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27 février 2014 4 27 /02 /février /2014 15:36

Le récent séjour que je viens d’effectuer en Espagne (en Catalogne et au Pays Valencien) m’a permis cette fois encore de toucher du doigt la crise économique, mais aussi les sérieuses incertitudes sur l’avenir du pays, qui continuent d’affecter gravement l’Espagne.

1/ Même si de très légers signes d’amélioration, ou plutôt de moindre détérioration, sont signalés, la situation économique continue d’être grave au pays de Cervantès. Le taux de chômage dépasse 25% avec une pointe de 50% pour les moins de 25 ans. On a encore détruit 200 000 emplois en 2013. Les prévisions les plus optimistes tablent sur une croissance de 0,5% du PIB en 2014 (l’annonce, avant-hier, par le premier ministre de 1% est jugée peu crédible : même avec ce taux, le chômage continuerait à augmenter). Dans le meilleur des cas, l’Espagne ne retrouvera son niveau d’avant 2008 qu’en 2017. Nombre d’économistes doutent de cette possibilité.

Le début de l’année touristique a certes été un peu meilleur, la balance des paiements s’est légèrement redressée. Mais cela est dû surtout à l’effondrement de l’immobilier et à la baisse des prix des services induits par une demande intérieure en berne. Nombre d’étrangers se ruent sur des appartements bradés à prix cassés, ce qui explique le relatif redressement des comptes des transferts de capitaux. Mais cela n’est pas sain : l’Espagne vend ses bijoux de famille pour survivre.

La quasi-totalité des investissements d’infrastructures sont à l’arrêt. Entre Valence et Alicante, on peut voir ainsi des ponts à moitié construits d’une hypothétique ligne de TGV ; personne désormais n’y travaille. Les chantiers immobiliers à l’abandon sont visibles partout. Plusieurs « communautés autonomes » (régions) sont au bord de la faillite. Celle de Valence va licencier plusieurs centaines d’instituteurs et a carrément fermé ses deux chaînes de télévision, créant un grand mécontentement dans cette population attachée à la pratique de la langue valencienne (variété de catalan) dans laquelle les deux programmes étaient émis. Plus de 1400 journalistes qui y travaillaient sont dans l’incertitude sur leur avenir.

On n’exclue pas une nouvelle crise bancaire due aux anciens prêts irrécupérables et à des nouveaux hasardeux. Les prêts jugés « irrécupérables » ont doublé en 2013, passant de 44 à 87 milliards (je dis bien milliards) d’euros.

Depuis cinq ans, les Espagnols ont pu tenir, plus ou moins, grâce à la solidarité familiale, les plus âgés aidant les plus jeunes dont beaucoup, même passé 30 ans, vivent chez leurs parents (grâce à une aide massive, autrefois, au logement, 85% des Espagnols sont propriétaires, du moins ceux qui avaient terminé de payer leur logement avant la crise : ceux qui ne peuvent plus s’acquitter de leur crédit se voient confisquer leur appartement pas les banques qui, désormais, croulent sous les stocks). Beaucoup sont arrivés à la limite de leurs possibilités.

Pour les jeunes, désormais, le salut est souvent dans l’émigration, imitant ainsi la génération de leurs grands-parents. Les diplômés cherchent à partir vers l’Allemagne. D’autres vont plus loin, au Brésil, au Canada ou en Australie. J’ai un ami, qui habitait Tarragone où il était promoteur immobilier (il n’a rien vendu depuis trois ans) : il vient de partir pour l’Equateur. Son cas est loin d’être unique.

L’aide sociale s’effondre compte tenu des coupes budgétaires et les salaires, soumis à la dure loi de l’offre et de la demande, s’effondrent. Beaucoup, à Barcelone ou ailleurs, doivent vivre avec 700€ par mois et, encore, ceux qui ont un travail et donc un salaire régulier sont considérés comme des privilégiés. Dans la capitale catalane, où les loyers sont plus élevés qu’ailleurs, ceux qui doivent vivre en colocation, ou repliés chez des membres de leur famille, sont de plus en plus nombreux. Dans le même temps, les restaurants et les bars à « tapas », autrefois bondés dans ce pays où on aime sortir, se vident. Pour l’Espagnol qui a de l’argent ou pour l’étranger de passage, c’est une aubaine : pour 7 à 9 euros, on a un repas complet, avec entrée, plat principal, dessert et même vin compris. Certains proposent même des prix promotionnels un jour par semaine à 3€ pour tenter de fidéliser les rares clients.  Partout, on peut voir des publicités « prix de crise », c’est-à-dire bradés. Mais il y a moins d’acheteurs, même à ces prix-là, et les petits commerçants qui mettent la clé sous la porte sont de plus en plus nombreux. Ils rejoignent la cohorte des anciens salariés au chômage.  

