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23 novembre 2018 5 23 /11 /novembre /2018 18:49

Carlos Ghosn, PDG de Renault et de Nissan, était le patron le mieux payé du monde, avec une rémunération sept fois supérieure à celle du PDG de Toyota, constructeur qui vend le plus de voitures au monde. Il touchait 15 millions d’euros par an, soit 1,250M€ par mois, soit 41 667€ par jour. En un an, cet individu gagnait autant que 40 salariés payés au smic durant toute leur vie et en un jour deux fois le salaire mensuel de l’ambassadeur de France le mieux payé (donc dans un pays difficile et dangereux)! Le comble est que ce monsieur s’est fait pincer pour fraude fiscale (il n’aurait déclaré au fisc que la moitié de sa rémunération) et abus de bien social (il s’est fait construite plusieurs demeures somptueuses au frais de la société). Sans doute a-t-on procédé à une enquête minutieuse pour le « coincer » car il semble que les Japonais cherchaient à s’en débarrasser. Mais qu’il soit tombé dans le panneau montre que ce personnage était si puissant qu’il en avait « pété les plombs » parce que convaincu de l’impunité totale. Cela montre aussi qu’on peut être intelligent et, en même temps, être « le roi des cons », si vous me permettez d’employer cette expression triviale que j’estime adaptée à la puanteur du personnage.

1/ Je ne m’appesantirai pas sur le cas particulier de Ghosn. Il va sans doute croupir longtemps en prison car au « pays du soleil levant », on ne plaisante pas avec la délinquance. Tant mieux, il a ce qu’il mérite, en rapport non seulement avec sa fraude mais aussi avec son arrogance, son autoritarisme et son cynisme.

Même si sa rémunération battait des records, elle était loin d’être la seule à ce niveau scandaleux. Dans le capitalisme financier mondialisé, c’est devenu la règle. A titre d’exemple, le PDG de Carrefour vient de quitter ses fonctions, dans lesquelles il n’avait pas brillé, avec une « retraire-chapeau » de 15 millions : presque un « pourboire » touché en une fois alors que pour Ghosn, c’est toutes les années.

Un système qui permet de telles inégalités entre les gens n’a rien à envier à la France de l’ancien régime lorsque des aristocrates pouvaient se permettre de dépenser en une soirée ce qu’un « manant » n’accumulait pas en une vie. Un tel système est, je pèse mon mot, pourri : moralement pourri, évidemment. Mais pourri aussi en ce sens qu’un tel scandale ne peut être éternel parce qu’il s’autodétruit de l’intérieur.

2/ Autrefois, c’est-à-dire jusqu’au début des années 1980 lorsque l’ultra-capitalisme mondialisé et financiarisé s’est mis en place à coup de dérégulation, de dérèglementation, de baisse généralisée des impôts des plus riches et du capital et de démission des Etats au profit du tout-privé et de la supranationalité de l’Union européenne et de l’Organisation Mondiale du Commerce, de telles rémunérations étaient inimaginables. Le PDG d’une grande entreprise pouvait gagner jusqu’à dix à vingt fois le salaire d’un ouvrier et on estimait que c’était beaucoup. Aujourd’hui, les rémunérations de certaines sangsues du système sont devenues si astronomiques qu’on n’est même plus capable de réaliser ce que cela représente et on doit se livrer, calculette en main, à des calculs du type de celui du premier paragraphe de ce texte pour voir à peu près ce que cela représente, un peu comme on évalue les distances des galaxies en années-lumière (300 000 km/seconde multiplié par le nombre de secondes dans l’année) car il y aurait trop de zéros pour des distances en kilomètres. Autrefois, c’est-à-dire il y a seulement 40 ans, des années-lumière en fait tant les choses ont changé, si on nous avait dit que le PDG de Renault (autrefois un haut fonctionnaire gagnant ce que gagnent un directeur d’administration centrale, un préfet ou un ambassadeur, un joli salaire mais mille fois inférieur à ce que touchait Ghosn avant son arrestation) gagnerait un jour 15 millions par an, tout simplement on ne l’aurait pas cru.

3/ Reviendra-t-on un jour à un peu plus de raison ? Je ne dis même pas un peu plus de morale car le capitalisme, fondé sur le capital contre le travail et sur l’appât du fric est immoral par nature. Je dis simplement plus de raison tant il est évident qu’un tel système ne pourra tenir éternellement. Voyez la révolte des « gilets-jaunes », voyez les victoires électorales de ce que les médias inféodés au capitalisme nomment les « populistes » et ce que j’appelle plus justement « reprise en main de leur destin par les peuples ».

