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5 janvier 2015 1 05 /01 /janvier /2015 11:38

Cet article est publié avec deux semaines de retard pour des raisons techniques indépendantes de moi (réorganisation du support de ce blog). Il reste néanmoins d'actualité et j'en profite pour souhaiter à tous une excellente année 2015 et pour vous remercier, amis lecteurs, de votre confiance et intérêt pour mes articles. .

Jacques Chancel est mort le 23 décembre à l’âge de 86 ans. Pour les plus jeunes et pour ceux qui n’ont pas vécu en France pendant les années 1960 à 1990, son nom n’évoque sans doute pas grand-chose. Pour ceux de ma génération, c’est un pan entier de l’histoire de France de la seconde moitié du 20ème siècle qui disparait.

J’ai eu l’occasion d’évoquer dans mon blog quelques personnages publics célèbres qui ont marqué leur temps, notre temps, et que j’ai personnellement connu. Ce n’est pas le cas de Jacques Chancel. Je n’en ai que le souvenir des téléspectateurs, des auditeurs de radio ou des lecteurs qui l’on vu, écouté ou lu.

Jacques Chancel a été l’un des animateurs les plus populaires et les plus attachants d’un temps où quelques émissions rassemblaient en une sorte de communion la plus grande partie de l’audience. Une époque où il n’y avait que deux ou trois chaînes de télévision et à peine plus de radios (France Inter, les radios régionales et trois ou quatre radios dites « périphériques » parce qu’elles émettaient depuis les territoires étrangers et donc n’étaient pas audibles partout - chez moi en Provence, c’était radio Monte Carlo, plus au nord Europe 1 ou RTL). Une époque où il n’y avait pas de publicité à la télévision. Une époque où les animateurs, mais aussi les téléspectateurs savaient prendre leur temps pour présenter, interviewer, ou regarder et écouter sans contrainte de course à l’audience. C’était le temps d’émissions dont on se souvient encore, comme « les dossiers de l’histoire », « cinq colonnes à la une » ou ces deux émissions cultes de Jacques Chancel, « radioscopie », sur France-Inter ou « le grand échiquier » sur la deuxième chaîne de télévision (forcément du « service public » puisqu’il n’y en avait pas de privées). Une télévision, certes, où la censure régnait (on n’a vu les premières images des manifestions de mai 1968 – notre Révolution étudiante, mais aussi ouvrière – que trois semaines après le début des évènements ; certains chanteurs contestataires étaient interdits d’antenne).

Bref, pour les plus jeunes, le temps de la préhistoire.

Mais la préhistoire a produit des chefs d’œuvre, à Lascaux, à Chauvet ou à Altamira.

Alors, vive la préhistoire, y compris de la télévision française. J’en garde un bon souvenir.

Je garde le souvenir de Jacques Chancel et je rêve lorsque j’entends des journalistes contemporains, avec moins de talent que lui, ou, lorsqu’ils en ont, avec des méthodes qui se veulent percutantes, mais qui sont surtout agressives et d’une autosuffisance pitoyable. Il est vrai qu’ils doivent faire ce qu’on leur demande de faire : du punch, de l’effet, du « buzz », de l’esbroufe, de la « provoc ». Parce qu’il faut « tenir le téléspectateur en haleine »… entre deux pages de pub !

Chancel, lui, savait écouter. Il créait une atmosphère, dans laquelle son interlocuteur (on ne disait pas encore son « invité » auquel les journalistes actuels, qui font semblant d’être propriétaires de leur antenne - en fait ce sont les actionnaires de la chaîne qui le sont - et qui font mine de condescendre à prêter la parole, le plus souvent interrompue toutes les dix secondes, à des interlocuteurs surtout bons à faire de l’audience) était mis à l’aise. Puis, il lui laissait le temps de s’exprimer. La magnifique voix chaude, chaleureuse mais en même temps sobre, faisait le reste. On était sous le charme. Et le charme opérait aussi chez l’interviewé dont Chancel obtenait beaucoup plus en laissant parler que bien des interviewers contemporains en posant trente questions, dont une bonne moitié sans intérêt (« alors, Monsieur le Premier Ministre, vous serez bien candidat à la prochaine présidentielle ? Dites-nous, confirmez-nous que vous voulez prendre la place du président, devenir calife à la place du calife ? » Et l’interviewer de ne même pas écouter la réponse car il sait, et nous aussi, qu’il n’y en aura pas, malgré les relances impertinentes).