Salaires en baisse, prix tournés vers le bas : cela fait dire aux économistes que désormais, l’Espagne améliore sa compétitivité. Mais à quel prix ? Autrefois, on dévaluait la peseta et cela était indolore. Avec l’euro, on ne peut plus. On a alors une dévaluation de fait, non de la monnaie, mais du travail, désormais moins payé.

Bref, la situation est morose, c’est le moins qu’on puisse dire. La seule consolation des Espagnols est qu’ils ne sont pas les seuls. Pratiquement toute la zone euro est logée, plus ou moins, à la même enseigne. Même l’Allemagne, avec ses « jobs » à 3€ l’heure.

Le gouvernement espagnol appelle à la résignation. Le premier ministre, Mariano Rajoy, au cours du débat sur l’ « état de la Nation » qui vient de s’achever au Congrès des députés, n’a cessé de répéter qu’il devait couper dans les dépenses et imposer des mesures « provisoires » (dit-il) d’austérité pour répondre aux injonctions de l’ « Europe » (la traditionnelle fierté castillane ne semble plus de mise, sauf quand il s’agît de s’adresser aux Catalans et aux Basques !).    

Et plus on impose des mesures d’austérité aux peuples, plus ils sont contraints de consommer moins, ce qui diminue les ventes et donc l’emploi, ce qui diminue aussi les recettes fiscales de l’Etat et ce qui, en conséquence, accroit le déficit alors que l’ « austérité » a pour but de le réduire. Si Kafka était encore de ce monde, il pourrait réécrire sa « Métamorphose » : notre continent est en train de se métamorphoser. De pays développés, les politiques de Bruxelles sont en train de façonner des pays sous-développés avec les mêmes tares : inégalités criantes entre une poignée de riches et beaucoup de pauvres, dépenses publiques en baisse et bientôt encore des smartphones pour tous mais des écoles à l’abandon et des hôpitaux sans moyens. A ce rythme-là, Paris et Barcelone ressembleront bientôt à Bamako. 

2/ Sur ce fond de crise économique espagnole émerge désormais une crise politique.

La confiance dans les partis et les institutions est en chute libre. Le gouvernement de Rajoy est déconsidéré. Il n’a d’ailleurs jamais été populaire. Le Parti Populaire (le mal nommé) n’a gagné que parce que les Socialistes, qui ont mené une politique qui a battu tous les records de bêtise et d’incompétence, ont été complètement démonétisés (il leur faudra des années pour redevenir crédibles, si un jour ils le redeviennent).

On a en fait une sorte de vide politique : l’extrême gauche progresse, mais pas assez pour devenir une alternative, et il n’y a pas d’équivalent au Front National. En Catalogne et au Pays basque, les partis « espagnolistes » sont déconsidérés et marginalisés au profit des formations autonomistes ou indépendantistes. Sur le plan national, le plus grand parti est désormais celui des abstentionnistes. La politique a tellement mauvaise image (avec un nombre record de procédures judiciaires pour corruption) que le public se détourne des émissions politiques à la télévision. Seuls les matches de foot et le tirage de la loterie captent encore son attention.

Le roi ne joue pas, comme en Angleterre, le rôle de fédérateur national. Cette monarchie, imposée par Franco, n’a jamais été populaire, sauf chez les nostalgiques du « Caudillo ». Aujourd’hui, la majorité absolue, selon les sondages, des Espagnols souhaite que le roi Juan-Carlos, complètement déconsidéré (mon article du 4 janvier : « nuages noirs sur l’Espagne »), abdique. Mais les avis sont partagés sur la suite : abdication en faveur du prince héritier ou restauration de la République (détruite par le coup d’état miliaire de Franco) ? Le sujet est encore tabou dans la presse « bienpensante » (El Pais, par exemple, équivalent du Monde), mais on commence à en parler.

En attendant, la fille du roi, l’ « infante », vient d’être entendue par un juge en relation avec les détournements de fonds publics de son mari. Les gens se demandent si elle est fondamentalement bête ou si elle se moque du monde. Dans son interrogatoire du 20 février, à Palma de Majorque, qui a duré plusieurs heures, la presse qui a donné des extraits du verbatim, note que l’infante a répondu 533 fois de manière évasive (« je ne sais pas », « je ne me souviens plus », etc) aux 400 questions posées par le juge José Castro.

On est vraiment en pleine fin tragi-comique de règne.

