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9 août 2018 4 09 /08 /août /2018 11:45

Si ce n’était les voitures qui sillonnent les larges artères de sa capitale, Bandar Seri Begawan, on pourrait penser que le temps s’est arrêté dans ce minuscule émirat situé sur la côte septentrionale de l’île de Bornéo, en Asie insulaire du sud-est.

 

Le sultanat de Brunei, de son nom complet « Brunei Darussalam », dont le second terme signifie en malais, qui, en l’occurrence, a emprunté à l’arabe, « porte de la paix », est un Etat de 5 765 km2 (la taille du département des Bouches-du-Rhône, ou encore celle du Monténégro, l’un des plus petits pays européens - mais beaucoup plus varié que le Brunei) sur lequel vivent près de 400 000 personnes, dont les trois-quarts dans sa capitale.

 

Le temps s’est arrêté au Brunei au 16ème siècle

 

Le temps s’est arrêté au Brunei au 16ème siècle, apogée de ce petit pays né vers le 10ème siècle. Le sultanat, qui venait, comme le reste de l’archipel malais, d’être islamisé, était une contrée prospère qui vivait du trafic maritime avec l’ensemble de l’archipel malais, mais aussi avec des contrées aussi lointaines que l’Inde et la Chine. Son autorité s’étendait sur des territoires bien plus vastes que maintenant. Elle rayonnait sur le nord de Bornéo (Etats de Sarawak et de Sabah de l’actuelle fédération de Malaisie), mais aussi sur le sud des Philippines. Il s’agissait alors de l’une des principales principautés maritimes qui se partageaient le commerce de la région.

 

Cette importance est attestée par le fait que les Portugais, lorsqu’ils arrivèrent dans la région, au début du 16ème siècle, donnèrent à l’ensemble de l’immense île de Bornéo le nom de ce pays alors royaume. Bornéo est en effet une déformation du mot « Brunei ». Ce terme vient lui-même du sanscrit « varunai », ou « barunai », « les gens de la mer ».

 

Le temps n’était plus en ce début de l’expansion européenne aux Etats souverains locaux. Les Portugais, pionniers en matière de « grandes découvertes », puis les Espagnols (qui colonisèrent les Philippines), suivis des Hollandais (qui seront maîtres de la future Indonésie) et enfin les Anglais, présents dans la région, comme dans le monde entier, commencèrent à asseoir leur souveraineté sur des terres qui jusque-là étaient restées indépendantes et même avaient constitué, comme le Brunei, des Etats forts.

 

Le protectorat britannique

 

Etant lui-même tombé en léthargie sans même que les puissances occidentales aient à intervenir, car il ne les intéressait plus, le Brunei perdit une à une ses possessions. La fin du 19ème siècle vit l’aboutissement du processus. Les Anglais avaient en effet déjà colonisé le Sarawak et le Sabah, qui bordent le sultanat de part et d’autre de sa côte, mais aussi en son intérieur. Il ne restait plus que le Brunei, sur lequel ils établirent finalement un protectorat en 1888. Deux ans plus tard, sans doute pour mieux contrôler le sultan, ils lui imposèrent la cession au Sarawak de la bande de Limbang qui s’enfonce comme un coin jusqu’à la mer entre les deux parties actuelles de Brunei.  

 

Les Anglais ont toujours été pragmatiques dans la gestion de leurs territoires d’outre-mer. Ils ne cherchaient pas à en assimiler les habitants et, se réservant le commerce et le contrôle territorial, ils laissaient en général les pouvoirs politiques locaux continuer à gouverner à leur guise, comme ils l’avaient fait avant de passer sous leur contrôle. C’est ce qui se passa avec le Brunei. Le monarque absolu de droit divin continua à avoir tous les droits sur ses sujets. Les Anglais n’interféraient pas dans ses affaires.

 

Un émirat pétrolier

 

Le sultanat végéta jusqu’au début du 20ème siècle. On découvrit en 1906 du pétrole. Il sera exploité à partir de 1929 au profit partagé des Britanniques et de la famille royale. Le pétrole constitue encore aujourd’hui la ressource quasi unique du pays.

 

Le peuple n’en reçoit que des miettes, de sorte que l’opposition gagna les premières (et dernières) élections libres organisées en 1962. Mais le sultan refusa de nommer un premier ministre issu de la majorité parlementaire et de violentes émeutes s’ensuivirent, encouragées par l’Indonésie voisine alors à la tête du mouvement tiers-mondiste. L’armée britannique réprima violemment la rébellion. Depuis cette date, le sultan gouverne, seul, par décrets. La constitution reste suspendue. La démocratie n’a jamais été rétablie.

 

Le sultan actuel, Hassanal Bolkiah, monte sur le trône en 1968 après l’abdication de son vieux père passablement déconsidéré. C’est un homme éclairé qui a fait ses études en Angleterre. Il modernise le pays et, à l’image des émirats pétroliers du Golfe, comprend qu’il est judicieux de donner à son peuple une part un peu plus élevée des revenus considérables tirés du pétrole. Il établit ce qui est la situation actuelle : pas de démocratie, mais un niveau de vie élevé du fait de la « générosité » du monarque. Du berceau à la tombe, ses sujets sont bien traités, dans la mesure où ils ne contestent pas son pouvoir. Ils ont droit à l’éducation et aux soins médicaux gratuits. De plus, l’achat de voitures et de logements est subventionné et le système de retraites est en partie financé par l’Etat. 

 

Lorsque le sultan prend en charge le destin du pays, les temps sont désormais à la décolonisation. Mais le sultan n’est pas pressé. La situation de protectorat est la plus confortable pour lui.

 

Les Britanniques, qui avaient accordé une large autonomie à chacun de leurs territoires malais, les encouragent à se grouper pour former une fédération ayant pour vocation d’accéder à la souveraineté internationale. Ces territoires sont, outre le Brunei, le Sarawak, le Sabah, la Malaisie proprement dite et Singapour. Les trois premiers sont sur l’île de Bornéo, les deux autres sur la péninsule malaise et son prolongement, l’île de Singapour. Il n’y a pas continuité territoriale. C’est un premier problème. Le second est plus difficile à résoudre, celui de la cohabitation entre Malais et Chinois. A Singapour, les Chinois sont 80% de la population, à Bornéo, les Malais sont très majoritaires tandis que la Malaisie péninsulaire a autant de Malais que de Chinois. La cohabitation a toujours été difficile et les affrontements intercommunautaires fréquents. Une fédération politiquement dominée par les Malais, mais où les Chinois sont maîtres de l’économie, est finalement créée en 1963. Brunei, qui ne veut pas partager les problèmes du nouvel Etat, n’y adhère pas. Deux ans après, Singapour quitte la fédération, presque poussé dehors par la majorité malaise, désormais maîtresse du pays où les Chinois deviennent une minorité. La Malaisie devient une fédération musulmane bien que les Chinois ne le soient pas.

 

L’indépendance et le renforcement du caractère islamique du sultanat

 

Le protectorat britannique sur le Brunei va alors encore durer presque vingt ans. C’est seulement en 1984 que le sultanat accède à la pleine souveraineté internationale.

 

Sentant monter dans la société le fondamentalisme musulman, le sultan accompagne le mouvement. Il promeut une idéologie officielle, enseignée dans les écoles, le « Melayu Islam Beraja » qui associe dans une même exaltation nationaliste la culture malaise, l’islam et la monarchie.

 

En 1991, la charia est adoptée et introduite dans le code pénal, même si, de fait, les châtiments corporels ne sont pas appliqués. L’alcool est interdit et même, officiellement, la vente des cigarettes, qui l’on trouve toutefois, non dans le commerce, mais dans un système de contrebande presque officiellement organisée (c’est aussi le cas pour l’alcool, mais de manière plus cachée). Les tenues vestimentaires, notamment pour les femmes, sont rendues obligatoires, même si l’application en est assez souple (un voile léger suffit).

 

La situation s’est détériorée à la fin des années 1990, notamment après les extravagances du frère du sultan qui a dilapidé une bonne part du trésor public en multipliant les dépenses inutiles et coûteuses, telles cet immense et luxueux parlement qui ne sert à rien…parce qu’il n’y a pas d’élections. Concordant avec une baisse passagère des revenus pétroliers, chômage et mécontentement apparurent.

 

Quelques réformes très limitées

 

Quelques réformettes s’ensuivirent. Ainsi le Conseil Législatif, qui tient lieu de mini-parlement, devrait passer des 29 membres actuels, tous appartenant à la famille royale, à 45, dont 15 élus. Mais on se garde bien de dire quand. Pour l’heure, il n’y a toujours rien de changé et le bâtiment du parlement, comme d’ailleurs, quelques autres réalisations aussi inutiles, restera vide.

 

Parmi les réalisations de prestige figurent les nombreuses mosquées construites un peu partout. La principale est la mosquée Omar Ali Saifuddien qui porte le nom du 28ème sultan du Brunei. Elle a été construite en 1958. Son minaret, haut de 44 mètres, en fait l’édifice le plus élevé de la capitale... et le restera car il est interdit d’en construire un plus haut. Une banque, qui s’y était risquée, probablement involontairement, a dû détruire son dernier étage sur ordre du sultan. Le dôme de la mosquée, visible de partout, est recouvert d’or, le marbre vient d’Italie, les vitraux d’Angleterre et les tapis du Moyen Orient.          

 

La langue officielle du Brunei est le malais, écrit en caractère latins. La langue locale du Brunei, le jawi, écrite en caractères arabes, a un statut officieux, de même que l’anglais, principal vecteur de communication dans les affaires et pour tous les contacts avec les étrangers. Presque tous les habitants de Brunei, bien scolarisés, sont à l’aise dans la langue de Shakespeare. Le monnaie est le dollar du Brunei (1US$=1,25BR$)

 

La capitale Bandar Seri Begawan

 

Bandar Seri Begawan, la capitale du Brunei, est une ville de 300 000 habitants qui concentre la quasi-totalité de l’activité du pays.

 

Ce nom un peu compliqué (mais les noms à rallonge des membres de la famille royale - rares parmi les gens qui comptent ne sont pas apparentés, de près ou de loin, au sultan ; ici la consanguinité est fréquente – sont encore plus compliqués).

