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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 15:39

Le drame qui vient de se dérouler au large de l’île italienne de Lampedusa, au sud de la Sicile, nous choque et nous interpelle. Probablement au moins trois cents morts dans ce bateau surchargé qui a sombré dans une mer démontée à moins d’un kilomètre du rivage de la petite île. Tous des immigrants illégaux venus de Somalie et d’Erythrée et probablement embarqués par des « passeurs » sur la côte libyenne ou tunisienne. Parmi eux, des femmes et des enfants.

Si ce drame nous interpelle à ce point, c’est évidement par son ampleur. Egalement parce qu’il a été très médiatisé. Les grands médias n’ont pas encore de correspondants permanents sur l’île, mais la répétition de drames similaires fait qu’ils en connaissent le chemin et qu’ils s’y rendent désormais facilement. Les visites d’hommes politiques et du pape François (juillet dernier) ont contribué à « populariser » ce lieu pourtant loin de tout.

Ce n’est en effet pas la première fois que des immigrants trouvent la mort si près des côtes européennes, même si on n’avait encore jamais atteint ce chiffre macabre record. En dix ans, il y aurait eu de l’ordre de 25 000 morts. Horrible !

Au-delà de l’émotion, que faire ? Sur qui doit-on faire porter la responsabilité?

Certains, prompts à l’auto-culpabilisation et à la repentance pointent du doigt l’ « égoïsme » des Européens qui seraient à la fois des nantis et des insensibles à la misère du monde. Certains vont encore plus loin en dénonçant les carences de l’Union européenne, incapable de s’organiser pour accueillir « dignement » et en sécurité ceux qui veulent venir s’y réfugier.

Je ne crois pas que ce soit la bonne réponse. Cela ne sert à rien de désigner des coupables collectifs. Nous serions, nous Européens, des exploiteurs égoïstes? Un peu trop facile à dire, surtout lorsqu’on connait la galère que vivent des millions d’Européens touchés par le chômage, la précarité et des conditions d’existence très difficiles. Il n’y a pas que des riches en Europe, loin de là. Il n’y a pas non plus que des pauvres en Afrique et, avant d’accuser les Européens de tous leurs maux, sans doute bien des Africains devraient balayer devant leur porte. Si nombre de pays africains n'ont pas encore réussi à prendre la voie d’un développement durable, ce n’est pas la faute des Européens. L’explication par le colonialisme passé ne tient plus la route, si elle l’a jamais tenue. En 1950, la Chine et la Corée du Sud avaient le niveau de vie du Mali. Il serait utile, en Afrique, de se demander pourquoi certains pays, partis de rien, ont pu se développer, alors que d’autres ont fait du sur-place et, même, ont reculé. Mao-Tsé-Toung disait justement qu’il faut compter sur ses propres forces. Attendre tout de l’extérieur n’a jamais été la solution.

Revenons à Lampedusa. Que faire ? Sur l’île et autour de l’île, pas grand-chose. Même en y plaçant une armada prête à secourir les bateaux en perdition, on ne pourrait totalement empêcher les candidats à l’ « eldorado » européen de prendre des risques insensés pour tenter de s’en approcher.

Les réponses, ou tentatives de réponses, sont à chercher ailleurs.

1/ C’est un lieu commun de dire que si les candidats au départ avaient chez eux ce qu’ils viennent chercher ici, ils ne partiraient pas. Il est clair que les différences de niveau économique entre les continents constituent un immense appel d’air pour les départs. Tout ce qui pourra concourir à l’organisation d’une véritable croissance économique dans les pays du Sud sera bon à prendre.

Je crois, à cet égard, à la supériorité des solutions concertées sur les soit disant bienfaits d’une mondialisation sauvage. Ce ne sont pas les délocalisations des productions de biens réexportés qui sont la solution (ils aboutissent en général à la détérioration des conditions de travail et de vie : voyez ce qui se passe au Bangladesh par exemple), mais des activités tournées vers la satisfaction des besoins intérieurs des populations. C’est aux pays concernés de se prendre en main. La meilleure façon de les aider est de les autoriser à protéger leurs industries naissantes et non de les obliger à ouvrir bêtement leurs frontières au marché mondial. Le démarrage économique de presque tous les grands pays européens s’est fait au 19ème grâce au protectionnisme. Ceux qui réussissent le mieux aujourd’hui (Asie, Amérique latine) sont ceux qui ont adopté les mêmes mesures protectionnistes que l’Europe au 19ème siècle.