3/ Tout cela ne remonte pas le moral des Espagnols. Selon un sondage qui vient d’être réalisé, 74% des Espagnols sont pessimistes, 10% optimistes. Les autres n’ont même plus la force ou le goût de savoir quels sont leurs sentiments.

4/ Tout cela ne serait rien, ou relativement peu, s’il n’y avait pas, pour compliquer encore les choses, le dogmatisme du parti au pouvoir et la question lancinante de l’avenir de la Catalogne et du Pays Basque.

Le dogmatisme de Rajoy et surtout de l’aile dure du PP à laquelle il se croit obligé de donner des gages (ce en quoi il a plus de sens politique que Zapatero, ce qui n’est pas difficile) s’exprime par un cléricalisme dans la tradition de la droite espagnole qui semble ne rien avoir compris à l’évolution de la société. La loi qui vient d’être votée par le parlement espagnol et qui abolit celle existante quant à l’avortement, va faire de l’Espagne l’un des pays les plus rétrogrades d’Europe en la matière. L’avortement sera désormais quasiment interdit (réservé aux situations où la vie de la mère est en jeu ou dans le cas d’un viol. La soit disant Europe unie est de plus en plus ubuesque : les Français continueront d’acheter leurs cigarettes à La Junquera et les Espagnoles iront avorter à Perpignan !). Même à droite, cette posture réactionnaire est critiquée.

Sur le plan des lois sociétales, les socialistes étaient certes meilleurs, mais pour le reste ils ont été encore pire que la droite, allant jusqu’à baisser les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités. Lorsqu’on voit à la télévision des leaders du PSOE traiter ceux du PP d’ « incompétents » et le gouvernement de « lamentable », les téléspectateurs zappent et les traite tous de « sin vergüenza » (honteux).     

5/ La question catalane est désormais à l’ordre du jour. Elle va y rester pour plusieurs mois, voire plusieurs années.

Le parlement catalan a voté, en janvier et en septembre 2013, deux résolutions importantes sur la souveraineté de la Catalogne (« la Catalogne est une Nation ») et sur le droit des Catalans à décider de leur sort (« nous sommes non seulement une Nation mais nous voulons choisir notre avenir »). Même si les Catalans sont loin d’être tous indépendantistes (beaucoup s’interrogent encore), il y a une nette majorité en faveur du droit à l’autodétermination. Pouvoir exprimer un choix devrait ressortir d’une élémentaire conception de la démocratie.

Mais les revendications catalanes se heurtent à un front du refus à Madrid dans lequel se retrouvent le Parti Populaire et le PSOE (socialiste). Le parlement espagnol vient de voter le 20 février une motion s’opposant aux revendications de Barcelone, considérées comme anticonstitutionnelles. Cela rappelle la IVème République française pour laquelle l’appartenance de l’Algérie à la France n’était pas discutable. On sait ce qu’il en est advenu après huit ans de guerre et plusieurs centaines de milliers de morts : ce n’est pas en niant les réalités et la volonté des peuples qu’on construit un avenir. Les Catalans décideront peut-être de rester Espagnols mais la moindre des choses est de s’assurer qu’ils sont d’accord. Nul pays n’est de création divine et l’histoire montre que les frontières ne sont pas immuables.    

Le dialogue n’est pas rompu mais il est réduit à sa plus simple expression. Le gouvernement se dit prêt à discuter, mais « dans la limite » de la Constitution et « pas au-delà de la ligne rouge ». Le prince héritier Felipe vient de se rendre à Barcelone à l’occasion du congrès mondial du téléphone mobile qu’il a inauguré en compagnie du président de la Generalitat, Arturo Mas. Il s’est montré courtois vis-à-vis de ses interlocuteurs catalans (allant jusqu’à prononcer une partie de son allocution en catalan). Le gouvernement de Rajoy prend moins de soins. Il a envoyé un argumentaire anti-indépendantiste à tous les ambassadeurs d’Espagne à utiliser partout où cela est possible, notamment dans la presse, et a fait effectuer des démarches dans tous les pays de l’Union européenne et auprès de la Commission pour qu’ils s’opposent eux aussi à un référendum d’autodétermination en Catalogne.   

