La poursuite des crimes contre l’humanité à grande échelle par l’ « Etat Islamique », la multiplication des actes terroristes chez nous qu’il téléguide, la déstabilisation de la plupart des pays de la région, les complicités qu’il continue à trouver auprès des régimes islamistes et l’afflux massif de migrants en Europe rendent, plus que jamais, nécessaire une intervention militaire à terre de grande ampleur en Syrie et en Irak pour éradiquer ce cancer avant que ses métastases n’atteignent l’ensemble du monde arabo-musulman (et au-delà).
1/ Il est regrettable qu’une intervention militaire n’ait pas été menée dès le début de l’installation de « daesh » (acronyme de l’ « Etat islamique » en arabe) dans le territoire qu’il contrôle actuellement (la moitié de la Syrie et le tiers de l’Irak). Non seulement le temps perdu est responsable de la multiplication des assassinats les plus horribles et des souffrances imposées aux populations, provoquant l’exode de millions de personnes, notamment parmi les minorités religieuses, mais il a permis aux barbares obscurantistes de considérablement se renforcer.
Plus d’un an a été perdu depuis la prise de Mossoul par les islamistes à l’été 2014. Plus le temps passe, plus la nécessaire intervention militaire sera coûteuse.
2/ Dès le départ, les experts militaires avaient averti que les frappes aériennes seraient insuffisantes. Elles sont en fait totalement inefficaces parce qu’inappropriées à la situation. L’ « Etat Islamique » (EI) n’est pas un Etat comme les autres, ses forces, constituées de volontaires kamikaze venus de multiples pays, sont disséminées au milieu de la population et les frappes ne font que souder ceux qui n’ont pas fui autour de ce pouvoir de fait qui règne à la fois par la terreur et l’adhésion d’une partie (peut-être majoritaire) de ceux qu’il contrôle.
De plus, l’EI bénéficie de complicités à l’extérieur. Les monarchies du Golfe ne le financent sans doute plus directement mais une partie de leurs riches ressortissants et ONG le font à leur place (et forcément avec leur aval). L’EI continue à vendre son pétrole. Qui lui achète ? On ne sait pas trop, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est acheté et que cela le finance.
Obama, pour des raisons principalement internes, n’a pas voulu engager des troupes au sol. On en est donc resté à la fiction de frappes aériennes de la « coalition », en fait quelques Etats occidentaux, avec un soutien purement nominal de certains Etats de la région, les mêmes souvent qui continuent d’aider, de fait, l’EI.
Cette coalition et la volonté affichée de lutter contre l’EI ne sont donc que de la poudre aux yeux. Il s’agit en réalité d’une opération de communication pour faire croire qu’on agît, mais cela n’est pas suivi de gestes sérieux sur le terrain.
3/ Ceux qui, en Occident, continuent d’affirmer que « daesh » doit être vaincu par une guerre menée par les Etats de la région avec simplement une aide logistique de l’OTAN, soit se trompent (mais ils sont tout de même renseignés), soit, plus vraisemblablement, trompent l’opinion.
Parmi les Etats et autres acteurs de la région, qui trouve-t-on en première ligne sur le terrain ? Les Kurdes, mais ils sont peu nombreux et leurs moyens sont très limités. L’armée irakienne : désorganisée, peu motivée, il vaudrait encore mieux qu’elle ne fasse rien car, considérablement dotée de matériels par les Américains, ses armes finissent dans l’arsenal de daesh du fait de la corruption et, plus encore, de la débandade des troupes dès qu’elles sont confrontées à l’ennemi (en l’occurrence, la terreur paye car on sait que les prisonniers sont systématiquement égorgés).
L’armée syrienne est, sur le papier, la principale force face à l’EI. Mais elle est surtout occupée à sauvegarder ce qui reste du territoire syrien, à savoir la région de Damas, le littoral et la montagne chrétienne et alaouite. Certains mettent même en doute la volonté de Bachar de réellement lutter contre l’EI : tant que les terroristes islamistes menacent la Syrie, Bachar, disent-ils, peut apparaitre comme le dernier rempart contre les islamistes, ce qui serait la garantie de son maintien au pouvoir. Que cette théorie soit fondée ou non, il est vrai que les avions syriens sont davantage engagés contre les rebelles sunnites d’Alep que contre les islamistes de Raka et de Palmyre, cités moins stratégiques que la métropole du Nord.
Autres Etats engagés : l’Iran et la Russie. L’Iran apporte une aide logistique aux Irakiens chiites et à la Syrie, la Russie fournit massivement des armes à la Syrie, aidée en outre par le Hezbollah libanais. Mais, pour des raisons diplomatiques, ces pays ont choisi une intervention limitée, davantage destinée à éviter l’effondrement des régimes syrien et irakien que l’éradication de Daesh. Après tout, disent-ils, les Américains ont déstabilisé la région et créé les conditions objectives de l’existence de Daesh, à eux de faire le « boulot » pour s’en débarrasser.