 

Le terme a une signification. Bandar signifie « ville » en malais. C’est un mot d’origine persane qui désigne plutôt un port dans sa version originale. Ici, pas de problème, la ville est aussi un port. Seri et Begawan sont d’origine sanskrite, ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on connait l’influence qu’eut l’Inde au moyen-âge sur la région ; le sanskrit y était alors la langue de culture et de communication. Seri est une déformation de « sri », terme honorifique en Inde au départ réservé aux dieux, étendu ensuite aux hommes. Begawan est une déformation de « bhagavan » qui signifie « dieu », en sanskrit aussi. On peut donc traduire Bandar Seri Begawan par « la ville bénie ».

 

Le site de Bandar Seri Begawan est intéressant. La ville est bâtie au fond d’un large estuaire avec d’un côté une cité lacustre (voir infra) et de l’autre la ville moderne. Des quartiers résidentiels s’étirent sur plusieurs kilomètres le long de la mer. La ville est assez plate dans le centre, plus vallonnée sur les faubourgs et le long de la côte, découpée à cet endroit.         

 

On arrive dans la ville par l’aéroport international, peu fréquenté mais ultra moderne (on peut également venir au Brunei en voiture depuis les Etats malais voisins du Sarawak et du Sabah). Il n’est situé qu’à six kilomètres du centre-ville avec une large autoroute. Signe du coût élevé de la vie, les taxis prennent 25$ pour effectuer cette courte course.

 

Les artères du centre sont en rapport. Larges et aérées. Le trafic automobile est relativement important. Sur les trottoirs, on ne voit personne, sauf dans les quelques rues de l’hyper-centre. Ici, on ne marche pas. Aller en voiture, notamment vers les grands centres commerciaux climatisés est le seul passe-temps des habitants. Cela rappelle Doha, Manama ou Dubaï, mais en bien plus petit et plus tranquille.

 

Le centre-ville proprement dit est un carré de quelques centaines de mètres avec deux rues commerçantes dans chaque sens. On y trouve quelques restaurants et des petites boutiques qui rappellent les petits bazars tenus par des immigrés qui fleurissent maintenant dans la plupart des villes européennes. Ici aussi, ce sont les minorités d’origine étrangère, notamment indienne ou indonésienne, qui les tiennent. Bas de gamme surtout (les produits de luxe sont dans les centres commerciaux de la périphérie). Pas de prix affichés.

 

La Venise malaise

 

Ces rues du centre sont tout aussi modernes que les faubourgs. Peu d’animation, aucun édifice traditionnel. En fait pas grand-chose à y faire. Le « vrai » Bandar ne se trouve pas là. Traditionnellement, aussi longtemps que l’on remonte dans la mémoire des habitants du sultanat, la cité était lacustre.

 

Lorsqu’on longe le quai qui borde les rues du centre, on se trouve au bord du fleuve. Il est large d’environ un kilomètre. De l’autre côté, des milliers de maisons sur pilotis sont alignées le long de pontons. Elles sont desservies par un réseau de canaux, ce qui a fait surnommer Bandar la « Venise malaise ». Ceux qui y vivent ont des bateaux. Les autres peuvent visiter cette cité par bateaux taxis. Il s’agit là de l’une des plus grandes villes de ce type au monde. C’est la principale attraction touristique (touristes peu nombreux, au demeurant).

 

La mosquée Omar Ali Saiffudien, évoquée plus haut, est à 200 mètres du centre de la ville.

 

 

Une ville où on s’ennuie

 

D’ailleurs, dans cette ville, on n’est jamais loin de quoi que ce soit. Pour les locaux, on n’est jamais à plus de quelques minutes de voiture. Pour l’étranger de passage, c’est plus compliqué. Les taxis ne sont pas très nombreux (il vaut mieux les commander par téléphone) et sont chers. Il n’y a quasiment pas de transport public. Quant à la marche, même sur un kilomètre, c’est du sport parce que les artères sont difficiles à traverser et que, sous la chaleur moite qui règne sous le soleil équatorial, on transpire rapidement beaucoup. On peut aussi se mouiller car il pleut presque tous les jours, en général le soir. Aussi, le spectacle d’un piéton traversant la ville est-il incongru.       

 

Dans cette ville hors du temps, le visiteur, s’ennuie rapidement. Une à deux heures suffit pour visiter le peu qu’il y a à voir dans le centre. Une promenade en bateau dans la cité lacustre s’avère un peu plus exaltante.

 

Comme Singapour, la grande ville-Etat voisine, l’émirat a une batterie impressionnante d’obligations et d’interdictions qui sont rappelées en permanence sur de grands panneaux. On ne plaisante pas avec la propreté au Brunei (d’ailleurs, on ne plaisante avec rien !) : Première infraction 1000$ d’amende, en cas de récidive 3000$ + jusqu’à trois mois de prison. Voici une mesure qu’on pourrait peut-être étudier en France, non ?  Nos rues et nos trottoirs s’en porteraient mieux.

 

Dans les environs, il n’y a pas grand-chose de plus à faire. Un petit parc national, auquel il faut se rendre en bateau car il est situé dans la deuxième partie du sultanat, donne une idée de la forêt équatoriale. Mais les forêts équatoriales ne sont pas les plus intéressantes. Les animaux sont nombreux mais cachés de sorte qu’on ne les voit jamais. Les seuls « animaux » que l’on côtoie, ce sont les moustiques. De plus la chaleur humide est pénible et il y pleut presque tous les jours.

 

Définitivement, ce pays n’est pas un pays touristique. Aucune animation. Une charia qui ne pousse pas à s’amuser. Un climat qui n’est pas favorable. Bref, on s’ennuie au Brunei et les locaux ne sont pas les derniers à s’ennuyer.

 

La jeunesse n’est pas pauvre, mais elle a peu de distractions. Pas étonnant si une partie d’entre elle s’adonne à la drogue. Il n’y a pas de délinquance dans ce pays et donc peu de raisons d’arrêter les gens. Presque tous ceux qui sont incarcérés le sont pour trafic de drogue. Quant aux mœurs, il vaut mieux être respectueux des traditions. Peu y dérogent, tant la pression familiale et de la société est forte. En fait, le Brunei est une prison. Une prison dorée, mais une prison dont on peut certes s’échapper en émigrant. Mais alors, on perd les avantages matériels réservés aux sujets de sa Majesté restés au pays. Peu le font.             

 

Oui, ce pays est hors du temps !

 

Yves Barelli, 25 novembre 2013, mis en ligne le 9 août 2018

 

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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 18:35

 

En cette période estivale, pour vous changer un peu de la politique, je vous propose des récits de voyage un peu insolites. Voici le troisième.

[Cette traversée de la « Vallée de la mort » a été effectuée en août 2009 dans le cadre d’un long périple (près de 10 000km) dans l’Ouest des Etats-Unis. L’étape du jour démarre à Las Vegas]

Départ à 8h25. Longue sortie de Las Vegas, ville très étendue. Ensuite, l’autoroute s’enfonce dans le désert que l’on ne quittera plus jusqu’à ce soir.

 Sitôt sortis de Las Vegas, le désert

La large route à deux chaussées qui va vers Reno est peu fréquentée. Elle traverse un plateau à une altitude qui dépasse par endroits 1000m (Las Vegas est à 600m).  De part et d’autre, le sol est formé de terres, de rocailles et est couvert d’une maigre végétation formée d’épineux rabougris, de piquants et, par endroits, d’arbres de Josuah et d’autres cactées. L’arbre de Josuah, le plus typique dans cette partie de l’Ouest, peut atteindre deux mètres de haut avec un grand tronc et quelques branches couronnées de longues et étroites feuilles.

En toile de fond, les montagnes sont visibles dans toutes les directions. Elles ne sont pas très hautes, ce n’est que plus tard, après la Vallée de la Mort, que nous nous approcherons de la haute montagne.

Quelques hameaux ou, plutôt, car hameau, c’est beaucoup dire, quelques maisons isolées ou à deux ou trois. Aucune culture, aucun élevage visible. Sans doute quelques troupeaux de bovins, mais probablement très peu. C’est véritablement le désert.

Au milieu de ce désert, sur la gauche, nous voyons un centre pénitencier. Le respect des droits de l’homme n’est pas le fort de la première puissance mondiale. Cette prison a tout du goulag. Aucune végétation, rien que des murs et la chaleur omniprésente en été et sans doute le froid en hiver. Un écriteau indique au bord de la route que, en cette zone pénitentiaire, il est interdit de prendre des auto-stoppeurs. Des fois qu’un prisonnier s’évaderait, il ne faudrait surtout pas l’aider à s’enfuir !

Quatre-vingt-dix kilomètres après Las Vegas, nous quittons la route principale pour nous diriger vers la Vallée de la Mort. Nous entrons par la même occasion en Californie.

La Vallée de la Mort, une dépression désertique aux températures estivales dignes d’une fournaise

La Vallée de la Mort est une dépression qui descend au-dessous du niveau de la mer entre deux hautes montagnes Cette dépression a été autrefois occupée par un lac salé qui a disparu il y a environ 2000 ans. A sa place, subsistent d’immenses dépôts de sel.

Les pionniers qui se rendaient au 19ème siècle en Californie passaient parfois par cette zone inhospitalière. Ceux qui avaient échappé aux Indiens et aux « desperados » risquaient de terminer leurs jours vaincus par la soif ou l’épuisement. C’est pourquoi on appelle ce lieu la « Vallée de la mort ».

Peu de zones sont aussi inhospitalières au monde. Il n’y tombe que quelques millimètres d’eau chaque année et en été la chaleur est épouvantable. Le record du monde de chaleur a été établi au centre du parc, à « Furnace Creek » en 1913 avec 57° sous abris. En temps « normal », l’été, il est fréquent d’avoir entre 45 et 50°. Aujourd’hui, il fait nettement moins chaud avec « seulement » 86°F (soit 31°C) lorsque nous nous arrêterons au « Visitor Center » (centre d’information et, en fait, lieu de vie d’un parc national américain) de Furnace Creek vers midi. Nous bénéficions en quelque sorte d’une vague de froid.

