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9 avril 2018 1 09 /04 /avril /2018 10:52

Les élections générales du 8 avril ont reconduit pour la troisième fois la large majorité qui soutient le chef du gouvernement hongrois. Cette nouvelle victoire, qui était attendue, conforte Viktor Orban dans sa posture de contre-modèle à la politique de l’Union européenne : non catégorique à l’immigration, mais aussi une action qui combine la valorisation de l’identité hongroise et une politique souverainiste interventionniste qui taxe les profits indus des intérêts économiques étrangers (qui s’étaient appropriés, comme ailleurs à l’Est, des pans entiers de l’économie hongroise lors du passage du communisme au capitalisme) et qui renationalise en partie l’économie pour en faire profiter les Hongrois. Cette politique s’oppose presque frontalement à la Commission de Bruxelles et à l’Allemagne qui l’inspire, mais celles-ci n’osent pas contraindre Budapest à rentrer dans le rang car non seulement l’adhésion populaire à Orban est massive, mais, en outre, la Hongrie fait corps avec ses partenaires du groupe de Visegrad (Pologne, Tchéquie, Slovaquie) et rencontre le soutien du nouveau gouvernement autrichien. Il n’est pas inintéressant de comprendre pourquoi les politiques souverainistes réussissent si bien à l’Est (Russie, avec laquelle la Hongrie a des liens amicaux étroits, comprise). Sans doute pourrait-on s’inspirer de recettes qui « marchent » ailleurs en Europe, à commencer par la France.

1/ La participation a été très forte (plusieurs points au-dessus de 2014) avec plus de 70% de votants. Système à un tour combinant élection directe par circonscription et proportionnelle au niveau national.

Le FIDESZ, parti de Viktor Orban, a obtenu 49,5% des voix et 133 sièges (sur les 199 du parlement monocaméral de Budapest, soit plus des deux-tiers des députés, majorité qualifiée requise pour décider, le cas échéant, d’une modification de la constitution), devançant ainsi largement le JOBBIC (nationaliste réputé par nos médias d’extrême-droite), 20% des voix et 34 sièges, et le Parti Socialiste (ex communiste), 12% et 20 sièges, le reste allant à divers partis en majorité de centre-gauche et « pro-européens ».

A quelques petites variations près, les résultats sont identiques à ceux de 2010 et 2014 : l’implantation de Viktor Orban et des idées qu’il incarne est donc devenue structurelle. Une telle constance est remarquable. On note que la forte mobilisation des électeurs n’a pas changé la donne. On remarque aussi qu’il n’y a pas usure du pouvoir. Visiblement, les Hongrois sont d’accord avec la politique menée et ne veulent pas en changer.

Une fois de plus, je veux féliciter l’encyclopédie en ligne wikipédia qui a publié les résultats complets dès qu’ils ont été connus. Je n’ai trouvé un tel professionnalisme dans aucun autre média français ou occidental. Je ne lis malheureusement pas le hongrois, ce qui me prive de sources plus directes.

Ce professionnalisme n’est pas celui de la plupart de nos médias, porte-voix d’un « système » qui a du mal à accepter les résultats électoraux, où que ce soit, quand ils ne leur plaisent pas. La correspondante de France-info à Budapest s’est ainsi crue obligée de faire état d’une « campagne à sens unique » et de « soupçons d’irrégularités » (dans le même temps, les leaders de l’opposition hongroise ont accepté leur défaite ; France-info est plus royaliste que le roi). Sa collègue de Moscou avait eu le même langage lors de la réélection triomphale de Vladimir Poutine. On attend dans le même temps en vain les commentaires de la chaine de service public (payée avec nos impôts) sur les dénis, eux réels, de démocratie au Brésil ou en Catalogne (Poutine et Orban sont « autoritaires » mais, un Rajoy qui envoie sa police pour empêcher les Catalans de voter et une dictature brésilienne qui jette un ancien président populaire en prison pour l’empêcher de se représenter, eux, c’est bien connu, ne font que défendre l’ « état de droit » (en fait, l’état du droit des oppresseurs : cet état, les Hongrois n’en veulent pas et ils ont raison).

Il est toujours intéressant d’affiner les résultats électoraux par région et catégorie socioprofessionnelle. Je n’ai pas ces informations mais, ayant entendu que le parti au pouvoir a fait un véritable « carton plein » dans les campagnes et les petites villes, j’en conclue que Budapest a du voter légèrement moins en faveur du pouvoir : c’est là qu’on trouve les quelques « bobos » anglophones européistes que doit probablement fréquenter la correspondante de France-info.             