Et les autres pays de la région, théoriquement membres de la « coalition » montée par les Américains et, pour l’un d’entre eux, la Turquie, en outre membre de l’OTAN ? La Turquie fait une petite gesticulation depuis un mois avec quelques frappes minimalistes contre l’EI. Dans le même temps, en revanche, elle déploie des moyens beaucoup plus importants contre les Kurdes qui, pourtant, luttent contre l’EI. On l’a compris, son véritable ennemi désigné, ce sont les Kurdes ; les mini-frappes contre l’EI ne sont destinées qu’à donner le change.
Quant aux pays arabes de la région, c’est à peu près une action zéro : quelques avions engagés eux aussi de façon minimaliste. La priorité de l’Arabie saoudite est la guerre contre les chiites du Yémen et, clairement, son ennemi principal est l’Iran, pas l’EI. Idem pour les autres monarchies du Golfe. Visiblement, complices ou pas, elles ont des scrupules à se battre contre d’autres musulmans sunnites, fussent-ils les plus grands criminels. La Jordanie est davantage motivée mais faible. L’Egypte est trop occupée par ses problèmes internes pour agir à l’extérieur. La Libye n’existe plus. Quant aux pays du Maghreb, confrontés eux aussi à des problèmes internes, c’est le silence radio.
Israël, de son côté, observe la situation, se contentant de frapper de temps à autre non pas daesh mais son ennemi, le Hezbollah.
4/ Il convient en conséquence d’être réaliste. Les frappes aériennes ne viendront jamais, seules, à bout de l’EI et il n’y a rien à attendre ni de la Turquie ni des pays arabes. La Ligue arabe est une structure vide moribonde en fait à la solde de l’Arabie saoudite. Si on considère que les pays arabes n’ont jamais, depuis 1973, été capables de venir collectivement en aide aux Palestiniens, on ne voit pas comment ils pourraient le faire contre l’EI. Ils en sont incapables, mais il y a plus grave : ils sont réticents à intervenir contre d’autres musulmans sunnites d’inspiration wahhabite dans le cadre d’une coalition dirigée par les « mécréants » occidentaux. L’islamisation accélérée des sociétés arabes ne rendrait pas populaire pour leurs opinions publiques une telle intervention.
5/ En conséquence, la guerre contre l’EI ne pourra être principalement menée que de l’extérieur par une véritable coalition allant au-delà de l’OTAN et incluant ceux qui sont déjà partie prenante dans la guerre contre l’islamisme sunnite (Syrie, Iran, Hezbollah, Russie) mais qui, pour le moment, sont récusés par la plupart des pays occidentaux.
Concrètement, quatre forces seulement ont la puissance nécessaire pour être en mesure, conjointement, d’éradiquer l’EI : les Etats-Unis, la Russie, l’Iran et la Syrie.
La France et la Grande Bretagne peuvent être des forces d’appoint très utiles, mais seules, elles n’ont pas la capacité d’intervention. La Grande Bretagne a été échaudée par sa participation à la guerre d’Irak de 2003 et de Libye de 2011 ; elle participera à une intervention internationale terrestre (elle mène déjà des frappes aériennes), mais elle n’en prendra pas l’initiative. La France, très engagée au Sahel, mais aussi avec 10 000 de ses soldats utilisés en France pour protéger les édifices publics (du fait de l’incapacité à neutraliser les 5 000 islamistes « radicaux » répertoriés mais laissés en liberté avant le passage à l’acte), est déjà au maximum de ce qu’elle peut faire dans un contexte de coupes budgétaires qui fragilise ses armées. Quant aux autres Européens, politiquement, ils n’existent pas et, militairement, ils ne sont qu’une composante mineure de l’OTAN. Il existe deux autres puissances, mais, pour des raisons différentes, elles sont hors-jeu : la Chine et Israël. La première est absente, pour le moment, du Moyen Orient, où elle ne souhaite pas encore s’impliquer. Quant à Israël, il vaut mieux que cet Etat se maintienne en dehors car son intervention serait contreproductive.
6/ Les Etats-Unis sont évidemment les acteurs déterminants du jeu politique, diplomatique et militaire de la région. Sans leur participation directe et massive, aucune opération terrestre d’envergure n’est concevable (la Russie et l’Iran pourraient la mener seuls mais ils ne le feront pas pour des raisons d’équilibre international : sans l’aval de Washington, elle entrainerait des conséquences non souhaitées par Moscou et Téhéran : remise en cause du traité nucléaire avec l’Iran et recrudescence des tensions et des embargos occidentaux).
