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16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 12:08

L’élection présidentielle qui vient de se dérouler en Colombie (le deuxième tour a eu lieu le 15 juin, avec la victoire du président sortant Juan-Manuel Santos) est importante tant pour le processus de paix dans ce pays que pour la stabilité régionale de cette partie de l’Amérique latine.

Avec 45 millions d’habitants, la Colombie est le troisième pays le plus peuplé d’Amérique latine après le Brésil et le Mexique et l’un des plus vastes (deux fois la France). L’économie colombienne est diversifiée : riche sous-sol (pétrole, charbon, or, émeraudes – premier producteur mondial -), agriculture à forte valeur ajoutée grâce au climat tempéré de montagne (café, fleurs – exportées dans le monde entier -), industries manufacturières (Renault y a une importante usine), commerce et services. Avec un PIB de 370 milliards de dollars en 2013, la Colombie est une puissance émergente, encore moyenne certes, mais qui commence à compter.

Au-delà de ses performances économiques, la Colombie jouit d’un grand prestige en Amérique latine. Bogota fut la capitale de la vice-royauté espagnole de Nouvelle Grenade (qui s’étendait aussi sur le Venezuela, l’Equateur et le Panama actuels). Simon Bolivar, dont Hugo Chavez ambitionnait d’être le successeur, tenta de conserver l’unité de territoire mais sans succès (on imagine la puissance de cette Grande Colombie – 100M d’habitants, PIB de près de 1 000Mds$, souveraineté sur le canal de Panama – si l’unité en avait été conservée!). Il reste de cette gloire passée, le prestige intellectuel de Bogota (on dit que, en dehors de l’Espagne, c’est le meilleur espagnol parlé au monde), avec ses prix Nobel (voir mon article du 18 avril : « Gabriel Garcia Marquez, voix de l’Amérique latine ») et ses universités (et son lycée français, dont les résultats sont parmi les meilleurs au monde).

Ceci pour l’actif de ce pays.

Au passif, hélas, le pays à la tradition la plus violente du continent américain et l’un des records mondiaux en matière d’homicides (de l’ordre de 30 000 par an) : narcotrafic, « industrie » de l’enlèvement, guérillas, exactions policières, militaires et paramilitaires, banditisme et délinquance plus classiques.

Depuis l’indépendance, au début du 19ème siècle, la violence n’a quasiment pas cessé (elle était déjà présente avant). Elle fut particulièrement terrible à la fin des années 1940 et dans les années 1950 (300 000 morts sur une population à l’époque de 15M au cours de la guerre civile nommée tout simplement la « Violencia »), pour reprendre de plus belle à partir des  années 1980 avec les guérillas des FARC (Forces Armées de la Révolution Colombienne) et de l’ELN (Ejercito de Liberacion Nacional).

J’ai eu à connaitre la situation de ce pays lorsque, il  y a une dizaine d’années, j’ai été responsable de l’Amérique du Sud au ministère français des affaires étrangères. Je me suis rendu en Colombie. Des récits terribles m’ont été faits par des témoins ou des victimes de crimes abominables.

Les révolutionnaires en ont souvent été les auteurs et, parmi les guérillas, on ne savait plus s’il s’agissait encore de mouvements politiques ou de simples bandes de narcotrafiquants (l’argent de la drogue est le nerf de la guerre, mais il finit souvent par en être la seule motivation).

Mais le gouvernement et les grands propriétaires qui lui étaient liés ont eu, sans doute davantage encore que les guérillas, une lourde responsabilité dans le drame colombien. Des groupes de « paramilitaires », plus ou moins liés au pouvoir, aux propriétaires (qui achetaient pour des bouchées de pain les terres des petits exploitants terrorisés) et qui, par la corruption, s’assuraient le soutien de secteurs entiers du parlement et de l’administration, ont joué un rôle particulièrement néfaste en sabotant toutes les tentatives de négociations pour mettre fin aux conflits.

Les interférences étrangères ont encore compliqué la donne : guérillas avec des liens avec Cuba, aide massive aux autorités en retour des Etats-Unis qui n’ont pas hésité à couvrir les pires crimes du pouvoir et de ses acolytes.  Plusieurs centaines de milliers de personnes ont ainsi péri depuis trente ans dans ces conflits où on ne savait plus qui était qui (révolutionnaires, « narcos » – les fameux cartels de Medellin et de Cali, entres autres -, militaires, « paras », etc. Il y a dix ans, tout déplacement par la route à l’extérieur de Bogota était très risqué et ceux qui le pouvaient circulaient dans des voitures blindées.