Aujourd’hui, une « vague de froid » à seulement 31°C

Avant de parvenir en ce lieu d’enfer, la route, qui culminait sur le plateau à 1000m, descend brusquement vers la vallée. D’un promontoire, appelé Zabriskie Point, rendu célèbre par un film, on embrasse du regard la vallée. Au fond, la vaste étendue blanche de sel. Autour, des roches aux couleurs diverses, allant du blanc à l’ocre et au jaune. Au fond, les montagnes. Un autre promontoire s’appelle le « Dante View ». La vue est effectivement dantesque. On imagine les pensées qui devaient assaillir les pionniers qui se risquaient là. Nombre d’entre eux pensaient qu’ils étaient victimes d’une sorte de châtiment divin.

On perd rapidement de l’altitude et bientôt un panneau signale que nous passons en dessous du niveau de la mer. Nous n’irons pas au point le plus bas, record des Etats-Unis à moins 82 mètres, et nous contentons de quelques mètres négatifs.

On passe devant un ranch dont l’entrée est marquée par des wagonnets qui servaient aux mineurs qui exploitaient le « borax », variété de sel la plus prestigieuse.

Quelques kilomètres plus loin, voici le Visitor Center.

Furnace Creek : un « visitor center » et pas grand-chose d’autre 

Comme dans tous les parcs nationaux américains, le Visitor center de Furnace Creek est un centre de vie et une mine d’informations. J’y achète le pass annuel valable pour tous les parcs des Etats-Unis. Il coûte 80$ et permet autant d’entrées que l’on veut pour la voiture (on peut changer de voiture, aucun numéro n’est mentionné) et tous ses occupants. Je félicite le « ranger » pour la qualité et l’organisation de ces parcs, une merveille comme seule l’Amérique sait en faire.

Il faut le dire, ce qui, évidemment n’exonère pas ce pays des horreurs dont il a également le secret. Je le dis souvent et je le répète : les Etats-Unis, c’est soit le pire, soit le meilleur. C’est rarement entre les deux. Ce pays est tout sauf banal. Le pire, c’est évidemment l’extrême pauvreté qui côtoie l’insolente richesse, l’éducation et la santé à deux vitesses, celle des riches et celle des pauvres, l’état lamentable des services publics, la peine de mort et le traitement inhumain des prisonniers. Le meilleur, c’est tout ce que l’Amérique a apporté au monde depuis deux siècles, des premières en tous genres, de la conquête de la lune à la Silicon Valley. Le meilleur, c’est aussi, la courtoisie des gens, piétons ou automobilistes, qui contraste avec ce que nous connaissons en France. C’est enfin les musées gratuits de Washington et ces parcs nationaux.

Le Visitor Center de la Vallée de la Mort est assez petit, à l’échelle de ce parc, certes très vaste mais qui reçoit moins de visiteurs que beaucoup d’autres et surtout pour moins longtemps car compte tenu des conditions climatiques on ne fait qu’y passer. On y trouve une librairie et la vente de souvenirs. Il y a surtout une belle exposition sur l’histoire, la faune et la flore de la vallée. Enfin, comme dans tous les parcs nationaux, il y a une salle de projection climatisée où on passe non-stop des photos et des films qui présentent la vallée.

Les montagnes des confins californiens

Après une halte d’une heure, nous repartons et repassons la ligne du niveau de la mer. La route grimpe rapidement jusqu’à un col à 1500 mètres, puis redescend à 500m dans une dépression moins basse que la vallée de la mort mais un peu sur le même modèle avec son fond portant des couches de sel. On s’élève à nouveau à 1500m par une route creusée tantôt dans des canyons, tantôt dans la paroi de la montagne. Les roches qui affleurent passent par toutes les teintes ou presque. Le rouge, le jaune et le blanc dominent. Parfois, la roche est noire comme au Monténégro.

Après ce deuxième col, on redescend un peu et la route va rester assez longtemps au niveau de 1000 mètres ou à peu près. Cette fois, la montagne que nous avons en face a une toute autre dimension que les précédentes. Il s’agit de la Sierra Nevada. Ses sommets, comme son nom espagnol l’indique, sont enneigés (en cette saison avec seulement quelques névés d’altitude). Ils atteignent 4400 mètres.

 Alors que nous suivons cette route peu fréquentée, un vacarme assourdissant nous fait soudain tressaillir. Un chasseur de l’armée de l’air fait du rase motte et nous survole à quelques centaines de mètres. Il va tourner un peu plus loin avant la montagne. Il est suivi immédiatement après par un deuxième avion, à la même altitude et dans le même vacarme. C’est impressionnant. Cela nous rappelle que l’Amérique est la plus grande puissance militaire au monde. Le pays, l’ouest en particulier, est parsemé de bases militaires. C’est d’ailleurs dans le Nevada que furent expérimentées les bombes A et les bombes H. 

Nous sortons du parc national de la Vallée de la Mort. A Olancha, on rejoint la route qui descend de Reno en direction de Los Angeles. Elle est un peu plus fréquentée, notamment par de gros camions. Mais nous sommes toujours dans le désert. Aucune culture, quasiment aucune habitation. Seulement des buissons, des épines et des arbres de Josuah.

Mojave, petite localité au milieu des steppes

Nous conserverons ce paysage jusqu’à Mojave, petite ville de quelques milliers d’habitants, qui a donné son nom au désert qui s’étend sur la route directe de Los Angeles à Las Vegas. Rien à voir dans cette localité typique de l’Amérique profonde avec cette ville qui ne ressemble pas à une ville mais plutôt à ces banlieues commerciales qui enlaidissent nos agglomérations françaises : postes à essence, Mc Do, magasins et entrepôts de toutes sortes. Dans ces villes, souvent on traverse le centre sans le voir tout simplement parce qu’il n’y a pas vraiment de centre mais simple juxtaposition de bâtiments épars qui semblent avoir été jetés là par hasard.

L’un de ces bâtiments est le motel 6 où nous passerons la nuit. Un autre, le Mc Do où nous dînerons sans nous attarder tant nous sommes transis par le froid. La température est de 22°C. Ce n’est pas le pôle nord. Mais le vent est très fort, une sorte de mistral en pire. Il souffle souvent ici. Il n’encourage pas à flâner. Il n’y a d’ailleurs personne dans les rues, si on peut appeler ces successions de bâtiments des rues./.

Yves Barelli, 8 août 2009, mis en ligne le 8 août 2018                 

 

 

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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 18:18

 

En cette période estivale, pour vous changer un peu de la politique, je vous propose des récits de voyage un peu insolites. Voici le second.

[Je viens de prendre mes fonctions de consul général de France à Pondichéry, Madras et  Inde du Sud. Pays fascinant mais compliqué. L’un de mes principaux collaborateurs indiens, un garçon très intelligent et cultivé, va m’initier à la civilisation indienne. Appartenant à la classe supérieure des Brahmanes, il est le mieux placé pour le faire. Grâce à lui, je serai notamment associé à des lieux et à des cérémonies hindoues dont, normalement, les non-Indiens sont écartés. Premier dimanche sur place, il m’emmène à l’extérieur de Pondichéry, pour visiter, entre autre, un temple. Je tiens un journal quotidien : en voici deux extraits]       

 

Dimanche 7 juillet 2002 (visite d’un temple hindou)

 

Je ne me suis pas levé trop tôt ce matin (9h). Comme tous les jours, mon petit déjeuner est servi par mon maître d’hôtel. Je n’ai rien demandé en arrivant s’agissant des week-ends. La pratique est que le personnel de la résidence travaille comme les autres jours. En compensation, ils sont en congés quand le chef de poste est absent (J’ai rapidement mis fin à cette pratique en demandant simplement qu’on me laisse de la nourriture pour la fin de semaine : j’estime que le repos hebdomadaire est un droit et qu’un consul général doit être capable de manger seul !). Pareil pour les chauffeurs. Quand je libère mon chauffeur personnel, un autre (il y en a quatre en tout) est de permanence.

 

J’ai passé la matinée à consulter internet, puis à me promener dans le jardin. Depuis ma remarque du début sur la propreté douteuse, il est désormais mieux entretenu. J’ai encore vu plusieurs petits écureuils, je ne m’en lasse pas. Dommage qu’ils soient si craintifs et si rapides pour s’enfuir dès qu’ils détectent ma présence. Quand Eva (ma fille de six ans) sera là, il faudra trouver un moyen de les apprivoiser en leur donnant de la nourriture. Les caméléons, de la taille des petits écureuils, de sorte qu’on dirait plutôt de gros lézards, sont tout aussi difficiles à approcher. J’ai vu aussi de très beaux papillons, certains bleus et blancs, d’autres rouges. Ils sont d’une taille nettement supérieure à ceux d’Europe. Et puis toujours beaucoup de corbeaux qui jacassent beaucoup. Ceux-là sont nettement moins farouches que les petits quadrupèdes.

 

A seize heures, comme nous en étions convenus, nous partons en voiture avec Ananth (mon collaborateur) et sa copine, tous deux francophones, en plus du chauffeur qui reste toujours à l’écart lorsque nous mettons pied à terre (j’ai essayé d’associer mes chauffeurs à mes activités et à mes repas à l’extérieur, comme je l’ai toujours fait ailleurs. Mais en Inde, ils y sont réticents. J’ai compris que cela les mettait mal à l’aise et je n’ai plus insisté d’autant que lorsque je suis avec d’autres Indiens, on ne mêle pas facilement les castes, même si les barrières sont désormais moins strictes qu’avant).

 

Direction le littoral sud jusqu’à Cuddalore, à 21 km de Pondichéry (la distance parait courte mais en Inde, on circule tellement difficilement qu’il faut toujours beaucoup de temps). Cette ville, qui dépasse cent mille habitants avait été développée par les Anglais pour surveiller Pondichéry. C’est un grand centre ferroviaire car le réseau ferré construit sous l’empire des Indes évitait le comptoir français, de même d’ailleurs que la grande route de Madras vers le Sud.

 

Après Cuddalore, à quelques km, nous nous engageons sur une petite route qui conduit au temple de Thiruvendhipuram (puram signifie temple). Il s’agît d’un grand temple, très connu dans la région dédié à Vichnou. Vichnou est l’une des trois divinités principales de l’hindouisme qui sont généralement considérées (mais il y a plusieurs écoles) comme trois formes différentes d’un même dieu. C’est le cas aussi de la multitude de divinités secondaires, considérées comme des émanations ou des réincarnations concomitantes ou successives du dieu universel.