7/ Plusieurs préalables conditionneront la mise en place d’une coalition internationale pour engager la seule forme de combat efficace contre l’EI, une intervention de troupes au sol:
a/ Que les pays occidentaux se démarquent davantage des monarchies du Golfe, trop laxistes vis-à-vis de l’EI quand elles ne sont pas complices. Une attitude plus incisive est nécessaire, en particulier de la part de pays comme la France exagérément complaisants avec l’Arabie saoudite et le Qatar.
b/ Il faut renouer avec Bachar al Assad, jusqu’à présent ostracisé et diabolisé par les Occidentaux. Bachar est certes un criminel, mais il n’est pas le seul dans la région. Pourquoi avoir des relations avec les autres et pas avec lui ? Son régime est évidemment critiquable, mais il est le seul, avec le Liban, laïque de la région et il défend les minorités, notamment chrétiennes.
c/ La normalisation avec l’Iran a commencé à s’engager. Il faut la poursuivre. Le régime des mollahs est certes fondamentalement contraire aux droits de l’homme. Mais il a cessé depuis des années d’instrumentaliser le terrorisme musulman en Occident. Aujourd’hui, celui-ci est l’œuvre des islamistes sunnites dont le chiisme iranien est l’ennemi. Objectivement, l’Iran est notre allié. Il faut mettre cette convergence en pratique sur le terrain et se libérer des pressions israéliennes inadmissibles en la matière.
d/ Il est impératif et urgent de mettre fin à la déstabilisation de la Russie sur son flanc sud. La Russie ne peut se permettre d’avoir un régime hostile à Kiev. L’encouragement donné aux forces ukrainiennes les plus extrémistes est à la fois injuste et contreproductif. L’embargo occidental contre la Russie se retourne en partie contre l’Europe (perte de marchés), l’attitude hostile vis-à-vis de la Russie fige la situation sur le terrain est-ukrainien et, conséquence la plus nuisible, empêche toute initiative à l’ONU sur le Moyen Orient où un accord entre les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité est indispensable.
e/ En même temps que des progrès sur les quatre points précédents, il est nécessaire que les alliés des Etats-Unis fassent pression sur Obama (ou son successeur car il est douteux que les conditions soient réunies avant la fin de son mandat) pour que les Etats-Unis se décident à intervenir à terre en Syrie. De par leurs responsabilités internationales, il appartient à la Grande Bretagne et à la France d’en prendre l’initiative. Ces deux pays ont su le faire en 2011 en Libye. A eux d’agir pour la Syrie.
8/ On l’a compris, les conditions d’une intervention à terre ne sont pas encore réunies.
Toutefois, les lignes bougent, ce qui peut rendre optimiste :
a/ La normalisation avec l’Iran débloque l’un des préalables. Avec la Russie, on n’en est pas encore là mais le pic de la confrontation sur le dossier ukrainien semble avoir été atteint. Tout le monde a intérêt à ce que la tension retombe. L’embargo occidental gêne autant l’Europe que la Russie et cette dernière, surtout affectée par la baisse du cours du pétrole, souhaite une normalisation, d’autant que le séparatisme est-ukrainien est autant un boulet pour elle qu’un atout.
Vis è vis du régime de Bachar, les lignes bougent aussi. Certains pays, comme l’Autriche et l’Espagne, militent pour une normalisation. Des partis d’opposition en Europe, mais aussi certains dirigeants de majorités font le déplacement de Damas (et de Moscou) et préconisent la reprise du dialogue avec le président syrien. Des initiatives sont prises pour trouver une porte de sortie qui consisterait en un retrait honorable de Bachar (auquel sécurité et protection seraient garanties) tout en conservant son régime et en y associant l’opposition non islamiste.
b/ La crise des migrants en Europe occidentale fait prendre conscience que ce problème, de nature à déstabiliser l’Europe, ne peut être résolu qu’en supprimant sa cause première, l’existence de Daesh. Il y a quatre millions de réfugiés syriens dans les pays voisins et nombre d’entre eux sont en mouvement vers l’Union européenne dont la politique incohérente, au lieu de tarir le flot, l’accentue par appel d’air. On risque d’être submergés et les Allemands eux-mêmes réaliseront bientôt que l’avantage économique est plus que compensé par la déstabilisation de leur société,
A cet égard, il faut être circonspect sur l’agitation politicienne, notamment en France, sur cette question. L’attitude angélique et suiviste par rapport à l’Allemagne du pouvoir socialiste est irresponsable. Celle de l’opposition du « Parti Républicain » (nouveau nom de l’UMP) de Sarkozy est inaudible : dans ce parti, qui prétend revenir aux affaires, certains sont pour une intervention armée en Syrie (en expliquant rarement comment), d’autres sont contre (Juppé en particulier) et Sarkozy se contente de propositions démagogiques et dérisoires (telle la création d’un statut de « réfugié de guerre », oubliant qu’il existe des convention internationales et que, quand bien même voudrait-on les compléter, cela nécessite un long travail diplomatique. Idem pour modifier Schengen : il serait plus sérieux de proposer que la France sorte unilatéralement de cet accord, seule manière d’obliger à reconstruire quelque chose à la place de plus adapté à la situation). Les propositions du Front National sont moins mauvaises et plus cohérentes, notamment s’agissant de la nécessaire normalisation avec la Russie et la Syrie et de la fin de Schengen, mais pèchent par leur simplisme et, souvent, par leur manque apparent d’humanité en matière d’immigration et d’asile. Nicolas Dupont-Aignan a des propositions plus justes, mais il est très minoritaire.