2/ Quelques données sur la Hongrie pour mieux comprendre ce petit pays, mais à la grande histoire, d’Europe Centrale : 93 030 km2, 10 millions d’habitants, capitale Budapest (une ville magnifique), PIB de 150 Mds$, IDH de 0,83, soit un assez bon niveau (l’« indice de développement humain » combine niveau de vie, d’éducation et de santé, 1 serait un pays parfait et 0 le néant), industries variées, notamment métallurgie, chimie et construction automobile, bon niveau de la recherche et de l’éducation, société assez égalitaire (plus qu’en Europe occidentale), héritage de près de 50 ans de communisme.

Les Hongrois sont les descendants des migrations post-empire romain des Huns et autres peuples associés. Ils parlent une langue non-indo-européenne (comme les Finlandais et les Estoniens), donc très différente tant de l’allemand que des langues slaves parlées dans les pays voisins. La Hongrie a formé un royaume chrétien en l’an 1000 (Etienne 1er). Domination ottomane aux 16ème et 17ème siècles (ce qui explique peut-être que les Hongrois ne veulent plus revoir de musulmans sur leur sol). Association ensuite à l’Autriche dans le cadre de l’empire des Habsbourg (« Autriche-Hongrie » formalisée en 1847). Traité traumatisant de Trianon de 1920 (les 2/3 du territoire perdu et le tiers des magyarophones). Régime collaborationniste pendant la seconde guerre mondiale. Communisme en 1947, Insurrection (autre traumatisme), contre l’Union soviétique en 1956, politique libérale à partir de 1958 et sortie en douceur du communisme en 1989. Adhésion à l’OTAN en 1999 et à l’UE en 2004. La Hongrie est une démocratie parlementaire ; elle appartient à l’espace Schengen mais pas à la zone euro (monnaie : le forint). La Hongrie est un pays de tradition chrétienne avec 55% de catholiques, 20% de protestants calvinistes et 25% sans religion. Population magyare homogène. La seule minorité notable est celle des Roms (300 000). Il y a 3 millions de Hongrois dans les pays voisins.

3/ Le premier ministre, « homme fort » du pays, Viktar Orban, a 55 ans. Il est originaire du centre de la Hongrie. Ses parents, de classe moyenne, étaient des militants communistes. Orban a étudié le droit à Budapest et passé plusieurs mois à Oxford grâce à une bourse d’étude de la fondation George Soros (milliardaire américain d’origine hongroise qui a fait fortune dans la spéculation boursière, donc sans jamais rien produire, aujourd’hui opposant acharné au « populisme » de Budapest). Orban a dirigé l’opposition au régime communiste vers la fin de celui-ci, ce qui l’a propulsé jeune parmi les leaders de l’après-communisme. Son cheminement politique a été ensuite assez hésitant et erratique (ce qui a été fréquent à l’Est) : d’abord plutôt social-libéral, il s’est ensuite davantage attaché à la valorisation de l’identité hongroise, notamment ses racines chrétiennes (bien que, lui-même calviniste, il ne soit pas spécialement pratiquant) et la valorisation de son histoire nationale.                  

Orban a une première fois dirigé le gouvernement entre 1998 et 2002 (battu ensuite par les ex-communistes qui, convertis au « libéralisme » européiste, ont trahi les valeurs qu’ils étaient sensés incarner), puis à nouveau en 2010 (raz-de-marée électoral avec 52% des voix et plus des deux-tiers des députés, ce qui lui a permis de faire voter en 2011 une nouvelle constitution qui fait référence dans son préambule aux « racines chrétiennes » de la Hongrie, à son « histoire millénaire », mentionne le mariage « entre un homme et une femme », le droit à la vie « dès la conception » et l’accès à la citoyenneté hongroise pour les 3 millions des Magyars des pays frontaliers. A nouveau chef du gouvernement en 2014, avec une  majorité similaire des deux-tiers, reconduite, comme vu plus haut, aujourd’hui.

4/ Comment s’expliquent ces victoires répétées de Viktor Orban et la persistance du soutien populaire à son gouvernement ?               