 

Les trois dieux majeurs ont des fonctions principales (mais ils sont tous capables de jouer des rôles multiples) : Brahma est le créateur, Vichnou le conservateur et Shiva le destructeur, mais pas dans un sens négatif, plutôt dans un sens de régénération, révolutionnaire en quelque sorte. Brahma n’est quasiment pas honoré, on considère qu’il a fait son “ travail ” une fois pour toutes et donc qu’on n’a plus rien à lui demander. En revanche, Vichnou et Shiva font l’objet d’un culte populaire très intense. Le monde hindouiste se partage à peu près à part égales en “ vichnouistes ” et “ shivaïstes ” qui se sont parfois affrontés. On est l’un ou l’autre par tradition familiale, ce n’est pas nécessairement lié aux castes.

 

Le temple que nous visitons est dédié à Vichnou, généralement représenté par un être à forme humaine assis et ayant quatre bras. Mais il peut prendre bien d’autres formes. On considère qu’il en a déjà eu neuf, qui correspondent à des âges de l’humanité. Il faudra attendre encore plusieurs milliers d’années (une comptabilité précise est tenue depuis la création supposée du monde) avant qu’apparaisse la dixième et dernière forme qui verra Vichnou représenté par un être à tête de cheval, symbole de puissance.

 

 Vichnou est parfois venu sur terre généralement sous une apparence humaine. On appelle cela ses “ avatars ”. Il y en aurait 22, dont les plus connus sont Rama, Krishna, mais aussi Bouddha (fondateur du bouddhisme au 6ème siècle av.JC).

 

Le panthéon hindou est souvent apparenté. Parmi les principales divinités qui complètent la trilogie, celles qui jouissent de la plus forte popularité sont Parvati, épouse de Shiva et leurs enfants Ganesh, homme à tête d’éléphant, qui porte chance, Lakshmi, par ailleurs épouse de Vichnou, qu’elle trompe allègrement, et qui est le symbole de la prospérité, et Saraswati, déesse de la connaissance, de la science et des arts, qui a épousé Brahma. 

 

C’est du moins ce que j’ai retenu des explications fournies par Ananth qui a l’air de très bien connaître tout ça car, étant de la caste des “ brahmanes ”, c’est un “ spécialiste ” qui tient à honorer cette connaissance réputée supérieure aux autres. Il a commencé à m’explique un peu la logique interne de ces croyances et pratiques. Je ne les maîtrise pas encore, car tout est compliqué en Inde, la religion comme le reste. Il me faudra encore pas mal lire, visiter et parler avant de prétendre connaître un peu l’hindouisme. Si ce séjour me permet d’y parvenir, je n’aurai pas perdu mon temps. Jusqu’à présent, je dois dire que je n’avais de cette civilisation qu’une connaissance très superficielle. J’ajoute d’ailleurs qu’elle ne m’avait jamais attiré. On verra si mon appréciation est modifiée par ce séjour.

 

Le temple de Thiruvendhipuram est vaste et se compose de plusieurs parties que nous allons traverser une à une, non sans avoir au préalable laissé nos chaussures dans la voiture : un temple hindou se visite toujours pieds nus.

 

On passe d’abord sous une sorte de porche qui donne sur une cour. En face, et donc au centre, une enceinte couverte dont on peut faire le tour par la cour. Au centre de cette partie couverte, une autre encore plus enfoncée. C’est le principe des temples hindous : on s’enfonce toujours plus avant vers le saint des saints, vers la connaissance, vers le dieu, Vichnou en l’occurrence. Il peut y avoir jusqu’à 7 enceintes successives. Il paraît que dans certains temples, seuls les Hindous sont admis jusqu’au bout. Là, j’y vais. Personne ne semble faire attention à ma présence, pourtant sans doute visible. Il est vrai que je suis accompagné par des Indiens. Cela fait la différence.

 

Les gens sont occupés à prier, à méditer ou simplement à se promener. Nous sommes dans l’une des trois plages horaires de la journée (tôt le matin, entre 12 et 13 heures et le soir à partir de 16 heures) où se déroulent les prières. Mais aucun cérémonial précis ne semble conduire les fidèles, comparable par exemple à une messe. A proximité de la statue de Vichnou, recouverte de feuilles d’or, un brahmane tient une torche (dans cette partie l’électricité est exclue) et rallume la flamme. Un autre fait une sorte de bénédiction de diverses offrandes ou objets apportés par les fidèles. On donne un peu d’argent (généralement des billets de 10 roupies – 1F50-). Un peu plus loin de cet étroit boyau, un autre brahmane tient un récipient de poudre rouge, la même que celle qu’il y avait chez le gouverneur (lors de ma visite de courtoisie). Chacun en prend une petite poignée qu’il conserve au bout de ses doigts. Je fais comme les autres et me défais d’un nouveau billet (il faut toujours en avoir une collection sur soi). Un peu plus loin, on recommence, cette fois pour recevoir un petit bouquet d’herbe odorante, une sorte de persil.

 

On retraverse ensuite la cour où déambulent quelques vaches sacrées pour se retrouver dans une autre partie où Vichnou est représenté sous une autre forme : une longue statue couchée. A certaines heures, on relève la statue et on la sort avant de la rentrer à nouveau et de fermer une grande porte grillagée afin de le laisser tranquille pour dormir. Pour les grandes fêtes, Vichnou est sorti sur un char de bois très lourd muni d’immenses roues et qui est tiré par la foule. Le principe est que les dieux mènent une vie comparable à celle des hommes. Ils sont également mariés, ils ont des enfants ; il en est même qui meurent avant de se réincarner sous une autre forme.

 

Dans les diverses parties du temple, des gens sont là, certains complètement immobiles, d’autre parlant à voix haute. On a de la chance parce qu’il n’y a pas foule aujourd’hui. Il y a davantage d’affluence le samedi et bien sûr lorsqu’il y a des fêtes spéciales, par exemple pour les nuits de pleine lune. Il paraît que dans ces occasions règne une grande pagaille. On a l’impression que chacun fait ce qu’il veut. Il faut simplement éviter certaines positions, par exemple être dans l’axe de Vichnou et d’un autre dieu car cela pourrait perturber la transmission des ondes par lesquelles ils communiquent. Cela n’est pas vraiment interdit, car rien n’est interdit en Inde et il n’y aurait d’ailleurs aucune autorité chargée de faire respecter des règles, mais ce n’est pas recommandé : les dieux peuvent être bons, mais ils peuvent également punir. Tout cela dans un état d’esprit où la magie, les jeteurs de sorts, les mauvais esprits et les périodes favorables et défavorables sont omniprésentes (on consulte toujours les horoscopes avant de faire quoi que ce soit)

 

A l’air libre, ça va mieux car plus on s’enfonce dans l’intérieur, plus cela manque d’aération et l’odeur des bougies ou de l’encens brûlé est à la limite du supportable. C’est encore pire que la crypte de certaines basiliques chrétiennes mal aérées et où brûlent trop de cierges, comme par exemple dans celle de ND de la Garde à Marseille. Ici, c’est bien pire. En outre, on est dans un environnement où la saleté et même la crasse sont omniprésentes. Il paraît que, presque par tradition, les temples de Vichnou sont plus sales que ceux de Shiva.

 

Autour du temple principal, il en a d’autres, plus petits, sortes de chapelles, dédiés à d’autres divinités, que certains évoquent dans des buts plus spécifiques. Cela ressemble un peu au culte traditionnel des saints de la chrétienté ou de l’islam.

 

En face de l’entrée principale du temple, de l’autre côté de la rue, un immense escalier conduit à un autre temple, juché sur une colline. Tout cela correspond à des symboles et à des épisodes mythologiques. Ananth m’en a compté quelques-uns dans la voiture, mais j’ai du mal à m’y retrouver. On peut aisément les imaginer : lorsqu’un dieu jette une pierre, cela devient une colline et on construit un temple dessus. Quand c’est l’eau qu’il apporte, il y a un grand bassin dans lequel on fait des ablutions, etc. L’imaginaire indien paraît sans limite pour raconter toutes les histoires de dieux qui font les choses les plus diverses en apparaissant sous les formes les plus inattendues. Comme dans cette religion, autant philosophie, symbolique et ensemble de rites et de croyances plus ou moins magiques, il y a très peu de dogmes,  pratiquement pas de théologie unanimement reconnue et aucun clergé hiérarchisé pour appliquer ce qui serait une doctrine, chacun est libre de croire ce qui lui plait. Il n’y a pas de vérité révélée. On peut ainsi croire qu’il y a une multitude de dieux, ou alors seulement trois dont les autres seraient des émanations, ou encore un seul en trois personnes, sorte de Sainte Trinité On peut même être athée, ne croyant que dans la nature, mais cela est plus rare. Chacun, en fait, croit ce qu’il veut : l’hindouisme est un ordre social et une philosophie, plus qu’une religion.    

 

A l’extérieur du temple, la rue est très commerçante car les temples sont un lieu d’animation et d’attraction de la population. Je l’ai déjà constaté autour des autres temples que j’ai déjà vus.

 

Nous avons regagné Pondichéry en fin d’après-midi par des petites routes à l’intérieur des terres en traversant notamment Panruti, ville qui paraît très active. On est ensuite rentrés par la route qui vient de Villipuram, où je ne suis pas encore allé. La circulation est la même que ce que j’ai vu partout en Inde. Bientôt je n’en parlerai plus, tellement c’est le quotidien : peu de voitures particulières, beaucoup de cars et d’autobus fonçant à grands coups de klaxons au milieu de la chaussée, des motos, des scooters, des mobylettes, des vélos, des tricycles, des piétons, des chars à bœufs et des vaches isolées qui déambulent on ne sait vers où, sans oublier des chiens errant et, parfois, des moutons et des chèvres, plus rarement un éléphant. Entre les villes, des paysages agrestes souvent jolis : cocotiers, bananeraies, rizières.