Si vous avez l’occasion de voir l’une de ces émissions du Grand Echiquier, vous verrez tout de suite la différence avec la télévision actuelle. Nous, on préférait l’ancienne. Et je ne suis pas sûr que si les plus jeunes connaissaient l’ancienne, ils ne la préfèreraient pas. Il faudrait le leur demander, plutôt que de leur imposer des modèles non choisis par nous, mais par les soit disant « communicants ».

Chancel n’avait pas que cette qualité (écouter et laisser s’exprimer). Il avait aussi une grande culture et tout l’intéressait (c’est du moins l’impression qu’il nous donnait. Mais comme c’était un grand professionnel, en fait, on n’en sait rien). Dans son émission, à une heure de « grande écoute », comme on dit, tous les sujets étaient abordés (enfin, sauf les censurés !), tous les arts, toutes parties de la pensée contemporaine, même les plus difficiles. Il avait la conviction que le public n’était pas idiot et qu’il était capable, lui aussi de réflexion.

Bref, je regrette les Jacques Chancel et tous ceux de sa trempe.

Evidemment, si je les regrette, c’est sans doute aussi parce que j’étais plus jeune. On regrette toujours le temps de sa jeunesse. « Avec le temps passe, tout passe et s’en va » comme chantait Léo Ferré. Ce temps-là n’a pas passé, puisque nous le remémorons. Mais sans doute, l’enjolivons-nous. Donc, le souvenir qu’on en a ne corresponde peut-être pas totalement à la vérité. Tant pis. S’il est plus beau, tant mieux.

Ce soir, j’éprouve évidemment de la nostalgie. De la mélancolie. Et ces quasi vieillards, que nous avons connus jeunes et fringants, évoquer ce soir l’homme disparu, ces Bouvard, Pivot ou Bedos, ne peuvent que nous conforter dans ces sentiments

En cette même soirée, il y a avait aussi un magnifique film sur France 2 (preuve que la télévision actuelle peut être bonne, aussi, quand elle le veut), « la nuit des éléphants » montrant la transhumance annuelle des éléphants entre le Botswana et le Zimbabwe, dans la région du Chobe. Il se trouve que j’ai traversé cette région en voiture à la fin 2012. J’y ai vu ces éléphants traversant la route devant moi, en file indienne, plein de majesté. Je connais peu d’animaux aussi admirables qu’un éléphant (quand j’étais en poste diplomatique en Inde, j’ « invitais » de temps en temps dans le jardin du consulat une éléphante prénommée Lakshmi. Quelle majesté, quelle intelligence !).

Ce film n’était pas un reportage animalier comme les autres. D’abord parce que, grâce à une technique révolutionnaire, il montre des images filmées de nuit avec une vision comme en plein jour. Ensuite, parce qu’il se met, en quelque sorte à la place des éléphants en en montrant une famille particulière.

La vie des éléphants n’est pas facile. Ils sont menacés. 20 millions de pachydermes en Afrique au début du vingtième siècle. 500 000 seulement aujourd’hui.

Oui, sentiment de mélancolie, aussi, en voyant ce film. Sentiment de mélancolie, celui qu’on éprouve de temps en temps. Sentiment pas nécessairement agréable. Mais qui donne envie que le temps s’arrête. Qu’on savoure cet instant, même s’il n’est pas forcément gai. Mais il n’y a pas que la joie dans la vie. « Bonjour tristesse », comme l’a écrit Françoise Sagan, de temps en temps. Ça fait du bien.

J’écris d’habitude des textes plus construits. Je n’ai pas l’habitude d’étaler mes états d’âme. Comme Chancel, je préfère être sobre et discret. Par retenue, par respect.

Ce soir, en évoquant ce « monument » d’un passé déjà lointain bien que récent, en réécoutant Chancel, en écoutant aussi la voix un peu dans le même registre de Jacques Perrin, l’excellent narrateur de la « nuit des éléphants », j’ai eu envie de me laisser aller à cette quasi rêverie romantique.

C’est peut-être la période de Noël qui veut cela aussi. Mélancolie aussi que ce petit enfant né dans une crèche et venu au monde pour sauver une humanité qui ne le mérite peut-être pas. Nostalgie aussi des Noëls de mon enfance, si beaux dans ma Provence natale.

Alors, bon Noël à tous. Joyeux, si vous voulez et si vous pouvez. Mélancolique et nostalgique aussi, pourquoi pas ?

Solidaire, surtout, parce que c’est le sens de cette belle fête.

Yves Barelli, 24 décembre 2014.

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