Je crois aussi aux partenariats entre pays complémentaires. La France et l’Afrique francophone ont ainsi des intérêts communs. On peut organiser un co-développement, y compris avec des accords d’échange de mains d’œuvre. L’intérêt est mutuel.

2/ Cela ne règlera pas tout. Je note que les plus gros contingents de clandestins transitant par Lampedusa viennent de terres touchées par des guerres civiles ou encore de pays, comme la Somalie,  où il n’y a plus d’Etat organisé. On pourrait penser à établir des tutelles internationales sur ces pays. Mais cela ne fonctionnerait pas partout. La faculté de nuisance des terroristes islamistes, par exemple, en Somalie, rendrait impossible de telles administrations internationales. Cela pose aussi le problème des pirates dans l’océan indien.  

A cet égard, la responsabilité de certains pays occidentaux qui, en intervenant de manière inconsidérée, dans certains pays, ont considérablement aggravé les situations, est lourde. Cela concerne par exemple l’Irak ou la Libye, désormais le point focal de la déstabilisation du Sahel et, en outre, le point d’embarquement principal des immigrants qui tentent de parvenir à Lampedusa. Il semble que certains voudraient reproduire l’erreur en Syrie.

3/ Donc les solutions, ou, au moins, des mesures de moindre mal doivent être recherchées en Europe même.

La libre-circulation dans l’espace Schengen était sans doute séduisante au départ. Traverser l’Europe en voiture sans s’arrêter aux frontières, c’est en effet un progrès apparent.

Malheureusement, les inconvénients induits par le système sont maintenant nettement supérieurs aux avantages. Je ne parle même pas des buralistes des zones frontières ruinés parce qu’on peut s’approvisionner sans limitation dans les pays voisins. Je ne parle pas non plus des Roms roumains qui posent en France et ailleurs les problèmes que l’on sait. On les renvoie chez eux, mais ils reviennent aussitôt grâce à la libre-circulation et au libre-établissement au sein de l’Union européenne. Je ne parle pas non plus de la libre-circulation des trafiquants et des terroristes. C’est aussi une réalité.

Je me concentre seulement sur le lien entre Schengen et Lampedusa. Lampedusa est en Italie. Lorsqu’on y arrive, on peut circuler sans entrave jusqu’en France, en Allemagne et ailleurs. Idem pour ceux qui arrivent à la frontière entre la Turquie et la Grèce. Une fois entrés dans le pays des Hellènes, les routes de 25 pays leur sont ouvertes.

Pour toutes ces raisons, il me parait urgent de mettre fin à l’accord de Schengen et de rétablir les contrôles aux frontières de chacun des pays européens, comme cela se fait sur tous les autres continents. Les Etats-Unis et le Canada, par exemple, sont des pays amis, mais on ne franchit pas la frontière commune sans contrôle.

4/ S’il y a des clandestins dans nos pays, c’est parce qu’ils y trouvent du travail, clandestin aussi. Il n’y a pas de travailleur « au noir » sans patrons offrant du travail au noir.

Il y a ainsi des dizaines de milliers, peut-être, des centaines de milliers de clandestins en France qui ont un logement (de fait), un travail (en général non déclaré mais parfois même légal) et qui, souvent, scolarisent leurs enfants. On nage en pleine hypocrisie. On ne touche pas à cette situation (sauf pour quelques opérations médiatisées destinées à faire croire aux Français qu’on se protège, mais qui restent sans lendemain), connue de tous. On sait que l’emploi de clandestins est courant par exemple dans la restauration, les chantiers, la confection, mais aussi le petit commerce ou les salons de coiffure africaine.

