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16 janvier 2019 3 16 /01 /janvier /2019 13:56

Défaite cuisante, pire encore qu’attendue, pour Theresa May avec le rejet par la Chambre des Communes, à une majorité des deux-tiers, du projet d’accord sur la sortie du Royaume-Uni conclu entre la Première Ministre britannique et la Commission européenne. En voulant ménager la chèvre et le choux, c’est-à-dire les intérêts à court terme du patronat britannique et ceux du peuple, la titulaire du 10th Downing Street a réussi à mécontenter tout le monde. Leçon à tirer, à Londres comme ailleurs : les temps où les gouvernements mondialisés pouvaient contourner les décisions populaires (comme ce fut le cas du vote français sur la « constitution » européenne de 2005) semblent révolus. Les Britanniques ont voté pour le « Brexit » et Madame May paye aujourd’hui au prix fort sa tentative de vider cette sortie d’une part significative de sa substance.

1/ Le vote à 432 voix contre 202 du rejet de l’accord UK-UE est d’ampleur inhabituelle. Il montre tout à la fois la faiblesse de Madame May, contestée dans son propre camp, l’indépendance de nombre de députés britanniques (qui devrait occasionner quelques examens de conscience chez les députés français qui, s’ils étaient honnêtes et courageux, devraient prendre des distances avec la politique impopulaire du gouvernement) et la conjonction de l’hostilité tant des partisans d’un Brexit « dur » que du « Remain ».

2/ Cette conjonction des oppositions ne suffit évidemment pas à suggérer une solution alternative à la crise engendrée par l’imminence (fin mars) d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE. Pour les uns, les nostalgiques de l’appartenance à une Union Européenne davantage sensible aux intérêts des capitalistes et aux aspirations des rêveurs d’un monde sans frontières qu’à ceux des peuples, le rejet de l’accord nécessiterait un nouveau référendum pour permettre aux Britanniques de rattraper leur « erreur » d’avoir voté en faveur du Brexit. Pour les autres, les défenseurs de ce Brexit, la tentative de Theresa May de trouver des accommodements avec la Commission visant à atténuer les conséquences du Brexit, est une trahison de la volonté populaire décidée à couper définitivement les amarres du royaume avec le continent (du moins dans sa forme institutionnalisée concrétisée par une Union de plus en plus incompatible avec les souverainetés nationales).

3/ En fait l’ambiguïté existait tant chez les Conservateurs que chez les Travaillistes. Cette ambiguïté n’est pas l’apanage des Britanniques : on la constate partout en Europe et elle résulte de la contradiction entre les « mondialistes », cette élite autoproclamée, maîtresse du politiquement correct qui se déverse à longueur de journée dans presque tous les médias, et les « souverainistes », émanation des peuples qui aspirent à la protection, sociale comme nationale à l’intérieur de frontières, et qui veulent vivre « chez nous », avec nos traditions, nos identités et des pouvoirs politiques proches des citoyens ne prenant pas ses instructions auprès de bureaucrates apatrides (en fait leur véritable patrie, c’est l’argent), émanation des intérêts des possédants mondialisés.

Cette « élite » mondialisée, c’est celle qui a voté Macron, Hilary Clinton ou Prodi. Elle regroupe deux catégories, deux « classes » sociales même. La première est formée par ceux qui possèdent le capital financier, qui se jouent des frontières nationales en utilisant tout l’arsenal de l’UE et des accords commerciaux multinationaux en investissant là où c’est le plus rentable, en délocalisant au mieux de leurs intérêts, en vendant sur les marchés les plus rentables, en optimisant les avantages fiscaux et en minimisant les coûts salariaux et sociaux et en « important », par l’immigration massive, une main d’œuvre plus servile et des nouveaux consommateurs (subventionnés par les impôts des classes moyennes).

La seconde est formée par des gens moins fortunés ou pas fortunés du tout ayant fait des études, formant souvent une élite professionnelle (cadres supérieurs, hauts fonctionnaires, professions libérales), pouvant à l’occasion se montrer généreuse via la redistribution au profit du « prolétariat » (de plus en plus formé d’immigrés) et partageant souvent un idéal d’internationalisme « prolétarien » (plutôt un « prolétariat » idéalisé et abstrait car ces gens-là, comme les capitalistes, se sentent mieux sur la Cinquième Avenue, à Oxford Street ou dans le 7ème arrondissement que dans le Bronx, East Ham ou la Seine Saint-Denis) concrétisé par l’utilisation du « global English » (pas celui des classes populaires anglaises), la consommation des marques mondialisées et le sentiment qu’être patriote, c’est être ringard, « fermé », voire « fasciste ».

En face d’eux, on a la masse de ceux qui sont encore attachés aux valeurs nationales et qui ne se retrouvent plus dans des pouvoirs de plus en plus lointains et qui abandonnent ceux d’ « en bas », cette « France périphérique » qui se reconnait dans les « gilets jaunes », cette Angleterre des Midlands et du « Black Country », cette Allemagne des profondeurs de Leipzig ou d’Essen, cette Amérique de la Pensylvanie intérieure ou cette Italie qui a voté Salvini ou Grillo.