Et ce n’est qu’un début.  Le capitalisme mondialisé est un système pourri qui ne fonctionne que par ce que Marx appelait justement l’ « exploitation de l’homme par l’homme » auquel s’ajoute maintenant la détérioration de la nature. En d’autres termes, le moins-disant social et le moins-disant environnemental.

Il faut évidemment, si on ne veut pas crever dans une planète morte et dans les affres de révoltes de types jacqueries généralisées, redresser la barre. Les peuples doivent reprendre leur destin en main par l’intermédiaire de pouvoirs politiques, d’Etats qui contrôlent l’économie et fixent des objectifs collectifs définis démocratiquement tant il est vrai que l’intérêt général n’est pas la somme arithmétique des intérêts particuliers, surtout lorsque ces intérêts deviennent si puissants qu’ils dictent en fait, via les « lobbies », leur volonté à la collectivité.

Ce qui se passe au Japon est sans doute le signe que, même sans remettre en cause le système capitaliste, il y a au moins un début de rejet de ce capitalisme multinational apatride. Trump protège le capitalisme américain contre le capitalisme étranger. Les Japonais, qui s’étaient laissé imposer la fusion de Nissan avec Renault un peu (et même beaucoup) contre leur gré (car ils étaient en position de faiblesse lorsque cela s’est fait) sont en train de reprendre les choses en main. La bêtise de Ghosn, à l’appétit trop vorace, les aide.          

4/ Renault est un bon exemple de ce que l’intérêt général veut dire et de ce que dérive capitaliste signifie. Nationalisée en 1945, ce qu’on appelait la « Régie Renault » a été un instrument efficace de développement économique, de volontarisme (si les Etats n’étaient pas intervenu dans l’économie, l’Europe entière, ruinée par la guerre, serait entièrement passée aux mains du capitalisme américain), de progrès social (toutes les avancées sociales ont commencé par Renault : troisième, puis quatrième semaine de congés payés, etc) et d’aménagement du territoire (avec localisation de nouvelles usines dans des régions périphériques à développer).

Renault a été privatisée en 1996. C’est désormais une entreprise mondialisée (fusion avec Nissan et Mitsubishi) qui n’a quasiment plus rien de français. Les deux-tiers de ses véhicules sont fabriqués hors de France (pour seulement Renault, bien moins pour le groupe) : l’entreprise augmente ses bénéfices, diminue les emplois en France et paye peu d’impôts en France.

Le cas Renault est emblématique de la dérive du capitalisme. Il est loin d’être unique. Par dogmatisme et par politique à court terme (on vend le patrimoine public pour réaliser des rentrées dans l’année mais, une fois vendu, il ne génère plus de rentrées), en grande partie pour satisfaire la politique de l’Union européenne (mois d’Etat, priorité au privé).

5/ On commence à voir les effets pervers de cette politique de privatisations : l’Etat n’a plus les moyens d’avoir une politique économique et sociale, lui-même doit dépenser plus pour sa propre consommation car, ce qu’il produisait autrefois lui-même doit être acheté plus cher au privé, et les particuliers sont rackettés (exemples : les autoroutes privatisées mais aussi le gaz et bientôt les aéroports et les chemins de fer)

Comme dans le même temps, toujours par dogmatisme et pour suivre les règles de Bruxelles,  on a fortement baissé les impôts des plus riches, pour « rentrer dans ses frais » l’Etat rackette les classes moyennes. Et il utilise l’argument-bidon de la « transition écologique », comme on dit (terme qui ne veut rien dire) pour racketter davantage encore. Les taxes sur l’essence en sont l’exemple majeur : 15 milliards d’euros de rentrées fiscales supplémentaires dont même pas 10% sert à améliorer l’écologie. Dans le même temps, 4 milliards d’euros cadeau aux plus riches (suppression de l’impôt sur la fortune) et 40 milliards donnés aux entreprises par baisse de leur fiscalité, alors que si ces sommes avaient été utilisées à des investissements publics, la Nation se serait effectivement enrichie par création de richesse (avec la possibilité d’être plus vigilant en matière sociale et environnementale).

6/ Ma conviction est qu’il n’y a rien à attendre du système capitaliste mondialisé que nous subissons depuis quarante ans.

Ou nous reprenons nos affaires en main, ou la chute vertigineuse qu’a entamé notre pays s’accélérera jusqu’au chaos final./.

Yves Barelli, 23 novembre 2018                                                        

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