c/ L’idée fait en conséquence son chemin de la mise en place d’une coalition internationale pour intervenir sur le terrain en Syrie et en Irak pour éradiquer Daesh.
Cette intervention doit résulter d’un accord entre les membres permanents du Conseil de Sécurité, elle doit inclure, ou au moins se coordonner de fait ou de droit avec elles, les troupes syriennes et iraniennes présentes sur le terrain. Elle doit aussi se faire en accord avec la Russie, soit sous forme d’une intervention commune avec commandement commun, soit, être menée par les Américains et leurs alliés mais avec l’accord de la Russie qui, de son côté, peut intensifier son aide à l’armée syrienne.
Si certains pays musulmans sunnites participent aux combats à terre contre l’Etat Islamique, tant mieux. Mais je suis personnellement sceptique sur cette possibilité.
Je ne sous-estime pas le danger qu’il y aurait à ce qu’une intervention armée occidentale (au sens large : avec la Russie) donne l’impression qu’il s’agit d’un combat contre l’islam sunnite global. Si on peut l’éviter, c’est évidemment mieux. On doit toutefois garder présent à l’esprit que l’existence même de l’Etat Islamique est une provocation contre toutes les valeurs humaines qui ne sont pas l’apanage de l’Occident de tradition chrétienne mais qui sont des valeurs universelles. Non seulement éradiquer la barbarie est un droit, mais c’est un devoir. Depuis un an, le monde civilisé n’a rien fait de sérieux et s’est donc, objectivement, fait le complice de la barbarie.
L’intervention est en conséquence indispensable.
Avec les pays qui se réclament de l’islam si possible. Sans eux, voire contre eux, si nécessaire. Il appartient à ces pays de se déterminer et de choisir leur camp.
Ce n’est pas notre responsabilité, mais la leur. A nous de prendre les nôtres.
9/ Il faut dores et déjà réfléchir à l’après-daesh pour éviter de renouveler l’erreur catastrophique des interventions passées en Irak et en Libye qui y ont créé un chaos pire que la situation antérieure.
Dire qu’il suffit ensuite d’organiser des élections n’est pas responsable. L’intervention doit être internationale et être suivie d’une tutelle internationale sur la Syrie et l’Irak, voire sur d’autres Etats. La démocratie est souhaitable. Mais à terme seulement. Pour le moment, les conditions ne sont pas remplies. Si les islamistes retrouvaient par les urnes, le pouvoir qu’ils auraient perdu par la guerre, autant ne rien faire. Face à des sociétés minées par l’obscurantisme religieux, caractérisé par la loi divine réputée supérieure à celle des hommes, le premier objectif doit être d’imposer un pouvoir débarrassé de l’obscurantisme.
Les conditions d’une tutelle internationale unanime sont davantage réunies que ce qui peut paraitre au regard de la confrontation actuelle USA-Russie. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité sont tous confrontés à la subversion islamiste et en premier lieu sur leurs propres sols. Ils ont tous été victimes du terrorisme sunnite : les trois Occidentaux, mais aussi la Russie (d’origine caucasienne, elle a déjà frappé à Moscou) et la Chine (origine ouïghour : des attentats ont eu lieu ailleurs en Chine et, récemment encore, à Bangkok où les touristes chinois étaient visés).
La lutte contre l’islamisme en tant que doctrine dangereuse contraire aux valeurs universelles et source de terrorisme et de déstabilisation partout, doit être en conséquence une cause mondiale. L’islamisme est le nazisme des temps modernes. Comme on l’a fait il y a soixante-et-dix ans, c’est une coalition mondiale qui doit l’éradiquer.
Cela ne suffit évidemment pas. Assortir la tutelle internationale d’une politique économique et sociale de nature au plus grand nombre de bénéficier du développement et de vivre plus libre dans sa vie quotidienne est indispensable.
Cela est un travail de longue haleine dont l’intervention militaire n’est que la condition nécessaire mais non suffisante.
Yves Barelli, 13 septembre 2015