En Angleterre, cette deuxième catégorie est celle qui a voté pour le Brexit, soit parce qu’elle a la nostalgie de l’Angleterre « anglaise », fière de ses particularités, qui n’entend renoncer ni à la conduite à gauche, ni à ses miles, ses « pounds » et le lait déposé le matin devant la porte, et qui ne veut surtout pas se voir imposer des « directives » de Bruxelles sur lesquelles elle n’a aucune prise, soit parce qu’elle ne se sent plus chez elle dans les quartiers pakistanais de Londres ou polonais de Bradford, soit pour toutes ces raisons en même temps ou pour aucune raison « rationnelle » particulière, simplement parce qu’on veut rester « anglais en Angleterre », comme d’autres sur le continent veulent demeurer français, allemand, italien ou hongrois. Dans cette catégorie, il n’y a pas que des « pommés » smicards et ruraux. Il y a aussi des gens comme moi, et je le revendique, attachés à leur(s) identité(s) (les miennes sont marseillaise, provençale, occitane, française et européenne – celle du continent, pas de l’UE – et même mondiale - mais pas mondialisée) tout en sentant bien partout (j’ai habité quinze pays sur tous les continents), qui n’ont rien contre les valeurs de l’Amérique ou de l’Afrique, mais en Amérique ou en Afrique, pas chez nous.   

4/ L’ambiguïté de Theresa May est qu’elle était hostile au Brexit parce qu’attachée à ce qu’elle croit être l’intérêt du patronat, donc des Britanniques (pour les gens de droite, la richesse des capitalistes « ruisselle » automatiquement sur l’ensemble du peuple, pourvu qu’on laisse faire les « lois » du marché, ce qui est un dogme au pays d’Adam Smith) mais qu’elle a assumé le choix de ses compatriotes en ne remettant pas en cause leur vote mais en recherchant ce qu’elle a pensé être un « bon » compromis avec Bruxelles, c’est-à-dire en acceptant quelques obligations supranationales, y compris s’agissant de la place des étrangers européens en Grande Bretagne mais aussi l’ouverture de la frontière avec la République d’Irlande.

Cette conduite « centriste », ménageant les « brexiters » et les « remainers », les deux présents, pour des raisons différentes, tant chez les conservateurs (au sein desquels on trouve des mondialistes et des souverainistes) que chez les travaillistes (avec des dirigeants internationalistes et européistes et un électorat qui a massivement voté pour le brexit), a finalement mécontenté tout le monde, brexiters comme remainers, conservateurs comme travaillistes.

5/ Theresa May va-t-elle passer la main ? Pas sûr car les conservateurs sont trop divisés et trop affaiblis pour se mettre d’accord sur un successeur. La motion de censure présentée ce jour par les travaillistes va-t-elle passer ? Probablement pas car la faible majorité conservatrice actuelle au parlement a trop peur de nouvelles élections qui pourraient amener une majorité travailliste alternative.

6/ Un nouveau référendum sur le Brexit serait-il la solution ? Il ne ferait qu’amplifier le clivage dans la société britannique et nul ne peut en prédire le résultat (maintien dans l’UE ou, au contraire, majorité renforcée pour en sortir ?). Ce ne serait pas, non plus, un bon signe de démocratie car il tendrait à prouver (d’autres exemples l’ont montré) que la démocratie façon UE n’en est pas vraiment une car quand le peuple se « trompe », on le fait revoter aussi longtemps que nécessaire jusqu’à ce qu’il entérine enfin ce que l’ « élite », plus « intelligente » évidemment que lui, a imaginé pour lui, un peu comme la punition des « radars » « pour notre sécurité ».

7/ Mon opinion (que j’exprime avec prudence et humilité car je ne suis pas britannique et que, en l’occurrence, c’est aux Britanniques de décider et non aux autres ; je suis, au passage, scandalisé par l’attitude de certains Français vivant en Angleterre, dont nos médias se font complaisamment l’écho, qui prétendent participer au débat sur le Brexit, en s’y opposant car, pensent-t-ils, contraire à leurs intérêts : quand on est étranger dans un pays, il me semble décent de respecter les choix des nationaux de ce pays en se réservant, si on n’en est pas satisfait, la possibilité d’en partir) est que Theresa May a eu tort d’accepter la discussion avec la Commission de Bruxelles.

Il me semble qu’une attitude en cohérence avec le choix des Britanniques de sortir de l’UE aurait été (et demeure, je crois, la seule politique juste) de ne pas chercher à passer un accord global avec l’UE mais, au contraire, des accords point par point (exemples : contrôle des ports, accords aériens, etc) avec l’UE quand cela est nécessaire (le moins possible) ou avec les Etats sur une base bilatérale. L’erreur principale de May a été, je crois, d’avoir accepté de discuter avec Bruxelles de la question de la frontière avec l’Irlande. Le Royaume-Uni et l’Irlande sont des Etats souverains : à eux de régler leur coopération transfrontalière, pas à une institution supranationale éloignée.