Essentiellement pour trois raisons :

a/ Une vigoureuse et constante politique de refus de l’immigration, en particulier musulmane (pour Orban, « les musulmans sont un danger pour la civilisation européenne »). C’est l’aspect le plus connu parce que le plus spectaculaire de sa politique. En 2015, lors de la grande vague migratoire incontrôlée vers l’Allemagne à travers les Balkans en provenance de Turquie (vague organisée par les mafias de passeurs avec, hélas, la complicité de nombreuses ONG, y compris la Croix Rouge), le gouvernement hongrois n’a pas hésité à prendre quelques dispositions législatives ou règlementaires, érigeant notamment en délit passible de prison le franchissement illégal de la frontière. En quelques mois, les Hongrois ont rendu hermétique la frontière avec la Serbie et la Croatie en construisant une clôture de barbelés. Malgré les protestations et les mises en demeure de l’Union européenne, la Hongrie a persisté. Résultat : un succès total, les migrants illégaux ne se risquent plus désormais à entrer en Hongrie et les Hongrois ont la tranquillité. Pas nous, à Calais et ailleurs.

Dans cette affaire, la Hongrie n’a pas été isolée. Les quatre pays du « groupe de Visegrad » ont agi de concert en refusant collectivement de répondre aux injonctions de l’UE d’accueillir des quotas de migrants. Le groupe de Visegrad, du nom d’une jolie petite ville de Hongrie aux maisons colorées sur le Danube qui en fut la première capitale, est une coopération informelle initiée en 1991 par les quatre Etats d’Europe centrale ex communistes (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie) qui a perduré même après leur entrée dans l’UE. Symboliquement, cette coopération a un antécédent historique : la signature en 1335 à Visegrad d’un pacte entre les rois de Pologne, de Bohème et de Hongrie. Il faut toujours avoir l’histoire présente à l’esprit pour comprendre les pays et les peuples. Nos journalistes devraient prendre des cours.

b/ Une politique économique et sociale originale. C’est moins connu mais fort intéressant. Un commentateur l’a résumée ainsi : « Economiquement à gauche, culturellement à droite », ajoutant « Poutine en moins violent, Berlusconi en moins capitaliste ». Si ce n’est que je ne qualifie pas moi-même Poutine de « violent », pour le reste, elle me parait assez bien refléter la réalité (encore qu’on puisse se sentir de gauche en étant patriote et attaché à l’identité de son pays).

Orban a pris quelques mesures « libérales », comme un taux d’imposition sur le revenu fixé à 16% pour tous (dans ce pays où les PDG n’ont pas les salaires indécents de chez nous, c’est moins choquant).

Mais, en contrepoint, l’Etat se veut interventionniste. Il taxe notamment fortement les activités des entreprises étrangères lorsqu’elles ne vont pas dans l’intérêt national. Cela est populaire car ces entreprises ont profité des privatisations hâtives (sur les conseils, et même les injonctions, des Etats-Unis, de l’UE et du FMI) pour s’approprier à bon compte des pans entiers du patrimoine national (à titre d’exemple, le vignoble du « Tokay », fierté des Hongrois, est passé en partie, pour ses crus les plus rentables, aux mains des Français). Le gouvernement hongrois a, en outre, obligé les fournisseurs étrangers d’électricité et de téléphone, à baisser leurs tarifs, jugés excessifs. Par ailleurs, on a recréé des entreprises nationales qui avaient disparu lors du passage au capitalisme (un exemple parmi d’autres : les chèques restaurants avaient été accaparés par une entreprise française : on a créé une  entreprise nationale en lui conférant un monopole et on a écarté l’étrangère). Dans le secteur bancaire, on a fortement taxé les établissements à capitaux étrangers, de sorte que leur valeur boursière a sensiblement baissé, ce qui a permis de les nationaliser à bon compte. L’UE a crié à la spoliation, mais la véritable spoliation, c’était les privatisations-bidon de l’ère post-communiste (Poutine a fait la même chose en Russie). La Hongrie a repris ainsi le contrôle de plus de 50% du secteur bancaire. Autre pratique : dans les appels d’offre, les entreprises hongroises sont systématiquement avantagées, malgré les directives européennes.

Le chômage a drastiquement diminué (4% aujourd’hui) grâce à l’obligation faite aux chômeurs d’effectuer des travaux d’intérêt général (entretien des infrastructures, accompagnement des personnes âgées et des handicapées) payées à un niveau légèrement supérieur aux indemnités de chômage qu’ils touchaient auparavant. Cette mesure est fort populaire et la plupart des chômeurs, semble-t-il, n’y trouvent rien à redire : ils ont enfin l’impression d’être utiles à la société.

c/ Un « dialogue » musclé permanent avec l’Union européenne. Il montre que, même un petit pays peut sortir vainqueur d’un tel « dialogue ». Certains parlent de chantage. Peut-être. En tout cas un chantage utile au pays et à son peuple.