La vice-présidente de la Commission européenne, Viviane Reading, a également fait le déplacement de Barcelone. La commissaire s’est quelque peu aventurée sur un terrain glissant, se prononçant pour une « Espagne unie au sein d’une Europe fédérale » et appelant le gouvernement de Madrid et celui de Barcelone à « négocier », ce qui n’a suscité l’enthousiasme ni des uns (pour Madrid, l’unité espagnole n’est pas négociable), ni des autres (l’appui de la Commission au concept d’ « Espagne unie » est un déni du droit à l’autodétermination). La prétention de la Commission à vouloir agir au-dessus des Etats semble ne plus connaitre de limites. En quoi l’unité espagnole la regarde-elle ? Elle ferait mieux de s’occuper de celle de Chypre, île toujours divisée du fait de l’intransigeance de Nicosie et bien que membre de l’UE. En outre, que je sache, l’Union européenne n’est pas un Etat fédéral. Ce n’est pas un Etat tout court. Si par malheur, elle le devenait un jour, nous sommes quelques-uns à estimer que les peuples devraient être consultés. C’est bien la moindre des choses.   

Dans ces conditions, le bras de fer entre Madrid et Barcelone ne peut qu’aller crescendo sous les yeux d’une Europe à la fois timorée et assez clairement anti-indépendantiste (beaucoup de pays, à commencer par la France, ont leurs propres séparatistes), du moins tant que la Catalogne n’est pas indépendante. Ensuite, on peut parier que le réalisme prévaudra.  

Nombre de Catalans se sentent humiliés. Le mépris dans lequel ils sont traités par l’Espagne, mais aussi ailleurs en Europe, est peu apprécié, c’est un euphémisme. Beaucoup d’observateurs estiment que loin d’intimider, cette posture est de nature à renforcer le camp indépendantiste. 

6/ La question basque, elle, est à l’ordre du jour depuis que le peuple basque existe et depuis que des Etats (l’empire romain, déjà !, puis l’Espagne et la France) nient son existence. Vu les scores obtenus par les partis nationalistes basques et compte tenu des sondages, il est clair que si les Basques avaient le droit à l’autodétermination, ils choisiraient l’indépendance (voir mon article du 22 octobre 2012 : « victoire nationaliste au Pays basque »). Les Catalans sont partagés, les Basques beaucoup moins. Ils sont non seulement différents des Espagnols, mais, contrairement à la Catalogne, leur région, de plus petite taille, compte moins en Espagne. Ils s’y sentent donc moins à l’aise. Les partis indépendantistes ont remporté les dernières élections et ils sont au pouvoir à Vitoria (capitale d’Euskadi), même s’ils sont loin d’être unanimes, divisés qu’ils sont entre un PNV « modéré » et une gauche plus radicale.

Longtemps, le terrorisme de l’ETA a constitué une hypothèque pour le Pays basque. Elle est en passe d’être levée. ETA a annoncé sa décision d’abandonner la lutte armée.

Cette décision vient d’être réaffirmée de manière solennelle et théâtrale par la remise symbolique d’armes de guerre qui vient d’être organisée le 21 février en présence de « vérificateurs » internationaux (un Srilankais, un ancien ministre de Mandela et une irlandaise ayant participé au désarment de l’IRA ; ces « vérificateurs » sont patronnés par des ONG scandinaves). Cela a été fait en un lieu secret, à Toulouse, en France, et une vidéo a été envoyée à la BBC.

Le geste de l’ETA a été salué par le gouvernement basque, en particulier par le « lehendakari » (chef de l’exécutif) Iñigo Urkullu. En revanche, le gouvernement espagnol a dénoncé une « farce » et s’est montré mécontent de l’ « ingérence » des « vérificateurs ». Ceux-ci ont même été convoqués par un juge à la suite d’une plainte d’une association de victimes de l’ETA. Le lehendakari a fait le déplacement de Madrid pour soutenir les « vérificateurs ». Aucune charge n’a finalement été retenue contre eux.

On ne peut que déplorer que depuis deux ans que l’ETA a cessé ses actions, aucun geste n’ait été fait par le gouvernement de Madrid qui ne veut même pas répondre à la demande unanime des Basques de rapprochement des prisonniers. Les Basques parlent de « paix », Madrid répond par des déclarations belliqueuses. Cela ne peut qu’élargir le fossé psychologique qui sépare les uns des autres.  

Quant au fond, le droit à l’autodétermination des Basques, il est aussi au point mort que celui des Catalans. C’est un véritable déni démocratique sous les yeux d’une Europe complice. Il semble que le droit à l’autodétermination du Kosovo ou du Soudan du Sud soit considéré comme normal, mais pas celui des Basques et des Catalans ! Où est la justice ou même la simple équité ?

Nul doute que les questions catalane et basque seront de plus en plus présentes dans les mois à venir. Les Catalans seront en première ligne. Les Basques espèrent faire progresser leurs droits dans la foulée.

Il sera sans doute difficile d’éviter une internationalisation du débat.

La posture intransigeante de Madrid n’est pas de bon augure.

On en reparlera.

                                                          Yves Barelli, 27 février 2014                                                     

 

 

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