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7 décembre 2015 1 07 /12 /décembre /2015 01:06

Très forte progression du Front National qui vire en tête, effritement de la droite, effondrement de la gauche et participation médiocre, bien que meilleure qu’en 2010, caractérisent le premier tour des régionales 2015. Trois blocs se font désormais face : FN, droite et gauche, ce qui laisse largement ouvert le deuxième tour.

1/ Les élections régionales sont à la proportionnelle à deux tours (avec prime pour les listes en tête au deuxième tour et possibilité de fusion, sous certaines conditions, entre listes entre les deux tours).

La participation a été de 50%, contre 46% en 2010. Le scrutin n’a donc intéressé qu’un électeur sur deux.

La forte abstention est habituelle pour ce type d’élection aux enjeux limités. Il y a en France dans de nombreuses régions, dont certaines ont une identité forte, un sentiment régional souvent développé, mais les conseils régionaux ont des pouvoirs très limités qui, en outre, doivent être partagés avec les conseils départementaux.

Cette insuffisance structurelle est aggravée par la réforme décidée l’année dernière par le gouvernement, sans concertation et encore moins consultation populaire. Celle-ci est largement illisible. On a regroupé bureaucratiquement les 22 anciennes régions de la France métropolitaine en 13 nouvelles super-régions aux compétences problématiques, aux frontières souvent artificielles (comme ce grand Est qui va de la Champagne à l’Alsace ou ce grand Sud-Ouest qui s’étend sur 500 km de Poitiers au Pays basque) et n’ayant même pas de nom (les nouveaux conseils régionaux devront les choisir). Cette réforme (voir mon article du 3 juin 2014 : « réforme régionale en France »), qui ignore totalement la problématique de l’identité, pourtant essentielle, ne vise qu’à faire des « économies », d’ailleurs largement illusoires.

Dans ces conditions, plutôt que de se prononcer sur les bilans des sortants et sur les programmes des candidats, les électeurs ont presque totalement « nationalisé » leurs choix. Ils se sont déterminés en fonction de la problématique du moment : pour ou contre le gouvernement, pour ou contre le « système UMPS » (droite UMP, désormais « les Républicains », et gauche PS).

La situation sécuritaire de la France, après les attentats islamistes du 13 novembre et dans le contexte de l’ « état d’urgence », qui a complètement occulté les préoccupations régionales, a renforcé encore le caractère national du scrutin.

2/ Le Front National (encore abusivement catalogué d’ « extrême-droite » par de nombreux commentateurs et par les politiques qui le combattent, alors que ses cadres comme ses électeurs viennent plus encore de la gauche que de la droite traditionnelle) est le grand vainqueur du premier tour (mais les régions ne seront attribuées qu’à l’issue du second !). Il confirme son ancrage sur l’ensemble du territoire et sa position de premier parti de France, rang déjà constaté lors des élections intermédiaires précédentes).

Le FN recueille, au plan national, de l’ordre de 30% (cet article est écrit avant la comptabilisation définitive des résultats) des suffrages exprimés. Il est particulièrement fort en Nord-Picardie, en Provence et dans l’Est, régions où il atteint ou dépasse 40% des voix.

Si l’on compare ce résultat à celui de 2010 (11,4%), la progression est spectaculaire : environ trois fois plus de voix.

Au score du FN doit être ajouté celui des « petits » partis qui ont des programmes qui s’en rapprochent.

« Debout la France » de Nicolas Dupont-Aignan a recueilli 3,8% des suffrages, en progression non négligeable. Son résultat est notable en Ile-de-France (6%), la région capitale. L’UPR de François Asselineau, lui aussi favorable à la sortie de l’euro, de l’UE et de l’OTAN, est également en progression (en dépit d’une absence totale des médias au cours de la campagne), mais avec un résultat plus modeste.

Nombre d’électeurs se demandent pourquoi toutes ces forces politiques « souverainistes » ne se regroupent pas.

3/ La droite ne progresse pas. Les listes de l’union des Républicains, de l’UDI et des centristes du Modem obtiennent 27% des suffrages exprimés, ce qui est moins que le total cumulé de la droite et du centre en 2010 (30%).

Le centre et les divers droite ayant été absent en tant que tels à ce scrutin, il n’y a désormais aucune réserve de voix pour la droite au second tour (sauf là où le PS se retirera).

4/ La gauche, qui, globalement, avait dépassé la moitié des voix en 2010, n’en représente plus que le tiers. L’électorat actuel du Front National est donc massivement formé d’anciens électeurs socialistes ou communistes.

Le Parti Socialiste, qui détenait 21 des 22 régions de la France métropolitaine, devrait perdre la plupart d’entre elles. Il n’obtient que 23 % des suffrages exprimés contre 29% en 2010.

Le Front de Gauche, les écologistes et l’extrême-gauche continuent de reculer. Globalement, ils représentent à peine un peu plus de 10% de l’électorat contre près de 20% en 2010. C’est à une véritable mutation historique à laquelle on assiste. Les électeurs du Parti Communiste, qui a longtemps (jusque dans les années 1980) représenté de l’ordre de 30% de l’électorat, sont massivement et sans doute durablement passés au Front National (c’est dans les régions autrefois massivement de gauche, comme le Nord et la Provence, que le parti de Marine Le Pen fait ses meilleurs scores). Aujourd’hui, le vote du Front de Gauche (qui regroupe le PC et les dissidents socialistes de Jean-Luc Mélenchon) semble résiduel (4%, encore en retrait par rapport aux 5,8% de 2010).