 

Rentrée au consulat à 19 h 30. Il fait nuit depuis un peu plus d’une demi-heure. Après la tombée du jour, la circulation reste la même, avec en plus les gros phares jamais baissés d’une partie des usagers et l’absence totale d’éclairage d’une autre partie. Bien évidemment, aucun deux-roues ne porte de casque et si l’on disait aux Indiens que les voitures européennes sont équipées de ceintures de sécurité, ils tomberaient des nues. On voit des vélos ou des mobylettes montés par trois et même quatre personnes. Nombreux enfants derrière ou entre leurs parents. Autre détail : jamais personne n’utilise les clignotants, le klaxon est l’instrument universel. Il ne semble pas que la police routière existe. De ce point de vue-là, c’est moins stressant que chez nous. Chacun fait ce qu’il veut sur la route, c’est la liberté totale et il n’y a pas de PV. En outre l’obtention d’un permis de conduire est simple ; il suffit de payer, il n’y a pas vraiment d’examen. Revers de la médaille : les accidents mortels sont fréquents, au consulat, rares sont ceux qui n’en ont pas eu dans la famille ou parmi les proches. On espère pour les victimes qu’ellesa uront plus de chance dans leur prochaine réincarnation. Voilà l’Inde…           

 

Jeudi 18 juillet 2002 (Lakshmi, l’éléphante sacrée)

 

A dix-sept heures moins dix, ma secrétaire me dit que Lakshmi est déjà en train d’arriver. Déjà ? Je me précipite dans la rue. Elle est effectivement là et elle est sur le point de franchir la grande porte qui donne accès au jardin du consulat. Lakshmi c’est l’éléphante qui “ garde ” le temple hindou situé à 100 mètres du consulat et avec lequel je me suis mis d’accord pour qu’elle vienne passer un moment dans le jardin.

 

Cette arrivée ne passe pas inaperçue. Une bonne partie des agents du consulat sont là. Lakshmi remonte la grande allée du jardin avec beaucoup de majesté. Elle repère les lieux, envoyant sa trompe à droite à gauche. Les habitués la caressent.

 

J’appelle Eva (ma fille, six ans) et Lenka (sa mère) qui étaient sur le balcon pour voir arriver l’éléphant par la rue et le filmer. Elles descendent par l’escalier en colimaçon qui permet d’arriver au jardin. Le cornac arrange Lakshmi avec une grande couverture rouge avec des dessins et la décore. Juché sur le dos de l’éléphante, en fait au début de sa tête, on lui passe Eva, ce qui n’est pas très facile car l’éléphante est haute. Le cornac l’assoie devant lui. A ma grande surprise, Eva fait bonne contenance. Elle ne semble pas très à l’aise au début, mais ne laisse rien voir aux “ spectateurs ” qui reconnaissent son courage. L’éléphante bouge sa trompe, sa tête et son corps en commençant à se déplacer, d’abord librement puis selon les indications du cornac. Au-dessus, ça bouge paraît-il encore plus que sur un chameau.

 

Pendant que l’éléphante nous montre tout ce qu’il est capable de faire, Eva reste sur lui. Elle commence à y prendre goût. Elle est bien placée, ses deux pieds atteignant le début des oreilles, ce qui lui donne un bon appui. Elle caresse l’animal, veut lui tirer un poil, mais celui-ci ne vient pas, ce qui est mieux, il n’aurait peut-être pas apprécié. L’éléphante commence alors à faire son numéro : elle se saisit de la nourriture qu’on lui donne au bout de la trompe qu’elle utilise comme deux grands doigts. On lui fait boire dans un grand sceau qu’on avait préparé à son intention du jus de mangue dont elle raffole. On l’asperge avec une lance à eau, ce qui l’amuse. Lorsqu’on lui tend une pièce de monnaie, elle s’en saisit avec la trompe et la pose délicatement sur la tête de celui qui vient de la lui passer. Dans un autre grand sceau, on a mis trois kilos de riz mélangé à divers légumes. Elle ne met pas longtemps à le finir. Ensuite on lui donne plusieurs noix de coco. Sa technique est parfaitement au point : Lakshmi la prend avec la trompe, la place sous son pied et délicatement mais fermement presse la noix jusqu’à ce qu’elle craque, elle retire alors son pied pour que la noix intérieure ne se transforme pas en bouillie ; elle peut alors s’en régaler eu la mangeant morceau par morceau.

 

Tout ce manège dure un bon moment. Eva descend enfin de l’éléphant, remplacée par la petite fille (6 ans) de l’un de mes collaborateurs indiens. Comme il l’a mise dans une école spéciale où on leur apprend le français dès la maternelle, elle se débrouille plutôt bien en français. Cela devrait faire honte à nos “ Français ” pondichériens qui ignorent ce qui devrait être aussi leur langue. Cette petite fille, qui s’appelle Angélica, n’a pas peur ; ce n’est pas la première fois qu’elle fait l’expérience de l’éléphant. Elle descend à son tour, remplacée cette fois par Lenka. Pour monter, un adulte pose d’abord son pied sur la jambe repliée de l’éléphant que celui-ci place de telle sorte qu’elle sert de marche pied. Mais ensuite, il faut littéralement escalader l’éléphant à l’aide d’une corde et se rétablir pour se placer sur la tête. C’est pas facile. C’est pourquoi, malgré mon envie de faire l’expérience, je préfère y renoncer. C’est pas la peine de me donner en spectacle. Eva, qui est remontée, et Lenka, seules sur l’animal, font alors le tour du jardin. Il paraît que ça bouge beaucoup.

 

Après environ trois quarts d’heure de ces activités, et tout le monde désormais en bas, je fais signe au cornac que c’est fini et qu’il peut repartir. Je confie alors à Lakshmi un billet qu’elle prend délicatement avec sa trompe, et le remet au cornac qui nous dit merci et fait signe à son éléphante de s’engager vers la sortie. Elle part alors, de son pas de super-sénateur, vers la rue qu’elle va remonter, au milieu de badauds et de cyclistes qui n’ont pas l’air très étonnés ; ils doivent y être habitués. Sa taille l’autorise à franchir les carrefours sans s’arrêter, elle est prioritaire.

 

Nous avons parlé toute la soirée de cette expérience, qui restera un moment fort de notre séjour indien.

 

Yves Barelli, 18 juillet 2002, mis en ligne le 8 août 2018

 

 

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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 18:09

 

En cette période estivale, pour vous changer un peu de la politique, je vous propose des récits de voyage un peu insolites. Voici le premier.

[J’ai habité (en tant que diplomate) il y a quelques années en République dominicaine. La relation ci-après se situe dans le nord de la république en avril 2004, à environ 300 km de Saint-Domingue, la capitale. Je passe alors les fêtes de Pâques dans un petit village où je suis invité par des Dominicains. Nous ne sommes pas loin de La Isabela, premier établissement de Christophe Colomb et de ceux qui l’accompagnaient sur l’île, en 1494. Nous y allons depuis le village mais, suite à de fortes pluies, certaines routes sont coupées par des cours d’eau en crue]

Mon idée, pour cette journée, était de ne pas faire grand-chose, seulement visiter les environs immédiats du village et aller à la plage.

 

Premier objectif, donc, la visite des ruines de La Isabela, première « ville » fondée par Christophe Colomb sur le continent américain. Le site est à moins de 10 km du village où je me trouve.

Mais pour y aller la piste doit traverser deux rivières à gué. Des ponts sont en construction, mais il paraît que les travaux sont arrêtés depuis des années. Il faudra donc attendre encore un peu (ou beaucoup) pour avoir une vraie liaison.

Pour le moment, la piste qui part de Villa Isabela arrive d’abord sur le premier cours d’eau. Comme il a plu beaucoup au cours de la semaine précédente, il est plus haut que d’habitude. Sa profondeur est de l’ordre de 20 cm et le courant pas exagéré. Ça reste gérable. Je passe, mais je ne m’attends pas à passer le suivant, beaucoup plus puissant et les informations que j’ai ne sont pas bonnes. Je franchis tout de même le premier cours d’eau. Même si je dois retourner ensuite, c’est pas grave. Passer à gué, c’est rigolo. De l’autre côté, la pente est forte et glissante. Il faut un 4X4 [ce que j’ai] pour passer. Un peu plus loin, je croise un autre 4X4. Je parle avec son conducteur. Il me dit que c’est pas la peine d’aller plus loin. On ne passe pas : l’autre ruisseau s’est transformé en grosse rivière.

 

Demi-tour donc et détour de plus de 100 km en passant par Villa Isabela, Los Hidalgos, Guananico, Imbert et Luperon. La route passe par la montagne. C’est beau, c’est vert, mais ça tourne beaucoup. Il me faut une heure et quart pour atteindre Luperon, sur la côte.

 

Luperon est une petite ville pittoresque de quelques milliers d’habitants avec de jolies maisons colorées et des balcons en fer forgé. Le port est bien abrité et il y a de nombreux bateaux de plaisance qui y sont ancrés. Puerto Plata n’est pas loin. On sent déjà la riviera touristique du nord, qui porte le nom de « côte de l’ambre », car on y trouve cette belle résine pétrifiée. C’est à Luperon que des Français qui cherchent des trésors dans les gallons engloutis sur le banc de la Plata sont basés. Je les ai rencontrés à Saint Domingue où ils sont en contact avec un de mes amis et nous sommes convenus qu’un jour j’irai leur rendre visite.

 

Au bout du quai, une vedette de la marine de guerre dominicaine. C’est probablement elle qui a arraisonnée il y a quinze jours un voilier français venu de la Guadeloupe pour embarquer, paraît-il, des émigrants dominicains clandestins pour l’île française. Deux de nos compatriotes sont actuellement détenus. Leur dossier est en cours d’instruction.

 

Quelques kilomètres après Luperon, on arrive enfin à La Isabela. C’est là que Christophe Colomb fonda en 1493 un établissement permanent, le premier du nouveau monde. L’année précédente, il avait « découvert » d’abord l’île de San Salvador, dans les Bahamas actuelles, puis longé les côtes cubaines avant de débarquer, un peu par obligation, dans l’ouest de l’île d’Hispaniola [aujourd’hui partagée entre la République dominicaine et Haïti] en un lieu actuellement situé dans le nord d’Haïti. L’un de ses bateaux était endommagé. Avec le bois que les marins en retirèrent, ils construisirent un fortin, appelé « Navidad » car le débarquement avait eu lieu le jour de noël. Trente hommes eurent pour mission de le garder en attendant le prochain voyage de Colomb.