La Hongrie reçoit des « fonds structurels » européens importants. Ils assurent de l’ordre de 80% des investissements publics (routes, etc). La manière dont ils sont utilisés est très critiquée par la Commission (favoritisme, etc). D’une façon générale, l’UE a envisagé plusieurs fois de mettre à exécution ses menaces de rétorsion, telle la suspension du droit de vote dans les conseils européens. Les griefs sont nombreux (atteinte à l’état de droit, non-respect des règles de concurrence, détournements de fonds européens, en plus du refus de recevoir des immigrants illégaux).

Ces menaces n’ont jamais été suivies d’effets. Pourquoi? Il faudrait l’unanimité pour les appliquer. Les Polonais et les autres de Visegrad s’y opposeraient.

Mais ce n’est pas déterminant. La principale raison, je crois, est que l’application de mesures de rétorsion à l’encontre de Budapest, notamment la suppression des fonds structurels, risquerait d’être très préjudiciable à l’économie hongroise. Un effondrement hongrois pénaliserait directement les entreprises étrangères présentes en Hongrois et risquerait surtout d’avoir des effets domino sur l’économie allemande et, plus encore, car plus présente et plus petite, sur l’économie autrichienne. D’où la bienveillance de Berlin et de Vienne pour la Hongrie en dépit de menaces non crédibles. En outre, le nouveau gouvernement autrichien, « populiste » lui aussi, éprouve encore plus de sympathie envers ce pays frère de l’ex empire des Habsbourg (les deux pays ont, depuis la fin du communisme, et même avant, une coopération très étroite ; à titre d’exemple, ils ont plusieurs ambassades communes, facilitées par la connaissance presque générale de l’allemand chez les Hongrois. Autre exemple concret : plusieurs villes frontalières hongroises se sont spécialisées dans les soins médicaux et dentaires pour les Autrichiens).

Ainsi la Hongrie, cet « enfant terrible» de l’Europe, arrive à faire quasiment ce qu’elle veut dans cette Europe qui n’en peut mais. Elle se permet même le luxe d’avoir les meilleures relations avec Poutine, elle vient de commander à la Russie une centrale nucléaire pour 12 milliards de dollars (probablement en partie financée par l’Europe !) et elle refuse d’appliquer les sanctions européennes contre la Russie.                                   

 Résultat global : pas trop mauvais, semble-t-il. (Je veux faire preuve ici d’humilité : je connais assez bien la Hongrie pour y être allé souvent mais je n’y ai, aujourd’hui, aucun contact direct, indispensable pour apprécier de l’intérieur une situation. En outre, je ne parle pas hongrois, langue hermétique et les études disponibles à l’étranger sur le pays sont assez rares, et souvent biaisés par les préjugés idéologiques. Je ne prétends donc pas écrire sur la Hongrie avec la même expertise que je puis le faire pour les pays qui l’entourent que je connais en profondeur et dont je parle les langues).  Sur le papier, en tout cas, cela semble positif : croissance de 4% l’an et faible chômage. Les résultats électoraux confirment cette perception positive. Seul bémol : le forint a fortement baissé, ce qui est sans doute bon pour l’emploi en Hongrie, mais ce qui pénalise les voyages des Hongrois à l’étranger.

5/ En guise de conclusion : l’Union européenne est un carcan nuisible. Mais, si on le veut, on peut échapper à ses diktats. Si la petite Hongrie le fait, la France ne le pourrait-elle pas ? Oui, bien sûr. A condition de le vouloir. Ce n’est pas la tendance avec Macron.

A tout le moins, pourrait-on appliquer quelques bonnes idées, comme le travail des chômeurs. Deux ou trois départements français en ont eu la velléité il y a deux ans pour ceux qui reçoivent le RMI. Le Conseil d’Etat a estimé la mesure illégale car attentatoire à la liberté ! Mais une loi pourrait peut-être le rendre obligatoire. Et si le Conseil d’Etat ou le Conseil Constitutionnel persistaient à l’estimer contraire à la Constitution, c’est que notre pays aurait le goût du suicide. Alors, pour ceux qui ne veulent pas mourir, il resterait la solution de s’installer à Budapest ou à Moscou !

En attendant, laissez-moi me réjouir, avec l’élection hongroise, de cette nouvelle victoire « populiste ». Elle en laisse espérer d’autres. Les peuples ne sont pas nécessairement condamnés au déclin et à la démission./.

Yves Barelli, 8 avril 2018      

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