qu’est-ce que l’éducation numérique ? C’est l’enseignement par le professeur (qu’il n’est pas question de remplacer par l’ordinateur) assisté par les moyens numériques. Le matériel est constitué d’un tableau numérique interactif (on fait désormais mieux que les premiers « tableaux », lourds, encombrants et chers, en utilisant des projections sur un simple mur blanc, donc qui ne coûte rien. Ces images virtuelles restent interactives, un stylet lumineux servant de souri), d’un rétroprojecteur et d’un ordinateur. Ce type de matériel, vendu au départ plus de 5000€ en Europe, nous coûte désormais 1000€, et cela, grâce à nos spécifications, avec des appareils résistant à la chaleur, au sable et à la poussière, et économes en énergie (c’est encore le point faible : il faut de l’électricité, mais bientôt le solaire permettra de la produire).
Ce matériel permet de projeter des cours et des illustrations et de travailler sur le produit, qui est ensuite saisi sur ordinateur. Comme le dit Alain Madelin, « je mets l’équivalent du contenu des meilleures bibliothèques du monde sur une clé USB connectée, au fond de la brousse, à un simple netbook ». Tout est dans la clé, aucune connexion internet (rare ou de mauvaise qualité en Afrique) n’est nécessaire.
Certains nous ont dit : « mais vous voulez utiliser en Afrique le luxe couteux des pays développés ». Notre réponse est de montrer que, au contraire, ce système est particulièrement adapté à l’Afrique parce qu’il est simple, économique et fonctionnel. J’ai visité de nombreuses classes d’écoles africaines. Qu’y voit-on ? Plus de cent gamins, plus ou moins bien installés, sans manuels (la plupart du temps), voyant mal un tableau noir sur lequel un malheureux instituteur, mal formé (la moitié des instits sénégalais, pays « nanti » au Sahel, n’ont pas le bac), parlant mal français et s’adressant à des élèves non francophones, est obligé de recopier sur le tableau la leçon du jour (oui, ces profs sont des hussards de la république, comme étaient les nôtres au 19ème siècle). Avec nôtre système, il enseigne efficacement et, même, il apprend lui-même en enseignant. En outre, disposant des meilleures techniques du moment, ce système est valorisant tant pour les enseignants que les élèves et leurs familles.
Plusieurs milliers de « tableaux numériques » ont déjà été fournis en Afrique. A 1000€ par classe de 100 élèves, ce n’est pas cher. Les instits sont très motivés, on l’imagine. Dans les quelques pays, dont le Mali, où le système est opérationnel, les instituteurs volontaires sont formés (quelques heures suffisent pour utiliser cette technique très simple), des installateurs (le matériel tient dans une valise) opèrent sous le contrôle des ministères, mais aussi des services de coopération de nos ambassades. Bref, ça marche, même si ça et là des problèmes inévitables apparaissent.
Quant aux enseignants qui participent au programme Sankoré, ils peuvent s’informer, se procurer gratuitement les cours, les modifier à leur guise et faire profiter leurs collègues de leur expérience grâce à la communauté Sankoré, forte maintenant de plusieurs milliers d’enseignants.
Dans certains pays, les plus démunis, dont le Mali, les ministères de l’éducation nationale (il faut avoir visité l’administration centrale de Bamako, un petit bâtiment délabré, pour comprendre la tache gigantesque qui est celle des responsables sahéliens de l’éducation, qui, avec peu de moyens, représentant pourtant une part significative du budget de l’Etat, doivent scolariser des effectifs qui doublent tous les dix ans du fait de la généralisation de l’éducation – déjà 80% presque partout – mais aussi de l’expansion démographique), sont surtout receveurs de l’action de la DIENA. Dans d’autres, cette action complète des programmes nationaux de haut niveau : j’ai ainsi visité à Alger la cellule numérique du ministère de l’éducation dont le niveau est comparable à ce qu’on fait à Paris ; leur expérience nous est utile). Les Tunisiens, mais aussi les Libyens (mais oui !) avaient aussi un niveau remarquable que les pouvoirs islamistes ou le chaos sont en train de ruiner.
Par cette initiative, c’est symboliquement un lien qui sera tissé entre le passé prestigieux du continent africain et, au-delà des difficultés présentes, son avenir que l’on souhaite meilleur.
Ainsi va le programme Sankoré, modeste mais utile contribution au développement de l’Afrique, qui entend se placer dans la perspective historique de la civilisation d’un continent qui, certes, attend encore beaucoup de nous, mais qui a tant à donner, et a déjà donné, à la civilisation universelle.
Cette civilisation doit être fondée sur l’homme. L’humanisme est intrinsèquement lié à la civilisation. La culture est un facteur essentiel de développement économique parce les peuples ont besoins de racines et de valeurs, indispensables pour mettre la modernité à leur service et non le contraire, ces racines et ces valeurs que jamais les seules « lois » du marché ne pourront leur apporter. La sagesse africaine va retrouver possession de Tombouctou, joyau d’un passé au service du présent. La civilisation chasse la barbarie.
Cet réflexion ne concerne pas seulement le continent noir. Nous avons, en Europe aussi, besoin d’humanisme, de valeurs de partage et de racines sans lesquelles l’arbre du développement se meurt, laissant alors la place à toutes les barbaries, celle du nazisme autrefois, celle de l’islamisme aujourd’hui, mais, aussi, celle de ces « marchés » au nom desquels on asservit les peuples d’Europe.
Contempler Tombouctou, son passé, ses malheurs, c’est réfléchir au destin de l’Humanité et au monde que nous voulons construire.
Yves Barelli, 28 janvier 2013