 

Lorsque Colomb revint, l’année d’après avec 13 bateaux et 1 500 hommes, le fort avait disparu et ses hommes étaient tous morts, décimés par la maladie, les intempéries et les Indiens.  On rechercha un meilleur emplacement un peu plus à l’Est. Le site de La Isabela, ainsi nommé en l’honneur de la reine d’Espagne, fut choisi.

 

Il ne reste quasiment rien de cette petite ville qui fut pour quelques années la capitale de l’empire naissant espagnol d’Amérique. Il y a une cinquantaine d’année, des archéologues vénézuéliens découvrirent quelques vestiges. Beaucoup ont été pillés. Ce qui restait a été rassemblé et les pierres ont été réassemblées pour former, en principe à l’emplacement original, les quelques murets que l’on fait aujourd’hui visiter en les présentant comme la « maison » de Colomb, l’église, etc. Sous un abri, on peut voir un squelette, en principe celui d’un Espagnol de l’époque. Des croix ont également été alignées sur les emplacements où ont été découverts d’autres squelettes.

 

Dans un musée, ouvert en 1992 pour commémorer le cinq centième anniversaire de la « découverte » de l’Amérique et financé par l’Union européenne, quelques objets ont été rassemblés et des panneaux expliquent l’histoire de l’Amérique espagnole. Une belle photo aérienne prise par François de Zorzi (un de mes amis français de Saint-Domingue) montre l’ensemble du site.

 

Ce site sauvage ne manque pas de charme. Il domine de quelques mètres l’océan, très calme à cet endroit car la baie est protégée par une barrière de corail. La vue est splendide sur cette baie et les montagnes qui l’entourent. Le lieu est d’autant plus calme qu’apparemment il est peu visité. Nous y avons passés près d’une heure et en ce jour de Pâques, nous étions les seuls. Sans doute, le mauvais état des routes explique-t-il en partie ce manque d’intérêt des touristes pour le site. Officiellement, les Dominicains en sont pourtant très fiers. Les livres d’histoire et ceux qui les récitent ne manquent pas de rappeler toutes les « premières » rattachées à ce lieu : première église, première construction en dur, premier tribunal, etc. Premier génocide aussi ? Mais on oublie de le mentionner.

 

Après la visite, nous nous sommes baignés dans la plage toute proche. Les plages de cette région sont loin d’être aussi belles que celles qui sont situées plus à l’Est. Il n’y a pas de cocotier. Mais elle n’est pas mal quand même. Pas trop de monde. C’est bien.

 

Avant d’entreprendre à nouveau la route pour rentrer, je veux quand même aller voir cette rivière qui nous empêche de passer. Elle n’est qu’à quelques kilomètres.

 

La rivière Bajahonico est effectivement imposante. Elle fait plus de 50 mètres de large et le courant a l’air fort. Une corde a été installée entre les deux rives avec une petite barque (« yola ») qui y est accrochée, ce qui permet à un passeur de la manœuvrer par traction manuelle. En temps normal, ce n’est déjà pas facile à traverser en voiture, mais aujourd’hui, cela semble impossible.

 

Voici ce que dit le guide du Routard de cette liaison entre Villa Isabela et La Isabela : « Attention, piste difficile et caillouteuse, en principe accessible aux seuls 4X4. Nécessité de passer à gué deux fois et surtout d’affronter les descentes accidentées et ultra-boueuses vers la rivière. A notre avis, si l'on n’est pas l'un des dix premiers du Paris-Dakar, il vaut mieux renoncer ».

 

Il faudra donc que je m’inscrive au prochain Paris-Dakar car, en définitive, je suis passé. Après moult hésitations, il est vrai. Si j’ai pu le faire, je dois dire que c’est grâce au « muchacho » de la barque. Celui-ci m’a dit que, à son avis, à partir du moment où j’avais un bon 4X4, il n’y avait pas de raison que je ne puisse passer. Mais mon appréhension n’était pas celle de savoir si la voiture allait pouvoir adhérer suffisamment sur le sol pour progresser. Je savais bien que oui. J’avais par contre peur que l’eau ne rentre dans le moteur et le noie. Rester ainsi en panne au milieu, ça aurait fait un peu ridicule et il aurait fallu un tracteur pour me dégager.

 

Le garçon est donc rentré dans l’eau et a traversé en luttant contre le courant. Il a ensuite comparé la profondeur à la hauteur du véhicule. A peu près 50 centimètres de profondeur, ce qui est quand même déjà beaucoup. La notice de mon véhicule est très incomplète. La hauteur maximale pour traverser un cours d’eau, ce qui est quand même commun avec un 4X4, devrait être donnée. Mais ce n’est pas le cas. Le garçon me dit qu’il a vu passer deux autres 4X4 depuis le début de la semaine. Mais peut-être étaient-ils plus gros que le mien (un Toyota Rav 4)?

 

Je décide en définitive de passer. Je m’engage dans la rivière. L’eau arrive rapidement à la hauteur du capot et des portières. Le moteur continue de fonctionner normalement. Les quatre roues motrices s’accrochent bien sur le sable et les graviers du fond. J’ai davantage l’impression de piloter un bateau que de conduire une voiture. Le courant fait une forte pression sur le véhicule qui ne peut avancer qu’en crabe.

 

Finalement, j’arrive de l’autre côté. La sortie, très escarpée n’est pas facile, mais ne pose aucun problème particulier. Un 4X4 c’est vraiment super ! Je donne un bon pourboire à mon passeur. Il l’a mérité. Sans lui, je n’aurais jamais tenté l’aventure.

 

Le deuxième cours d’eau est, comparativement, un jeu d’enfant. Je me retrouve quelques minutes après à Villa Isabela et au village. Dix km et dix minutes, au lieu de 110 km et 1h30. ça valait la peine.

 

L’après-midi, deuxième excursion, moins risquée celle-là. Direction d’ abord la plage de Punta Rucia où je ne m’étais pas arrêté la veille.

 

Avant d’y parvenir, on bifurque vers un petit chemin qui aboutit à un refuge écologique gardé par des fonctionnaires du ministère de l’environnement. On nous laisse entrer. Belle plage déserte. Il paraît que dans la mangrove voisine on peut voir des « manatis » (lamantins en français). Ce sont des mammifères marins, sortes de petits cachalots de la taille d’un dauphin, que l’on peut voir parfois sur les côtes dominicaines. J’en avais aperçu une fois à Saint Domingue depuis la terrasse de chez moi. On peut normalement aller les voir en barque, mais aujourd’hui elle ne fonctionne pas. Le garde m’autorise à aller en voiture un peu plus loin à travers un chemin qui débouche sur la mangrove. L’endroit est tout à fait sauvage (en dépit de détritus laissés par des visiteurs précédents. C’est une véritable plaie dans ce pays). Sur les racines qui tombent dans l’eau, des crabes, des moules et d’autres coquillages. L’eau est tranquille, car nous sommes en fait sur un estuaire. Il paraît que les lamantins aiment venir se cacher et se reposer dans la mangrove. Mais il n’y en a pas dans ce coin. Tant pis.

 

On ressort et on poursuit, quelques kilomètres plus loin, jusqu’à la plage de La Ensenada, qui touche presque celle de Punta Rucia. Cette plage est l’une des plus belles de la région. Pour le moment, elle est restée à l’écart du tourisme étranger car aucun hôtel n’y est implanté. Quelques Dominicains commencent en revanche à y construire des maisons en dur, dont une particulièrement laide et imposante qui domine le site. Pour le reste, on a au contraire beaucoup de baraques « spontanées » (c’est à dire sans titre de propriété) qui bordent la plage sur toute sa longueur. Elles abritent bistrots et restaurants. De la musique en sort à fortes doses de décibels. Mais tout cela est en retrait et ne gêne pas vraiment l’accès à la plage proprement dite. Celle-ci n’est pas bordée de cocotiers mais de « raisins de plage ». Les gens s’y abritent du soleil et y pique-niquent

La plage elle-même est constituée de sable blanc. L’eau, cristalline, est d’une extraordinaire limpidité. Elle est peu profonde, ce qui est idéal pour les enfants, d’autant qu’au large, une longue barrière de corail arrête les vagues. La plage constitue un arc de cercle de plus d’un kilomètre de longueur. Au fond, côté Est, elle touche une falaise dont se sont détachés des rochers. Ceux-ci sont érodés par l’eau, ce qui donne des formes très curieuses. La base des rochers est en effet sculptée par la mer et certains sont maintenant en équilibre sur une base minuscule. On peut se promener loin entre ces rochers avec de l’eau jusqu’aux genoux en marchant sur le sable agréable au toucher des pieds. Ça-et-là, des morceaux de coraux de toutes les formes et toutes les couleurs peuvent être ramassés. Ce spectacle est d’autant plus beau à l’heure où nous nous promenons en ce lieu qu’au fond un magnifique coucher de soleil embrase le ciel. Il y a encore relativement beaucoup de monde sur la plage, mais elle si vaste qu’on s’en aperçoit à peine. Seule ombre au tableau, les assiettes et verres en carton qui jonchent le sol. Les Dominicains comprendront-ils avant qu’elle ne soit complètement massacrée que leur île est belle ?

Il fait déjà nuit lorsque nous passons sur la plage de Punta Rucia, trois kilomètres plus loin. Nous achetons du poisson que nous mangerons au dîner. Beaucoup de voitures et de camionnettes pleines à craquer de gens qui s’y tiennent en équilibre et qui rentrent dans les localités voisines. J’en double pas mal car ceux qui ont de vieilles carrioles font attention de ne pas les casser sur cette piste éprouvante pour les mécaniques. Des tombereaux de poussière s’échappent de la route, y compris dans les localités traversées. Hipolito ou Leonel [candidats à la prochaine élection présidentielle] devraient penser à goudronner ces voies qui traversent cette région un peu oubliée de la capitale./.