Ce choix politique de privilégier le bilatéral au multilatéral n’est pas une vue de l’esprit. A titre d’exemple, la coopération en matière d’aéroports entre la France et la Suisse (non membre de l’UE) se passe très bien : les aéroports de Genève et de Bâle sont gérés conjointement par la France et la Suisse en vertu d’accords bilatéraux dont la Commission de Bruxelles n’a jamais eu à se saisir (c’est pour cela qu’ils fonctionnent bien !). On peut régler toutes les relations à venir entre le Royaume Uni et les pays encore membres de l’UE (à laquelle je ne prédis pas un grand avenir) sur la base d’accords bilatéraux.

Ceux qui s’arcboutent au dogme de l’UE méconnaissent les réalités : la Suisse, la Norvège ou l’Islande ne sont pas dans l’UE et tant le commerce que les déplacements de personnes entre ces pays et leurs voisins de l’UE ne posent pas plus de problèmes qu’entre Etats au sein de l’UE.

Quant à ceux qui prédisent le chaos en cas de non accord d’ici mars, ils prennent leurs désirs ou leurs appréhensions pour des réalités. La coopération entre le Royaume-Uni et ses voisins européens est dans l’intérêt mutuel, y compris dans l’intérêt des membres de l’UE dont la balance commerciale vis-à-vis du Royaume Uni est positive. On peut être sûr que quand il s’agira concrètement de passer un nouvel accord, les gouvernements d’Irlande, de France, de Belgique ou d’Allemagne accepteront les discussions bilatérale et auront le réalisme de se passer des services d’une Commission dont on réalise de plus en plus qu’elle est globalement bien plus négative que positive pour les Etats et, plus encore, les peuples d’Europe.

En outre, n’y aurait-il pas contradiction à entraver les relations commerciales avec le Royaume-Uni alors que cette Union européenne, cas unique dans le monde, est ouverte à tous les vents de la mondialisation et donc aux importations de tous les pays-tiers ? On continuerait à importer tout ce que les Chinois veulent nous vendre et on se fermerait aux Britanniques, sachant que cette fermeture serait en définitive encore plus préjudiciable aux entreprises continentales qu’aux Britanniques? Non-sens ! Seul le dogmatisme des Européistes peut tenter de faire croire le contraire.

Il est vrai que si la Grande Bretagne montre qu’elle s’en tire mieux en dehors de l’UE que dedans, cela enlèvera beaucoup de poids au dogmatisme de ceux qui prétendent que l’UE est une nécessité pour l’Europe. C’est sans doute la raison pour laquelle la Commission, qui défend en fait son existence sur le long terme, a été si dure dans la négociation avec Londres. L’erreur, la faute même, de Theresa May a été de se laissé piéger dans le « jeu » bruxellois. J’ai connu en d’autres occasions des négociateurs anglais bien meilleurs.

D’autant que les temps ne sont plus favorables aux Européistes, contestés par la montée des « populismes » et par les défis des gouvernements qui ont choisi de rester dans l’UE mais d’y faire ce qu’ils veulent en refusant d’obéir à Bruxelles (les exemples de l’Italie, de la Pologne et de la Hongrie sont les plus intéressants).

D’autant aussi que l’argument de ceux qui estiment que les Anglais sont désormais isolés est risible : le Royaume Uni ne manque pas d’atouts dans son jeu. Ses liens avec le Commonwealth (50 pays, plus d’un milliard de citoyens) dépassent les intérêts à court terme des gouvernements et peuvent être considérés comme solides, ceux avec les Etats-Unis, qui constituent en fait un accord « stratégique » le sont tout autant, les liens aussi avec l’Europe du Nord et germanique (l’Allemagne est moins agressive vis-à-vis de Londres que Macron, lui-même plus vraiment en mesure de peser) au sein même de l’UE sont forts et de nature à ne pas aller jusqu’à une rupture entre le RU et l’UE, enfin, la « City », c’est-à-dire la puissance financière de Londres demeure intacte (les soit disant décisions de se délocaliser sur le continent, notamment dans la France en crise que l’on sait, ne sont que du vent) et le Royaume Uni serait en mesure, en cas d’une improbable guerre commerciale et politique entre lui et l’UE, de se transformer en super « paradis fiscal et financier », une sorte de Jersey à l’échelle mondiale, qui ruinerait à coup sûr le Luxembourg, Francfort et plus encore Paris.

Je ne suis donc inquiet ni pour le Royaume Uni, s’il décide enfin de jouer le vrai Brexit (pas l’abaissement d’esprit munichois de May), ni pour les relations entre le Royaume-Uni et les pays d’Europe continentale. Je suis même convaincu qu’un Royaume Uni indépendant et fort donnera envie aux autres peuples européens de reprendre eux aussi leur indépendance et de mettre en place une coopération entre Etats débarrassée du carcan d’une UE nuisible, obsolète et en contradiction avec les peuples qui souffrent du non-sens qu’elle constitue encore./

Yves Barelli, 11 janvier 2019                                                                                        

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