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4 janvier 2014 6 04 /01 /janvier /2014 00:29

 

Je viens de passer la fin d’année en Espagne, pays que j’aime beaucoup.

Les Espagnols, c’est connu, sont un peuple fier. Même dans la difficulté, ils assument et n’aiment pas se plaindre, surtout devant un étranger.

Pourtant, le pays subit une crise économique et sociale majeure du fait de la crise mondiale qui perdure depuis le krach bancaire de 2008 et qui, dans ce pays, s’est conjuguée avec l’éclatement de la bulle immobilière.

Comme ailleurs, la crise financière est devenue une crise des comptes publics à la suite du renflouement des banques par l’Etat et la crise publique est devenue une crise sociale singulièrement aggravée par les plans d’austérité imposés par l’Union européenne. Les gaspillages dans de nombreuses « communautés autonomes » (régions), dotées de pouvoirs bien plus importants que leurs homologues françaises ont en outre mis en quasi faillite plusieurs de ces collectivités, notamment celle du Pays Valencien où je viens de séjourner.

La situation est la suivante :

1/ On ne construit presque plus rien en Espagne. On peut voir un peu partout des programmes immobiliers arrêtés. Le secteur immobilier, qui était l’un des moteurs de la croissance est en berne. Dans les stations touristiques, le prix du mètre carré a baissé de l’ordre de 40% en deux ans. De nombreuses entreprises du secteur ont fait faillite et des dizaines de milliers d’ouvriers du bâtiment ont perdu leur emploi.

Le chômage a explosé. Il touche maintenant près de 30% de la population active (chômeurs complets recensés auxquels s’ajoutent les chômeurs partiels et ceux qui ne s’inscrivent même plus à l’équivalent de « pôle emploi » car ils sont en fin de droit). Il y a presque 5 millions de chômeurs complets.  

Alors que l’Espagne était devenue un pays d’immigration, les Espagnols à nouveau émigrent. De nombreux ingénieurs et ouvriers qualifiés ont pris le chemin de l’Allemagne. L’Amérique latine attire aussi en masse. Autrefois, par exemple, les Espagnols avaient peuplé l’Argentine. Pendant la crise des années 1990 dans ce pays, beaucoup étaient revenu en Espagne. Aujourd’hui, ils repartent sur les bords du rio de la Plata.

Beaucoup de gens ont dû rendre leur maison ou appartement aux banques parce qu’ils ne peuvent plus payer. Elles en ont en stock plusieurs centaines de milliers. Pis, certains sont contraints de continuer à payer des traites alors qu’ils n’ont plus d’appartement parce que la valeur actuelle de leur bien est beaucoup plus faible que lors de l’achat.

La Communauté valencienne (pour s’en tenir à ce seul exemple) n’a plus d’argent. Elle a dû licencier de nombreux fonctionnaires ou employés de la Communauté. Parmi ceux-ci les journalistes des deux chaînes de la télévision valencienne, « Canal Nou ». Sur les appareils, on capte encore le logo, mais il est accompagné d’un « no signal ».

L’Etat n’en a pas beaucoup plus. Les impôts ne rentrent plus. Les salaires de fonctionnaires ont été diminués de 20%. La plupart des investissements majeurs sont à l’arrêt ou prennent du retard (ainsi la ligne TGV Figueres-Barcelone ouverte avec un an de retard). .

2/ La classe politique est largement déconsidérée. Le gouvernement socialiste de Zapatero avait été un tel fiasco (voir mon article du 21 novembre 2011 : « Espagne – élections, leçon d’un suicide socialiste ») qu’il faudra longtemps pour que le PSOE redevienne audible. Le gouvernement actuel, du Parti Populaire de Mariano Rajoy, affaibli par des scandales de corruption et par ses décisions sectaires et impopulaires, ne se porte pas mieux dans les sondages. La gauche de la gauche progresse, mais pas assez pour constituer une alternative. Les mouvements spontanés, par exemple sur la Puerta del Sol, semblent retombés. En Catalogne et au Pays Basque, les partis « espagnolistes » (anti-indépendantistes) sont déconsidérés, mais les exécutifs locaux subissent eux aussi les conséquences de la crise).

La monarchie est elle-même très affaiblie. Le roi, âgé et malade, est devenu impopulaire à la suite du scandale de la chasse à l’éléphant au Botswana (le roi s’était rendu il y a quelques mois dans ce pays en secret pour assouvir sa criminelle passion ; ce séjour a dû être rendu public car le roi s’est blessé : ses « sujets » ont ainsi appris les sommes colossales dépensées à l’occasion pendant que les Espagnols se serrent la ceinture). Dans les conversations de gens non politisés, désormais les sarcasmes fusent sur la personne de Juan Carlos. Seuls, « El Pais » et les autres portes voix de la pensée unique le ménagent encore. L’allocution royale de fin d’année a subi une spectaculaire chute d’audience comparée aux années antérieures. Une grève opportune à la TV catalane en a empêché la diffusion (néanmoins assurée par la TV centrale). Les scandales financiers qui ont touché d’autres membres de la famille royale amplifient le rejet.   