 

Yves Barelli, 30 avril 2004, mis en ligne le 8 août 2018

 

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1 septembre 2017 5 01 /09 /septembre /2017 19:00

 

J’ai visité le célèbre site du Machu Picchu, dans les Andes péruviennes, il y a quelques années. Après avoir séjourné à Lima, je m’étais rendu en avion à Cusco, l’ancienne capitale des Incas, magnifique ville qui mérite un voyage à elle seule. C’est de là qu’on va au Machu Picchu. Voici mon journal de voyage.   

 

J’avais réservé par l’intermédiaire de l’ambassade [de France à Lima] et de l’Alliance Française [de Cusco] une excursion au Machu Picchu. Prix 130 $. C’est pas donné, mais il faut bien vivre ! Le tourisme est la seule ressource de Cusco. Ce forfait comprend l’entrée au site (prix sur place 10$), le train pour aller au pied du site (120 km de Cusco) et le car pour monter de la gare au Machu Picchu (2x6$ sur place), plus une voiture pour m’accompagner à la gare et venir m’y reprendre. Ça fait donc assez cher du train qui est d’un bon rapport pour ceux qui l’exploitent car c’est la ligne la plus fréquentée du Pérou.

 

Le train du Machu Picchu : 4 heures pour 120 km

 

On vient me chercher à l’hôtel à 5h45 du matin. Le train part à 6h15. C’est bien organisé. J’ai le numéro de mon wagon et de mon siège. En face du wagon, sur le quai, des pancartes portent le numéro de la voiture. On ne peut pas se tromper. Que des touristes dans le train (pour les autochtones, il y a des trains un peu moins rapides et sans doute moins confortables, mais certainement infiniment moins chers). C’est paraît-il la « basse saison », car c’est une période où il peut pleuvoir (été austral). Pourtant, le train est complet. Les sièges, disposés, quatre par quatre, ne sont pas de reste larges. Les wagons semblent tout droit sortir d’un musée. Ce train a du être moderne en 1940. Ça ne va pas être une partie de plaisir. La durée du trajet est d’un peu plus de quatre heures. Pour faire 120 km, ça ne fait pas une grosse moyenne. En face de moi et à côté un couple de deux Brésiliens accompagnés d’un enfant. Pas spécialement des faméliques des « favelas » : la femme est obèse et son fils pareil ; seul l’homme est un peu plus normal. Mais cela est rien : ces braves gens ne vont pas s’arrêter de parler pendant tout le voyage. Arrivé à destination, j’avais, comme on dit, la tête comme un tambour. L‘enfant devait être habitué à cette logorrhée verbale de ses parents, il a préféré dormir pendant tout le voyage. Heureusement que je suis assis à la fenêtre. Je vais pouvoir essayer de m’échapper un peu de leur verbiage en regardant le paysage.

 

Nous quittons la gare à vitesse réduite. On monte tout de suite sur les hauteurs qui entourent Cusco, nous élevant péniblement vers un col situé à plus de 3 600 m d’altitude, avant une longue et progressive descente jusqu’à notre destination.

 

La petite voie ferrée que nous empruntons traverse des quartiers populaires situés sur les hauteurs. On est à quelques mètres des maisons. On croise quelques rues et on longe des épiceries et autres petits commerces. Des gens marchent le long de la voie et nous saluent. Pas mal de chiens assis ou couchés.

 

Les ingénieurs qui ont construit la voie ferrée ont résolu le problème de la pente en organisant, à trois reprises, des va et viens. Le train passe un aiguillage, s’arrête un peu plus loin, puis part à reculons pour bifurquer vers le haut. Au bout de quelques km, il effectue la manœuvre inverse pour se remettre dans le bon sens. Tout cela, on s’en doute, n’est pas rapide. On a largement le temps d’admirer la belle vue sur Cusco dont on aperçoit, comme en avion, mais plus longtemps, la Place d’Armes et ses églises qui en émergent. 

 

On finit par passer le col. On est définitivement sorti de l’agglomération cusqueña. On traverse désormais la campagne, parfois verdoyante, d’autres fois un peu plus pelée. On traverse des villages à grands coups de sifflets pour prévenir les habitants. Dans l’un d’eux un marché indien est visible sur notre droite ; les femmes sont en costume typique et elles portent de longues tresses. Les animaux sont assez nombreux : ânes, vaches, chèvres, animaux de basse-cour, gros cochons aussi, noirs ou bruns. En revanche, quasiment pas de lamas. Coïncidence ou réalité représentative, dans mes trois voyages récents effectués en Equateur, en Bolivie et au Pérou, j’ai vu très peu de lamas. Habitent-ils des zones où je ne suis pas allé ou, tout simplement et plus probablement, tendent-ils à disparaître du paysage, remplacés par des animaux plus pratiques tels les ânes ? Moi qui pensait en voir de partout, j’ai été étonné, et même déçu.

 

En descendant la montagne, on atteint, après avoir effectué un dernier va et vient, le fond d’une vallée. On ne va plus quitter la rive d’une rivière qui, de kilomètre en kilomètre, est de plus en plus large et impétueuse. C’est le rio Urumbamba, déjà si puissant alors qu’il n’est qu’un petit affluent qui va se jeter une centaine de kilomètres plus loin dans une rivière plus forte encore, elle-même obscur affluent d’un affluent du rio Marañon, l’une de ces rivières-fleuves qui alimentent l’Amazone dans le Nord-Est du Pérou, encore à 5 000 km de l’océan Atlantique. On dit que les petits ruisseaux forment les grands fleuves. En l’occurrence, il y a des centaines de rios Urumbamba, des centaines de ces grosses rivières qui  en d’autres terres seraient des fleuves, qui vont alimenter le macro-fleuve géant. Je n’ai encore jamais vu l’Amazone, mais je l’imagine. L’été dernier, je suis allé sur l’Orénoque, au Vénézuéla. Son cours est un Amazone en taille réduite. A 500 km de son embouchure, l’Orénoque a 7 km de large et le car-ferry qui le traverse a besoin d’une demi-heure pour atteindre péniblement l’autre rive. Alors, j’imagine l’Amazone ! [Depuis la rédaction de ce texte, je suis allé en Amazonie et ai navigué sur le fleuve : impressionnant, en effet, une véritable mer intérieure]

 

Cette puissante rivière que nous longeons se creuse une vallée de plus en plus profonde entre les montagnes abruptes. Par endroits, on en aperçoit des sommets lointains enneigés. Lorsque le soleil perce, cette neige étincelle d’une lumière vive qui contraste avec les pentes sombres qui plongent parfois en à pics sur la rivière.

 

La place entre la rivière et les falaises qui la bordent est si étroite que la voie ferrée y semble accrochée. Elle perce les parties les plus resserrées par des tunnels. Ce pauvre train tangue de virage en virage. On a parfois l’impression qu’il est prêt à tomber dans le vide.

 

Il n’y a pas d’autre possibilité pour aller au Machu Picchu que ce tortillard. Ce site se mérite ! On pourrait gagner une heure en se rendant par la route, et ensuite une mauvaise piste, jusqu’à la moitié du trajet, mais ensuite, il n’y a que ce train. Autrefois, on pouvait aller jusqu’au pied du site en hélicoptère, mais le service a été interrompu il y a quatre ans.

 

On arrive enfin à la gare d’Aguas Calientes vers 11h20. On descend du train et on fait cinq cent mètres à pied jusqu’à la station des cars. On ne peut pas se tromper. Tous les touristes sont à la queue leu le. Il n’y a qu’à les suivre.

 

Une montée vertigineuse

 

Les cars sont les uns derrière les autres. On n’attend pas. Sitôt sorti du village, on attaque une route non revêtue où seuls passent les cars. Les virages en épingle à cheveu vont se succéder sur la dizaine de kilomètres de la montée. On est au dessus du vide. Il n’y a pas de barrières de sécurité. Ceux qui croient en Vichnou prient ; ils seront peut-être réincarnés en lamas ou en Incas. Pour les autres, ou on ferme les yeux ou on fait confiance au conducteur, en espérant qu’il n’a pas abusé à midi de « pisco » cet alcool local. En espérant aussi que les véhicules sont en bon état et qu’un pneu ne va pas éclater, ce qui nous enverrait à coup sûr quelques centaines de mètres plus bas. En bas, on voit le village de plus en plus petit, ainsi que la rivière puissante longée tout à l’heure et qui, maintenant, a l’allure d’un mince filet d’eau. Et tout autour, des montagnes avec des falaises vertigineuses. En pays tropical, l’érosion taille souvent des cônes abrupts, style le Pain de Sucre de Rio. Nous sommes entourés de plusieurs « pains de sucre » recouverts d’une abondante végétation vert foncé. C’est impressionnant. On a l’impression d’être loin de tout, en un lieu étrange, étrangeté encore accrue par tout ce qu’on a pu lire auparavant sur le Machu Picchu, lieu magique emprunt de mystère.

 

Aguas Calientes est à 2 050 mètres d’altitude. Le Machu Picchu à 2 800 mètres. La différence est ce que nous venons de monter à flanc de coteau.

 

Dans un dernier virage, on aperçoit enfin le site tant attendu.

 

Il y a des lieux dans le monde où je rêve d’aller depuis que je suis enfant, depuis que je sais qu’ils existent. Lorsque j’étais au cours préparatoire, on m’appelait déjà « le géographe ». Je connaissais toutes les capitales du monde, il est vrai moins nombreuses qu’aujourd’hui. Je n’ignorais rien de « nos » colonies, y compris celle que j’appelais « madame Gaspard » (Madagascar). Parmi les « prix » de géographie que j’avais reçus, je me souviens que l’un décrivait la « mystérieuse île de Pâques ». Je l’ai visitée en 1991. Un autre décrivait les « chemins inca »  de la cordillère des Andes. Il y a longtemps que le Machu Picchu me fascinait. Il y a longtemps que je voulais y aller. J’y suis enfin ! 

 

Machu Picchu fascinant et mystérieux

 

Le Machu Picchu, autrement dit la « vieille montagne » en quechua, est un site exceptionnel. Les ruines, étendues sur un kilomètre de long et cent à deux cent mètres de large, se visitent assez vite. On y voit de remarquables illustrations de l’architecture inca. Les murs sont  constitués de grosses pierres, en général de 30 à 40 cm de large, qui sont si bien taillées et polies, si bien ajustées, qu’on serait bien en peine d’y découvrir le moindre interstice. Tout cela, rappelons-le, sans ciment ni mortier.