Pour leur part, les écologistes d’EELV perdent la moitié de leurs électeurs de 2010 (environ 6% contre 12,2%). L’extrême gauche, avec 1%, est encore plus résiduelle (elle avait atteint 5%).

5/ A la fois compte tenu du caractère national du scrutin et des traditions françaises, il y avait très peu de listes « régionalistes ». Les candidats de cette tendance ont en général été associés aux listes de partis « nationaux ». Ceux qui en sont restés à l’écart sont comptabilisés comme « divers ». Ce n’est donc pas dans ce type d’élection que s’expriment les sentiments autonomistes qui existent dans un certain nombre de régions à forte identité historique ou culturelle comme la Bretagne, l’Alsace, le Pays basque ou la Corse. Ce n’est que dans cette dernière région, au statut d’ailleurs partiellement dérogatoire du statut commun, qu’un vote « nationaliste » peut être identifié (de l’ordre de 20% des suffrages).

L’évolution du langage du FN, traditionnellement très jacobin, doit être notée. Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philipot se sont ainsi prononcés en faveur des langues et des identités régionales. Il ne semble pas que Marine Le Pen soit encore sur cette ligne.

6/ Le Front National est en tête dans plus de la moitié des régions, la gauche et la droite dans quatre chacune.

La logique aurait été que des triangulaires opposent au second tour les trois blocs partout. Dans ce cas de figure, on aurait pu s’attendre au second tour à la victoire du PS dans deux ou trois régions (au moins Bretagne et Aquitaine), celle de la droite-centre dans quatre ou cinq (dont les deux les plus peuplées : Ile-de-France et Rhône-Alpes-Auvergne) et celle du FN dans au moins trois régions (Nord, Provence et Est), les autres étant plus incertaines.

Toutefois, par une politique suicidaire, le Parti Socialiste a annoncé ce soir par la voix de son Premier Secrétaire qu’il se retirait au profit de la droite dans le Nord et la Provence. Cela signifie que le PS n’aura aucun élu dans ces régions où il y aura des duels FN-droite. Dans le même temps, Nicolas Sarkozy a annoncé qu’il maintenait ses listes partout et qu’il refusait les fusions de listes.

Il s’agit bien là de la part du PS d’une attitude suicidaire car cet objectif de « barrage » au FN est loin d’être gagné et, quand bien même le sera-t-il, ce ne sera pas au profit du PS. Si le FN l’emporte, cette stratégie dérisoire confortera Martine Le Pen en lui donnant raison lorsqu’elle dit que PS et UMP ne sont que les deux faces d’une même réalité. Si le FN est « barré », ce sera un cadeau pour le parti de Nicolas Sarkozy.

Il est difficile de dire quel sera le comportement des électeurs de gauche du premier tour dans ces régions. Une partie préfèrera s’abstenir ou voter blanc, une autre glissera le bulletin de droite dans l’urne. Sera-ce suffisant pour empêcher le FN de gagner ? Réponse dimanche prochain. A priori, la partie s’annonce plus facile pour Marion Maréchal-Le Pen en Provence car Christian Estrosi, le candidat de droite, a un positionnement sur le terrain « sécuritaire » et « identitaire » pas très différent de celui du FN, rendant d’autant plus incompréhensible le retrait socialiste pour les électeurs de gauche. Ce sera en revanche plus difficile, mais pas impossible, pour Marine Le Pen dans le Nord. Si elle l’emporte, elle en sortira considérablement grandie.

Comme le PS n’a annoncé son retrait que de ces deux régions (avec une incertitude dans le Grand Est), une bonne surprise ailleurs n’est pas exclue pour le FN.

7/ Le Front National arrivera-t-il cette fois à percer le « plafond de verre » qui l’a empêché jusqu’ici de transformer les succès du premier tour en victoires au second ?

Réponse dimanche.

Si le FN l’emporte cette fois dans au moins une région, sa stratégie du seul contre tous les autres sera validée. On peut néanmoins être sceptique sur les chances de Marine Le Pen de l’emporter avec cette stratégie à la présidentielle de 2017.

Etre seul contre tous est confortable dans la mesure où cela permet de développer un programme sans avoir à faire des compromis.

Mais cela, en France comme ailleurs, assure rarement la victoire à une élection nationale. Gagner à Marseille ou à Lille est une chose. S’imposer à la tête de la France en est une autre.

8/ Je reviendrai évidemment sur les perspectives d’avenir à l’issue du deuxième tour de ces régionales.

D’ores et déjà, les choses s’annoncent compliquées tant pour Nicolas Sarkozy (dont la stratégie de ni le FN ni le PS est contestée dans son camp) et pour François Hollande (mais peut-être, finalement moins que pour son adversaire de 2012 et peut-être de 2017 : on a tellement annoncé sa défaite dès le premier tour de 2017 qu’il a désormais la position moins inconfortable de « challenger »).

Compliquées pour Sarkozy et Hollande, ce qui ne signifie pas faciles pour Marine Le Pen.

On peut prédire des « jeux » ouverts pour 2017.

Mais jamais ce mot de « jeu » n’est apparu aussi incongru qu’aujourd’hui. La France est en pleine crise économique avec un chômage de masse et elle est menacée par le terrorisme islamiste. Mais, pendant ce temps, sa classe politique donne l’impression de « jouer ».

Nous en reparlerons.

Yves Barelli, 6 décembre 2015

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