Lorsque le président Uribe a été élu en 2002, il se lança dans une guerre sans merci contre les guérillas (il en fit une affaire personnelle : son père avait été tué par les maquisards). Il enregistra quelques succès, mais au prix de violations massives des droits de l’homme (au cours du premier mandat d’Uribe, la Commission colombienne des droits de l’homme – une autorité fiable et impartiale – estime à 11 300 le nombre des civils exécutés pour motifs politiques, dont 15% directement par les forces armées et 60% par des groupes de « paramilitaires » « tolérés » par l’Etat ou même agissant avec sa complicité active. La situation sécuritaire du pays s’en trouva améliorée, mais les guérillas ne furent pas éradiquées. De plus, les incursions des forces colombiennes au-delà des frontières engendrèrent  une situation de quasi-conflit avec le Venezuela et l’Equateur.

L’un des personnages clé de la lutte antiguérillas fut le ministre de la défense Juan-Manuel Santos (qui succédera à Uribe et qui vient d’être réélu).

Ce personnage est ambigu. Issu d’une riche et influente famille (comme la quasi-totalité du personnel politique colombien), propriétaire notamment du principal quotidien du pays, El Tiempo, Santos a eu un parcours politique sinueux. C’est en fait un centriste sans idéologie initiale particulière, naviguant de gauche à droite et de droite à gauche au grès des vents dominants. Diplômé de Harvard et mettant son talent au service d’une ambition sans limite, il sut plaire à Uribe au point d’en devenir le dauphin, ce qui lui permit de gagner l’élection présidentielle de 2010.

Mais sitôt élu, il tourna le dos à Uribe, devenu depuis son pire ennemi. Il sut flairer le désir de paix et de réconciliation des Colombiens. Dès sa prise de pouvoir, alors que le pays était au bord du conflit armé avec le Venezuela, il rencontra Hugo Chavez grâce à la médiation du président brésilien Lula. L’inimitié se transforma en amitié, sous le regard circonspect des Américains, pour lesquels la Colombie est le principal partenaire en Amérique du Sud (et même le seul, tous les autres gouvernements sont de gauche), notamment face au « turbulent » et hostile Chavez.

Ce fut le premier acte vers la reprise du dialogue avec la guérilla des FARC (l’ELN avait déjà déposé les armes et réintégré le jeu politique normal). Ce dialogue n’est évidemment pas facile tant, au sein du pouvoir, beaucoup font tout pour le saboter, et tant, au sein de la guérilla, on a affaire à des chefs souvent paranoïaques et si engagés dans le narcotrafic qu’on se demande s’ils souhaitent réellement la paix. Ce dialogue dure en tout cas depuis quatre ans, sous les auspices de l’Eglise, d’associations de droits de l’homme, mais aussi grâce à la médiation du Venezuela, de Cuba, du Brésil et du Mexique.

Juan-Manuel Santos a dérangé tant d’intérêts qu’il s’est fait beaucoup d’ennemis. Il vient d’être réélu pour quatre ans, mais de justesse (51% des voix). Contre lui, et en faveur de son adversaire Oscar Zuluaga : les secteurs les plus conservateurs de la société colombienne, les grands propriétaires, l’Eglise Evangélique (près de 10M de fidèles ; elle a mené une campagne active contre Santos), les Républicains des Etats-Unis mais aussi beaucoup d’électeurs qui, se souvenant du rôle passé de Santos dans la répression, ne lui font toujours pas confiance. Pour lui : ceux qui aspirent à la paix. Ni pour, ni contre : l’Eglise catholique (qui a laissé la liberté de vote) et l’administration d’Obama (méfiante, mais pas hostile).

Rien n’est assuré pour l’avenir, mais il semble que, cette fois, la paix soit réellement en vue. C’est en tout cas ce que l’on doit souhaiter à ce peuple qui a tant souffert et à cette pauvre Colombie, pleine de talents et de potentialités, qui mérite mieux que sa réputation de sauvagerie, hélas pas totalement usurpée.

Si vous voulez mieux comprendre ce peuple, relisez Gabriel Garcia Marquez. Il vous fera sentir ce qu’est l’Amérique latine, une terre où se côtoie le pire, mais aussi le meilleur, la joie de vivre et le drame permanent, l’égoïsme et la cruauté des uns, la solidarité et la bonté des autres. Et dès que le calme sera revenu en Colombie, si vous en avez l’occasion, allez visiter ce pays. Il recèle des trésors de la nature (des basses terres caraïbes aux volcans des Andes), mais aussi des hommes (la Vieille Ville coloniale de Bogota est l’une des plus belles d’Amérique latine et une promenade sur les hautes terres parsemées de caféiers et de fleurs vous fera réfléchir sur le sort de l’Humanité. Comment, au milieu de paysages si magnifiques, l’Homme, là et ailleurs, a-t-il pu se laisser aller à tant de crimes et d’abominations ?

 

                                                        Yves Barelli, 16 juin 2014

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