 

Mais les ruines ne sont pas le plus intéressant. Ce qui est fascinant, c’est le site grandiose et ce que représente cette ancienne cité.

 

Sitôt entré dans le site, je prends un sentier escarpé qui m’éloigne un peu des troupeaux de touristes et qui me permet de grimper de 100 à 200 mètres au dessus des ruines. J’arrive en fait au débouché d’un sentier appelé « chemin inca » qui fut longtemps le seul lien de la cité avec le reste du monde. Cette ascension essouffle vite car à presque 3 000 mètres d’altitude, l’oxygène est déjà rare. Il faut savoir s’arrêter et récupérer, sinon c’est l’asphyxie assurée.

 

De mon perchoir, le plus haut du site, je domine l’ensemble de Machu Picchu et son environnement. C’est fantastique. A mes pieds, la cité, étirée en longueur entre deux montagnes, celle où je me trouve, et un énorme pain de sucre qui figure sur toutes les photos du site. J’en fais moi aussi, même si c’est pas très original. On se dit toujours que la sienne sera la meilleure. Sur la droite et sur la gauche, des à pics vertigineux de près de 1 000 mètres, avec la rivière décrite plus haut, la même de part et d’autre, car elle contourne aussi le pain de sucre.                

 

Je reste ainsi un bon moment à contempler ce site grandiose. J’essaie d’imaginer comment c’était « avant ». Je rêve aussi aux sensations que je ressentirais si je me trouvais là tout seul, sans ces hordes de visiteurs contre lesquels je n’ai rien à reprocher de particulier si ce n’est de se trouver ici en même temps que moi. Je les vois, en bas, comme des fourmis processionnaires qui porteraient des appareils photos à la place de mies de pains. Mais comment fera-t-on dans vingt ans quand des dizaines de millions de Chinois et d’Indiens viendront visiter le monde (ils commencent déjà). Devra-t-on acheter le billet d’entrée aux pyramides de Gizeh, au Colisée et au Machu Picchu vingt ans à l’avance ? Ou, une fois de plus, fera-t-on une sélection par l’argent avec l’entrée au Louvres au prix d’un repas chez Maxim’s ? A moins que, comme pour les grottes de Lascaux, on ne réserve ces sites à quelques spécialistes, le commun des mortels se contentant de reproductions grandeur nature. Je ne sais, mais sans doute faudrait-t-il commencer à y penser.

 

Un air de mystère se dégage de ce lieu. Je pense, en m’en imprégnant, à Montségur et aux Cathares. Les derniers Incas n’y ont pas été brûlés comme les derniers « parfaits », mais ils ont, eux-aussi, irrémédiablement disparus. Leur âme doit hanter ces ruines la nuit, une fois les derniers touristes partis, ils doivent pleurer sur un monde perdu à jamais. Ils peuvent pleurer sur tous les génocides culturels perpétrés de par ce monde. Et je ne peux m’empêcher, parce que ce lieu me fait penser à Montségur, de rêver à ce qu’aurait pu devenir l’Occitanie si les croisés du pape et du roi ne l’avaient anéantie au 13ème siècle, deux siècles avant l’assassinat du dernier Inca. L’inquisition fut inventée pour juger les Cathares (et ceux qui ne l’étaient pas, mais qui auraient pu l’être, suivant en cela les tristes paroles de Simon de Montfort lorsqu’il mit Béziers à sac: « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »). Elle servit ensuite en Espagne pour éradiquer l’islam et le judaïsme. On lui fit ensuite traverser l’Atlantique et sévit dans toute l’Amérique. Autre point commun entre Machu Picchu et Montségur.

 

Comme pour Montségur et les Cathares, toutes sortes d’histoires ont circulé sur le Machu Picchu. De fait, le mystère reste entier, porte ouverte à toutes les suppositions, même les plus fantaisistes. On y a vu un point d’arrivée d’extraterrestres. On a spéculé sur les formes des constructions et de la montagne qui pourraient avoir des significations ésotériques.

 

Mais qu’était en réalité Machu Picchu ? Probablement une cité funéraire et un lieu de culte. Peut-être aussi, un point d’observation astronomique, fonction d’ailleurs étroitement associée chez les précolombiens au culte du Soleil et de la Lune. Mais dans ce monde sans écriture, rien ne permet de savoir exactement à quoi servait ce site.

 

L’aspect mystérieux est renforcé par le fait que le Machu Picchu avait probablement été abandonné avant la conquête des Espagnols. Ces derniers n’y sont jamais allés et, semble-t-il, n’en soupçonnèrent même pas l’existence. Le site a, en fait, été découvert par hasard par un Américain, Hiram Bingham, en 1911. Il mit plusieurs années avant de le dégager d’une abondante végétation (que l’on ne soupçonne absolument pas aujourd’hui) et il faudra attendre encore longtemps avant que le site ne soit rendu accessible par la construction de la voie ferrée (je n’ai pas l’année de sa construction) et de la route depuis Aguas Calientes. L’existence de ces ruines était connue depuis toujours par les paysans de la région, mais ils n’en avaient pas parlé, et d’ailleurs personne ne leur avait jamais rien demandé. De telles cachotteries ne sont pas si rares. Des chercheurs qui s’intéressent au domaine occitan ont découvert que des histoires cathares se racontent encore dans certains coins de l’Ariège sept siècles après la fin des « Albigeois ». Des chansons, qui font partie du folklore local, comme « lo boier vèn de laurar» (le bouvier vient de labourer) ont un sens caché grâce à des mots à double sens. On peut imaginer qu’il en va de même dans la région de Cusco. Cette recherche dans le folklore local est une piste que je suggère aux étudiants quechuaphones de l’université de Cusco. Je ne serais pas étonné que par ce biais on perce quelques mystères du Machu Picchu.

 

Mais le Machu Picchu n’est pas un cas unique chez les Incas, comme Montségur n’était pas la seule forteresse cathare. On a découvert dans les environs d’autres sites plus ou moins comparables. L’employée de l’agence de voyage qui m’a vendu l’excursion et qui est venue me rechercher le soir au train m’a dit qu’elle avait récemment fait une expédition de plusieurs jours jusqu’à un site grandiose complètement isolé dans la montagne et découvert il y a peu. Elle m’a dit avoir eu l’émotion de sa vie en contemplant ce lieu aussi mystérieux et plus sauvage encore que le Machu Picchu. Voici la solution pour les dizaines de millions de futurs touristes chinois : leur proposer dix Machu Picchu.

 

Le début de ma visite était sous le signe du beau temps, avec même un beau soleil. Mais, en montagne, le temps peut changer rapidement. Au bout d’une heure, le ciel s’assombrit et la pluie se mit à tomber. J’ai terminé la visite sous une pluie battante. J’avais heureusement pensé à emporter un parapluie. J’ai pourtant dû m’abriter sous une ruine au plus fort de l’orage.

 

Retour à Cusco

 

Vers 14 heures, je décide de redescendre. J’ai encore le temps, mon train n’est qu’à 16h30. mais j’ai vu l’essentiel. Faire la queue leu le derrière les touristes n’est déjà pas drôle. Le faire sous les parapluies et au milieu des flaques l’est moins encore. Je reprends un car qui me redescend dans la vallée. Le temps de trajet est d’environ une demi-heure.

 

En bas, le soleil ressort.  Je passe les deux heures qui me restent à manger un morceau dans un restaurant, puis à déambuler au milieu des boutiques de souvenirs d’Aguas Calientes. Je commence à être blasé. Le Pérou ressemble à la Bolivie et, par rapport à l’Equateur, c’est du pareil au même. Il y a beaucoup de choses, mais rien d’original et, quand il s’agit d’acheter des souvenirs, je ne suis jamais très fort. Entre la pacotille et la qualité, je fais rarement la différence. Alors, je n’achète rien. J’ai besoin de rien. Je n’aime pas acheter à Paris. Pourquoi serait-ce différent au Pérou ?

 

Je reprends le train à 16h30. Aussi bourré qu’à l’aller. Je revois sur le quai mes Brésiliens. Je crains que nous n’ayons les mêmes places qu’à l’aller. Heureusement que nous montons dans des wagons différents. Le mien est cette fois quasiment plein de Coréens. En face de moi, l’un d’eux se met, sans que je lui demande rien, à me poser des questions ; « Do you speak English ? – yes, I do », « Where are you from ? ». Moi, j’ai vraiment envie de parler avec personne ; je suis encore dans le mystère du site et dans mon rêve irréalisable d’y être seul. Alors, ses questions, qui ressemblent à un interrogatoire de police, m’énervent et je lui réponds : « I’m a citizen of the World » et me replonge dans mon guide touristique. Il me fichera ensuite la paix.

 

Divine surprise. Dans une gare intermédiaire (il y en a deux), l’ensemble du groupe coréen descend. Pour les trois heures qui restent, nous ne serons plus qu’une dizaine de personnes dans le wagon. Ça change tout. En avion pareil. Plein c’est un supplice, aux trois-quarts vide ça devient le bonheur. Le train mène son allure de sénateur pépère au bord des flots impétueux de la rivière qu’on voit de moins en moins parce qu’il commence à faire nuit, petite allure rythmée de grands coups de sifflets lorsqu’on traverse des villages. Je traverse ce Pérou profond issu du fond des âges, terre des Incas et des Conquistadores, terre aussi, il n’y a pas si longtemps, du « Sentier Lumineux », ce groupe terroriste maoïste qui a dénaturé par sa violence stupide une cause qui aurait pu être juste, terre de contrastes et d’espoirs déçus, terre aussi d’espérance, peut-être, en un avenir meilleur.

 

Les derniers zigzags de ce petit train me donnent une magnifique vue nocturne sur les lumières de Cusco et de sa cathédrale. J’y parviens à 21 heures. On m’amène à l’hôtel. Je suis plutôt fatigué, mais satisfait. J’ai vu le Machu Picchu. C’est un peu long pour y aller. C’est fait, c’est plus à faire. Reste le souvenir que ce récit m’aidera à conserver vivant dans ma tête.

 

Yves Barelli, janvier 2005

 

Mis en ligne sur mon blog le 1er septembre 2017

 

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