3/ Au lieu de rechercher, en cette période difficile, un consensus, la droite au pouvoir, au sein de laquelle les milieux cléricaux et les nostalgiques de Franco sont puissants, profite de l’affaiblissement socialiste pour mener une politique carrément réactionnaire : des cours obligatoires de catéchisme ont été rétablis dans les écoles publiques, une nouvelle loi qui rendra presque impossible l’avortement est en préparation. Cette politique irresponsable contient en germes la réactualisation des affrontements de la guerre civile : depuis 1975, les vieilles haines avaient été mises sous le boisseau, les anciens républicains s’étaient résolus à accepter ce roi prétendument démocrate, mais rien n’est oublié. Le gouvernement Rajoy joue un jeu très dangereux.

4/ Les nuages noirs annonciateurs d’un orage possible sont présents sur l’Espagne. Celui-ci pourrait éclater en Catalogne.

La marche vers l’indépendance se poursuit. Le positionnement obtus du gouvernement de Madrid ne fait que hâter celle-ci. Alors que le gouvernement catalan maintient son intention de convoquer un référendum d’autodétermination en 2014 ou, au plus tard, en 2015, Mariano Rajoy ne trouve rien d’autre à dire que l’indépendance est impossible pour l’unique raison que la constitution espagnole ne la prévoie pas (la constitution française ne prévoyait pas non plus l’indépendance de l’Algérie ; on sait ce qu’il en est advenu après huit ans de guerre). Il a entamé des démarches dans toutes les capitales de l’union européenne pour qu’elles préviennent qu’une Catalogne indépendante n’aurait pas sa place dans l’UE. Ce n’est sans doute pas de nature à faire changer les Catalans d’avis. Ceux-ci ont longtemps hésité sur l’aspiration à l’indépendance, la vérité étant qu’ils se sentent souvent aussi espagnols que catalans (voir mes articles du 13 septembre 2012 et des 22 et 30 novembre 2012). L’attitude provocatrice et méprisante du gouvernement de Madrid risque de les faire passer à l’acte. Pendant ce temps, les Basques attendent leur heure.

5/ Pour le moment l’Espagne offre le visage d’une apparente quiétude. En cette fin d’année, c’est surtout du Real Madrid (menacé, lui aussi, de faillite) et du Barça dont on parle et comme chaque année, les Espagnols étaient rivés devant leur télé pour le tirage du loto et pour savoir à qui irait le « gordo » (le gros lot).

Pourtant dans ce pays où on aime vivre, s’amuser et sortir, les gens commencent à dépenser beaucoup moins et de nombreux commerces ont dû fermer leurs portes ; les restaurants consentent des prix si attractifs qu’ils n’ont presque plus de marge. La misère est peu visible parce que les solidarités familiales jouent à fond. Mais les réserves ne sont pas inépuisables.

Il n’y a pas de montée du « populisme », mot qui ne veut rien dire mais qu’on utilise en France à tort et à travers pour désigner la contestation du système. C’est plutôt le parti de l’abstention qui a le vent en poupe. L’Union européenne et l’euro ne sont pas (encore) remis en cause. Cela peut paraitre bizarre avec une telle crise et avec l’impopularité des mesures d’austérité européennes. On peut l’expliquer par l’histoire : les Espagnols, sous la dictature de Franco, ont si longtemps été exclus de l’Europe, qu’ils considèrent que l’entrée dans l’UE a été pour eux une reconnaissance et ils ne sont donc pas prêts à la remettre en cause. Ils préfèrent s’en prendre à la « bande des trois » (France, Allemagne, Angleterre) supposée diriger l’Europe. Depuis Napoléon, s’en prendre à la France, cela a toujours un petit succès (ce qui n’empêche pas de bonnes relations entre individus).

Jusqu’à quand les Espagnols endurent-ils sans trop broncher ? Difficile à dire. Mais il suffirait d’une étincelle.

Cette étincelle peut venir de l’excessive cléricalisation de la droite qui risque de déclencher une réaction inverse.

Elle pourra venir aussi des contrecoups de la crise catalane si, comme cela est prévisible, Arturo Mas va jusqu’au bout de son projet indépendantiste. Le référendum écossais et un possible réveil des antagonismes en Belgique pourrait l’aider.

Mes meilleurs vœux pourtant pour cette Espagne amie, mais aussi pour cette Catalogne si proche de mon Occitanie natale.

Si divorce entre Madrid et Barcelone il doit y avoir, souhaitons qu’il prenne modèle sur le « divorce de velours » tchécoslovaque et non sur les guerres absurdes qui ont accompagné le divorce yougoslave.

Souhaitons aussi une amélioration de la situation économique. Mais là, ne rêvons pas. Ce n’est sans doute pas pour 2014, ni d’un côté des Pyrénées, ni de l’autre…

 

                                                             Yves Barelli, 4 janvier 2014      

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