Cette situation a des effets contrastés. D’un côté, cela permet à de nombreuses activités économiques de « tourner » en employant une main d’œuvre bon marché. Mais, d’un autre côté, cela est un formidable encouragement à tous les clandestins pour venir s’établir illégalement en Europe. Ceux qui passent par Lampedusa sont la face émergée d’un iceberg bien plus colossal. Seul le lumpenprolétariat de l’Afrique passe par cette voie. Beaucoup d’autres suivent des routes moins dangereuses. Le passage de la petite rivière qui sépare la Grèce de la Turquie est déjà moins dangereux. Mais il nécessite l’obtention d’un visa turc, pas trop difficile à avoir mais impossible pour un Somalien, ne serait-ce que parce qu’il n’y a plus de consulats étrangers à Mogadiscio. D’autres passent par la Pologne. Même remarque. Les plus malins achètent de faux visas et obtiennent les bonnes informations pour savoir quels sont les lieux et les heures où il y a le moins de risque de contrôle. Il en est aussi qui obtiennent des visas de tourisme et qui « oublient » de rentrer.

Plutôt que de tolérer les clandestins, il serait plus juste, plus efficace et mieux pour tout le monde (la situation des clandestins est intenable : peur de contrôles, dépendance absolue vis-à-vis de l’employeur, impossibilité de voyager ou d’emprunter) de réguler les migrations de travail par le moyen d’accords intergouvernementaux. On pourrait ainsi choisir les travailleurs dont on a besoin mais aussi ceux susceptibles de s’intégrer dans la population française. Les contrats pourraient être à durée déterminée (quelques années maximum), quitte à garder ensuite ceux qui s’intègrent réellement. Cela pourrait être couplé avec des programmes de formation professionnelle, ce qui serait utile aux pays d’émigration et ce qui contribuerait à leur développement.

Ces mesures permettraient à la fois de mieux protéger les travailleurs européens de la  concurrence de clandestins contraints d’accepter des conditions de travail et de rémunération inacceptables, et de réduire la pression à l’immigration clandestine. Parallèlement, la délivrance de visas de tourisme ou de visites privées pourrait, et devrait, être allégée : c’est parce que les visas sont trop difficiles à obtenir que beaucoup sont tentés de rester lorsqu’ils les obtiennent et de franchir illégalement les frontières lorsqu’ils ne les ont pas. La plupart des naufragés Lampedusa n’avaient jamais mis auparavant les pieds en Europe. S’ils l’avaient fait, nombre d’entre eux se seraient aperçu que ce n’est pas le paradis promis.  

En écrivant cela, je ne veux pas être naïf. Je suis conscient que dans le contexte actuel de chômage mais aussi de délinquance de populations étrangères ou d’origine étrangère, le changement du régime des visas n’est pas populaire. On préfèrera sans doute encore se voiler quelques temps la face : immigration théorique zéro, mais de fait peu contrôlée et peu limitée. Je ne suis pas sûr que sur le long terme, la solution soit de mettre la tête dans le sable pour ne pas voir la réalité.

Quand bien même la politique que je préconise serait appliquée, elle devrait néanmoins être accompagnée de mesures plus coercitives. Ouvrir davantage l’Europe aux étrangers. Mais, considérer dans le même temps que le séjour illégal sur le territoire est un acte grave, susceptible de sanctions autres que la simple reconduite à, la frontière.

Là comme ailleurs, nous subissons les conséquences de la mondialisation anarchique qui est en fait la liberté du renard dans le poulailler. On se croit libre, on a l’impression de vivre dans un monde ouvert bercé par la « world music », mais c’est en fait la jungle, qui profite à quelques truands et dont, au contraire, nous souffrons presque tous, Européens comme Africains. Je crois davantage aux vertus d’un monde organisé. L’organisation, ce n’est pas le repliement, c’est au contraire l’ouverture solidaire sur l’autre.      

En attendant, hélas, il y aura encore d’autres drames à Lampedusa…

Yves Barelli, 5 octobre 2013                                                         

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